Il y a toute une moitié de la France qui rirait si nous avions la prétention de lui apprendre ce que c’est que Jasmin, et qui nous répondrait en nous récitant de ses vers et en nous racontant mille traits de sa vie poétique ; mais il y a une autre moitié de la France, celle du Nord, qui a besoin, de temps en temps, qu’on lui rappelle ce qui n’est pas sorti de son sein, ce qui n’est pas habituellement sous ses yeux et ce qui n’arrive pas directement à ses oreilles. […] Jasmin y laisse voir un des principaux traits de son talent : il a la gaieté sensible, et, même quand il pleure, on voit rire toujours dans ses larmes un rayon de soleil. […] La vie de Jasmin, de ce gai et riant poète, est remplie de ces traits graves et touchants.
Donnez un motif, un ressort de plus à ce sage, donnez-lui « la gloire, ce puissant mobile de toutes les grandes âmes », faites qu’il se la propose comme un but éclatant qui l’attire sans le troubler, et vous aurez Buffon lui-même, Buffon qui, pour peindre le plus noble idéal de l’homme, n’a eu qu’à en saisir les traits en lui. […] Une comparaison de Buffon avec Montesquieu serait féconde, et achèverait de préciser et de définir les traits caractéristiques de sa forme de nature et de son procédé de talent. […] En revanche, la conversation de Montesquieu était pleine de traits, de saillies et d’images, et ressemblait à ses écrits.
Quand un La Rochefoucauld nous peint Retz et que Retz s’accorde avec lui pour se reconnaître dans les traits principaux de cette peinture, nous n’avons plus qu’à nous taire, pauvres observateurs du lointain, et à nous incliner. […] Notez que Retz en peignant explique, et que la raison politique et profonde des choses se glisse dans le trait de son pinceau. […] Cette galerie, dont les traits cent fois répétés et reproduits depuis remplissent toutes nos histoires, est la gloire du pinceau français, et on peut dire qu’avant Saint-Simon il ne s’était rien écrit de plus vif, de plus éclatant, de plus merveilleusement animé.
Cette antipathie personnelle (et il en eut très peu de ce genre) est un des traits à noter en lui5. […] Il assistait avec sourire à ces excès de passion de ses amis ; même quand il les servait dans l’attaque, il choisissait entre les traits, il s’était fait un cercle à son image, en partie composé d’hommes jeunes que le libéralisme repoussait par ses lieux communs et qui n’étaient royalistes que par préférence politique. […] Michaud en quelques traits, au tome IV des Nouveaux lundis, à l’occasion de l’Histoire de la Restauration par M. de Viel-Castel.
Je pourrais, en citant, donner de jolis mots qui s’y rencontrent ; mais c’est le sens même et la suite qui fait le prix de ce délicieux morceau ; voici quelques traits pourtant : Son esprit, dit-il de Montaigne, a cette assurance et cette franchise aimable que l’on ne trouve que dans ces enfants bien nés, dont la contrainte du monde et de l’éducation ne gêna point encore les mouvements faciles et naturels… Les vérités (dans son livre) sont enveloppées de tant de rêveries, si j’ose le dire, de tant d’enfantillages, qu’on n’est jamais tenté de lui supposer une intention sérieuse… Sa philosophie est un labyrinthe charmant où tout le monde aime à s’égarer, mais dont un penseur seul tient le fil… En conservant la candeur et l’ingénuité du premier âge, Montaigne en a conservé les droits et la liberté. […] Montaigne est original, même dans son érudition ; il l’est jusque dans les traits qu’il emprunte aux autres, « parce qu’il ne les emploie que lorsqu’il y a trouvé une idée à lui, ou lorsqu’il en a été frappé d’une manière neuve et singulière ». […] Au lieu de cela, il a observé une réserve digne ; il s’est borné à donner les traits principaux du caractère, et il a discuté de près les écrits.
L’artiste dramatique, par exemple, est toujours forcé, pour donner l’illusion de la réalité, d’outrer certains traits ; il ne représente la vie qu’avec des infidélités calculées. […] Même en représentant un être moins complexe et plus simple, encore faut-il, — et Léonard de Vinci ne l’ignorait pas, — lui donner une physionomie individuelle, eût-on rassemblé de toutes parts les traits de cette physionomie. […] Ce n’est pas assez de nous peindre un individu, il faut nous peindre une individualité vraiment marquante, c’est-àdire la concentration en un être des traits dominants d’une époque, d’un pays, enfin de tout un groupe d’autres êtres.
Coupeau, gouailleur, bon enfant les yeux gais et le nez camus, un peu niais en plusieurs occasions, se trouve montré tel dans sa cour auprès de Gervaise, et résumé de même par ces mots : « avec sa face de chien joyeux » ; aux premiers chapitres du Ventre de Paris est décrite la beauté calme de Lisa, puis des actes, de raisonnable placidité, double trait que condense encore cette apposition répétée « avec sa face tranquille de vache sacrée » : Saccard, brûlé de toutes les lièvres et de toutes les cupidités, est sans cesse suivi des adjectifs « grêle, rusé, noirâtre », comme Renée, possède cette « beauté turbulente » qui concentre la physionomie ardemment avide de joie, et les passions à subites sautes, de celle dont les faits d’égarement tiennent tout le volume. […] Zola, sous lesquels les traits de sa physionomie morale commencent à affleurer. […] Il a encore ce que personne n’a eu avant lui, le don d’animer ainsi, d’une vie puissante, les êtres moyens, ordinaires, sans traits exceptionnels, et sans autres qualités qu’une grande bonté et une forte volonté.
Nisard semble en avoir imité le procédé en nous montrant l’idée de l’esprit français s’enrichissant successivement dans chaque nouvel écrivain, d’un trait nouveau, d’un caractère nouveau qui manquait au type ; il nous montre cette idée passant par degrés de l’abstrait au concret, du simple au composé ; il nous en montre l’éclosion au xvie siècle, l’épanouissement au xviie siècle, la décadence, coïncidant toutefois avec un nouvel enrichissement, au xviiie. […] Un trait le résume : la création de Versailles. […] Si le trait distinctif de Bossuet est le bon sens, je ne vois vraiment pas ce qui le distingue de Bergier, le solide apologiste du xviiie siècle.