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244. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « De la tradition en littérature et dans quel sens il la faut entendre. Leçon d’ouverture à l’École normale » pp. 356-382

C’est de cette religion littéraire que nous sommes, au milieu même des plus vives hardiesses, et que nous voulons être toujours. […] Mais cela dit, et nonobstant ces suppléments d’enquête toujours ouverts, conservons, s’il se peut, la légèreté du goût, son impression délicate et prompte ; en présence des œuvres vives de l’esprit, osons avoir notre jugement net et vif aussi, et bien tranché, bien dégagé, sûr de ce qu’il est, même sans pièces à l’appui. […] L’homme de goût, quand même il n’est pas destiné à enseigner, et s’il avait tout son loisir, devrait pour lui seul, revenir, tous les quatre ou cinq ans, ce me semble, sur ses anciennes et meilleures admirations, les vérifier, les remettre en question comme nouvelles, c’est-à-dire les réveiller, les rafraîchir, au risque même de voir s’y faire, çà et là, quelque dérangement : l’essentiel est qu’elles soient vives. […] Il se pourra quelquefois que, dans cette quantité d’appréciations, d’estimations successives, où je mettrai tout mon soin, nous différions un peu de mesure, qu’il y ait des cas où vous me trouviez moins vif que vous ne comptiez, et que vous admiriez plus que moi certaines qualités de nos écrivains ; je serai heureux d’être en cela comme en d’autres choses, dépassé par vous.

245. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »

Il me reste à vous supplier de prendre sur vous mes vifs remerciements et mon respectueux refus ; c’est à votre adorable bonté que j’ai dû la distinction d’un homme illustre qui m’ignorait, et c’est à vous, madame, que mon âme demeure éternellement acquise. » Dans cette même lettre toutefois, sachant les démarches de Mme Récamier pour lui faire obtenir une pension régulière par l’entremise du vicomte de La Rochefoucauld, Mme Valmore ajoutait : « Je vous la devrai, madame, et avec joie, si quelque jour on accorde à votre demande ce dont vous ne me jugez pas indigne ; je voudrais avoir bien du talent pour justifier votre protection qui m’honore, et pour mériter l’encouragement vraiment littéraire que vous entrevoyez dans l’avenir ; je serai contente alors de l’obtenir de vous, et je n’aurai ni assez d’orgueil ni assez d’humilité pour m’y soustraire… » Mais lorsque cette petite pension fut obtenue, — une pension au nom du roi, — ce fut de la part de l’humble et généreux poète un sentiment de peine et de résistance morale à l’aller toucher. […] Ses lettres à Mme Valmore, d’un ton vif et résolu, presque viril, la font voir sous ce jour, — un fidèle et brave cœur, d’une affection active, et sur qui l’on pouvait compter ; et Mme Valmore le lui rendait par un véritable culte de reconnaissance : « (7 avril 1847)… Cette bonne lettre me trouve au milieu de nouvelles et vives afflictions. […] Claude Turpault, esprit très élevé, mathématique et philosophique : « Le 7 mai (1869)… Je tiens à vous dire avec quelle vive satisfaction j’ai lu, dans les articles de Sainte-Beuve sur Mme Desbordes-Valmore, la touchante lettre par elle à vous adresser qu’il y cite, et qu’il contresigne en quelque sorte : c’est un bien précieux témoignage, et vous l’avez mérité ! […] Par là ce portrait me paraît plus touchant et plus édifiant encore que les plus belles figures de Port-Royal… Ceux qui aiment par-dessus tout ces révélations intimes, ce spectacle des plus humbles destinées individuelles où la poésie et l’idéal sortent de la réalité la plus positive, — ceux-là vous doivent une reconnaissance d’autant plus vive… Tant de gens ne s’inquiètent que de ce qui brille, de ce qui fait du bruit ou du tapage… » — « Une seule chose m’étonne, écrit quelqu’un (une main de femme, qu’une grande amitié a liée à Mme Valmore), c’est qu’on puisse faire un choix dans ces lettres si ravissantes de bonté, de sensibilité, d’ignorance de sa propre valeur qui donne tant de prix à ces richesses morales.

246. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. VINET. » pp. 1-32

Le ranz des vaches de cette contrée, le ranz des Colombettes, celui, entre les divers ranz, auquel l’air célèbre est attaché, a de plu une petite action dramatique, vive de couleur et de poésie1. […] Et combien il est ingénieux et vif à animer l’analyse la plus abstraite de la grammaire ! […] — Soit qu’il nous peigne ce grand style de Pascal, si caractérisé entre tous par sa vérité, austère et nu pour l’ordinaire, paré de sa nudité même, et qu’il ajoute pour le fond : « Bien des paragraphes de Pascal sont des strophes d’un Byron chrétien ; » soit qu’il admire, avec les penseurs, dans La Rochefoucauld, ce talent de présenter chaque idée sous l’angle le plus ouvert, et cette force d’irradiation qui fait épanouir le point central en une vaste circonférence ; soit qu’il trouve chez La Bruyère, et à l’inverse de ce qui a lieu chez La Rochefoucauld, des lointains un peu illusoires créés par le pinceau, moins d’étendue réelle de pensée que l’expression n’en fait d’abord pressentir, et qu’il se montre aussi presque sévère pour un style si finement élaboré, dont il a souvent un peu lui-même les qualités et l’effort ; soit que, se souvenant sans doute d’une pensée de Mme Necker sur le style de Mme de Sévigné, il oppose d’un mot la forme de prose encore gracieusement flottante du xviie  siècle à cette élégance plus déterminée du suivant, qu’il appelle succincta vestis ; soit qu’en regard des lettres capricieuses et des mille dons de Mme de Sévigné, toute grâce, il dise des lettres de Mme de Maintenon en une phrase accomplie, assez pareille à la vie qu’elle exprime, et enveloppant tout ce qu’une critique infinie déduirait : « Le plus parfait naturel, une justesse admirable d’expression, une précision sévère, une grande connaissance du monde, donneront toujours beaucoup de valeur à cette correspondance, où l’on croit sentir la circonspection d’une position équivoque et la dignité d’une haute destinée ; » soit qu’il touche l’aimable figure de Vauvenargues d’un trait affectueux et reconnaissant, et qu’il dégage de sa philosophie généreuse et inconséquente les attraits qui le poussaient au christianisme ; soit qu’en style de Vauvenargues lui-même il recommande, dans les Éléments de Philosophie de d’Alembert, un style qui n’est orné que de sa clarté, mais d’une clarté si vive qu’elle est brillante ; — sur tous ces points et sur cent autres, je ne me lasse pas de repasser les jugements de l’auteur, qui sont comme autant de pierres précieuses, enchâssées, l’une après l’autre, dans la prise exacte de son ongle net et fin. […] Dans son Précis, il a écrit sur Quesnel une phrase de vif éloge, qui semble indiquer qu’il n’a pas été étranger à l’heureux choix des pensées de cet auteur, que le Semeur a publié. […] Le vif seul des observations morales, ou le touchant des prières qui terminent, ressortent par instants.

247. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. NISARD. » pp. 328-357

Tandis que ces personnes de talent brillant et d’imagination vive nous développent des vues générales et des synthèses sur le passé, comment veulent-elles qu’on ne doute pas un peu de la réalité de l’idée, quand on les sait se tromper si à bout portant dans les coalitions qu’elles s’imaginent voir éclore sous leurs propres yeux ? […] Nisard traite fort mal, sans aucun adoucissement, et à propos de qui il fait une description spirituelle et chargée de la Pléiade romaine, satire directe de feu ce pauvre Cénacle d’ici, il y a, à la fin de la Thébaïde, un cri, un vœu à la fois modeste et touchant du poëte sur son livre, au moment où il l’achève : Vive, precor : nec tu divinam Eneïda tenta ; Sed longe sequere, et vestigia semper adora ! Ce Vive, precor ! […] Vive memor lethi ; fugit hora ; hoc quod loquor inde est ! […] Mais tout cela, plus loin, se rachète par des traits d’esprit vifs, des souvenirs bien placés, quelque prise à partie intéressante, beaucoup d’acquis bien mis en œuvre.

248. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « UNE RUELLE POÉTIQUE SOUS LOUIS XIV » pp. 358-381

Des réclamations trop vives pour les appointements de son mari la firent jeter en prison : elle y resta huit mois. […] Nos pères aimaient cette émotion suffisante, vive, non prolongée ; Bertaut a des couplets de cette sorte charmants, de vraies naïvetés enchantées. […] Voltaire, de toutes parts entouré, y échappe le plus souvent à force d’esprit et de saillie vive. […] Il a dit lui-même de son esprit : Je l’ai vif dans les reparties Et plus piquant que les orties. […] Il faut se rappeler encore que les Aliscamps ou Mme Des Houlières elle-même a bien dans ses œuvres quelques rondeau tout aussi vif.

249. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Du génie critique et de Bayle »

Bayle, d’après ce qu’on vient de voir, a toujours très-peu résidé à Paris, malgré son vif désir. […] Le mot vif, qui chez Bayle ne se fait jamais longtemps attendre, rachète de reste cette phrase longue que Voltaire reprochait aux jansénistes, qu’avait en effet le grand Arnauld, mais que le Père Maimbourg n’avait pas moins. Bayle lui-même remarque, à ce sujet des périodes du Père Maimbourg, que ceux qui s’inquiètent si fort des règles de grammaire, dont on admire l’observance chez l’abbé Fléchier ou le Père Bouhours, se dépouillent de tant de grâces vives et animées, qu’ils perdent plus d’un côté qu’ils ne gagnent de l’autre. […] Un des écueils de ce goût si vif pour les livres eût été l’engouement et une certaine idée exagérée de la supériorité des auteurs, quelque chose de ce que n’évitent pas les subalternes et caudataires en ce genre, comme Brossette. […] Bayle est, dit-on, fort vif ; et, s’il peut embrasser L’occasion d’un trait piquant et satirique, Il la saisit, Dieu sait, en homme adroit et fin : Il trancheroit sur tout, comme enfant de Calvin, S’il osoit ; car il a le goût avec l’étude.

250. (1875) Premiers lundis. Tome III «  À propos, des. Bibliothèques populaires  »

(Nouvelle et vive approbation.) […] Sainte-Beuve eut la parole au début et prononça le discours suivant :   Messieurs, Il faut que ce soit le sentiment bien vif d’un devoir à remplir qui m’amène ici, — qui m’y ramène malgré un état de santé très-peu satisfaisant, et quoique je sache à l’avance que la faveur du Sénat, qu’il m’a publiquement retirée dans une circonstance regrettable et mémorable, — je veux dire regrettable pour d’autres que pour moi, — quoique cette faveur, dis-je, ne doive point m’être rendue au sujet des quelques observations que j’ai aujourd’hui à lui soumettre. Mais je croirais manquer à ce que je dois à ma qualité d’homme de lettres et aussi à mon office de sénateur, si je ne disais tout haut ce que je pense sur une question où il est fait appel directement à nos convictions les plus vives et les plus profondes. […] J’ai répondu au fond quant à la prétention doctrinale, et aussi du ton le plus vif et avec l’accent de la dignité blessée. […] Dargaud, étude passionnée, d’une imagination vive, mais d’un esprit honnête qui veut être impartial, décrit les événements et les hommes des guerres civiles de France, au seizième siècle.

251. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre II. Deuxième élément, l’esprit classique. »

On en ôte quantité de mots expressifs et pittoresques, tous ceux qui sont crus, gaulois ou naïfs, tous ceux qui sont locaux et provinciaux ou personnels et forgés, toutes les locutions familières et proverbiales356, nombre de tours familiers, brusques et francs, toutes les métaphores risquées et poignantes, presque toutes ces façons de parler inventées et primesautières qui, par leur éclair soudain, font jaillir dans l’imagination la forme colorée, exacte et complète des choses, mais dont la trop vive secousse choquerait les bienséances de la conversation polie. « Il ne faut qu’un mauvais mot, disait Vaugelas, pour faire mépriser une personne dans une compagnie », et, à la veille de la Révolution, un mauvais mot dénoncé par Mme de Luxembourg rejette encore un homme au rang des « espèces », parce que le bon langage est toujours une partie des bonnes façons  Par ce grattage incessant la langue se réduit et se décolore : Vaugelas juge déjà qu’on a retranché la moitié des phrases et des mots d’Amyot357. […] Par son purisme, par son dédain pour les termes propres et les tours vifs, par la régularité minutieuse de ses développements, le style classique est incapable de peindre ou d’enregistrer complètement les détails infinis et accidentés de l’expérience. […] Chez lui la forme est plus belle que le fonds n’est riche, et l’impression originale, qui est la source vive, perd, dans les canaux réguliers où on l’enferme, sa force, sa profondeur et ses bouillonnements. […] Jamais on n’entend le cri involontaire de la sensation vive, la confidence solitaire de l’âme trop pleine370 qui ne parle que pour se décharger et s’épancher. […] À part Charles XII, un contemporain que Voltaire ranime grâce aux récits de témoins oculaires, à part les vifs raccourcis, les lestes croquis d’Anglais, de Français, d’Espagnols, d’Italiens, d’Allemands qu’il sème en courant dans ses contes, ici encore où sont les hommes ?

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