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11. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXIII. Des éloges ou panégyriques adressés à Louis XIV. Jugement sur ce prince. »

Si on porte sa vue sur l’intérieur de l’État, on est frappé d’un grand tableau. […] Ainsi, de quelque côté qu’on jette les yeux on voit des succès et des malheurs ; on voit de grandes vues et de grandes fautes ; on voit le génie, mais tel qu’il est chez les hommes, et surtout dans les objets de gouvernement, toujours limité ou par les passions, ou par les erreurs, ou par les bornes inévitables que la nature a assignées à toutes les choses humaines. […] Jusqu’alors les Français, moins grands que factieux, ayant besoin d’agiter et d’être agités, plus capables d’un mouvement prompt et rapide que d’une application et de vues suivies, n’avaient encore appris à gouverner ni leur caractère, ni leurs idées. […] Si maintenant on le compare aux rois célèbres de notre nation, on trouvera qu’il fut loin de cet esprit vaste et puissant de Charlemagne : mais l’un déploya de grandes vues chez un peuple barbare ; l’autre seconda les lumières et les vues d’un peuple instruit. […] Sa gloire (et c’est ce qu’il ne faut pas perdre de vue en le jugeant) fut d’avoir élevé sa nation.

12. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Sieyès. Étude sur Sieyès, par M. Edmond de Beauverger. 1851. » pp. 189-216

Elle est toute conçue en vue d’élever et de transformer le principe populaire, d’en extraire et d’en faire redescendre dans tous les sens une action de raison pure. […] Durant ces années, il assista comme député de ce diocèse aux états de Bretagne, et il en rapporta une horreur profonde contre la classe privilégiée qu’il y avait vue en plein exercice dans cette rude province. […] Il méconnaît l’élément généreux que la noblesse, vue à son jour et à son heure, introduisit dans la Constitution de l’État. […] Il n’était, auprès de Sieyès, qu’un vulgarisateur abstrait ; mais celui-ci, outre l’originalité de l’invention, avait des vues et quelquefois des pratiques d’homme d’État. […] Il méprisait cet esprit humain qui avait si peu répondu à ses vues.

13. (1896) Hokousaï. L’art japonais au XVIIIe siècle pp. 5-298

Cette vue la radoucit, et elle consent à ce qu’il garde près de lui « l’Assiette cassée ». […] Vue du Fouji à travers la ville des fleurs (Yoshiwara) du côté de Sénjû. […] Et tout le volume continue à être la représentation de la montagne, à l’aube, par la pluie, par la brume, par la tombée de la neige, et vue de la grande cascade, et vue d’un monument sinthoïste où jaillit du creux d’un arbre l’eau pour la purification de la prière, et vue de l’observatoire de Yédo, et vue enfin, de la Corée. […] Une guésha accroupie, vue de dos, jouant du schamisén, à la riche coiffure vue par derrière : dessin à la ligne sculpturale. […] La lune, vue au travers de deux branches d’un prunier.

14. (1823) Racine et Shakspeare « Chapitre II. Le Rire » pp. 28-42

Hobbes répond : Cette convulsion physique que tout le monde connaît, est produite par la vue imprévue de notre supériorité sur autrui. […] Il faut que le comique soit exposé avec clarté : il est nécessaire qu’il y ait une vue nette de notre supériorité sur autrui. Mais cette supériorité est une chose si futile et si facilement anéantie par la moindre réflexion, qu’il faut que la vue nous en soit présentée d’une manière imprévue. […] C’est tout simple, il n’y a plus jouissance de notre supériorité, il y a au contraire vue du malheur pour nous ; en descendant de voiture, je puis aussi me casser la jambe. […] Le riche Voltaire se plaît à clouer nos regards sur la vue des malheurs inévitables de la pauvre nature humaine.

15. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Correspondance entre Mirabeau et le comte de La Marck (1789-1791), recueillie, mise en ordre et publiée par M. Ad. de Bacourt, ancien ambassadeur. » pp. 97-120

Mirabeau déjà célèbre, et des plus en vue comme écrivain politique, avait fait, en 1788, la connaissance du comte de La Marck, grand seigneur belge au service de la France. […] Après quelques visites qui suivirent le dîner de Versailles, ils se perdirent quelque temps de vue, et ne se retrouvèrent qu’aux États généraux. […] Le point pour Mirabeau était de convaincre La Fayette que le danger était grand, qu’il ne s’agissait pas de tenir plus longtemps la royauté en laisse, de la rabaisser continuellement et systématiquement dans l’opinion publique, de la garder à vue et de la tenir en chartre privée, avec un ministère étroit et insuffisant ; que M.  […] Jusqu’à présent, on connaissait de Mirabeau l’orateur ; ici, dans cette suite de vues et de considérations, le conseiller et l’homme d’État en lui se produisent et se confondent. […] Et ici l’adversaire à outrance se déclare ; son opposition de vues et son antipathie de nature se donnent toute carrière : Il n’est plus temps, écrit-il (20 juin 1790, à la veille de la Fédération), de se confier à demi, ni de servir à demi.

16. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre III : La science — Chapitre I : De la méthode en général »

Si l’on voulait transporter cette vue dans une autre sphère, on pourrait dire que la philosophie du xviiie  siècle a essayé d’appliquer la même idée au gouvernement et au perfectionnement des sociétés. […] Mill dans sa Logique, beaucoup d’autres moins connus ont traité des méthodes avec une abondance de vues et de faits qui ne laisse rien à désirer ; mais nous tenons surtout à indiquer la tradition logique parmi les savants et non parmi les philosophes. […] Dumas, dans sa Philosophie chimique, a jeté çà et là sur ce sujet quelques vues précises et pénétrantes ; M.  […] On est frappé de la même vue en lisant les écrits des savants et des logiciens au xviie  siècle, Newton excepté. […] C’est là une des vues les plus intéressantes de son livre, et il importe d’y insister.

17. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre IV. Le mécanisme cinématographique de la pensée  et l’illusion mécanistique. »

Quand je dis : « cette table est noire », c’est bien de la table que je parle : je l’ai vue noire, et mon jugement traduit ce que j’ai vu. […] En résumé, les qualités de la matière sont autant de vues stables que nous prenons sur son instabilité. […] Indéfiniment je recommencerai, et indéfiniment je juxtaposerai des vues à des vues, sans obtenir autre chose. […] Les Formes, que l’esprit isole et emmagasine dans des concepts, ne sont alors que des vues prises sur la réalité changeante. […] Mais nous pouvons toujours imaginer qu’une vue ait été prise d’un point de vue, et il est naturel à un esprit imparfait comme le nôtre de classer des vues, qualitativement différentes, d’après l’ordre et la position de points de vue, qualitativement identiques, d’où les vues auraient été prises.

18. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre IV. De la délimitation, et de la fixation des images. Perception et matière. Âme et corps. »

Il y a dans ce mouvement, tout à la fois, une image qui frappe ma vue et un acte que ma conscience musculaire saisit. […] À première vue, la distance paraît infranchissable. […] Berkeley, du moins, allait jusqu’au bout de sa thèse : il déniait à la vue toute perception de l’étendue. […] Supposons un instant que la vue ne nous renseigne originairement sur aucune des relations d’espace. […] La vue constate des variations déterminées qu’ensuite le toucher vérifie.

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