Aimant avant tout le naturel, adorant Molière et La Fontaine, faisant d’eux ses dieux et ne se considérant que comme leur écolier dans son genre, il manqua de bonne heure à Collé l’ambition du talent. […] Collé, avec un talent des plus agréables doublé d’un bon sens solide, manquait d’étendue et d’élévation d’esprit. […] que Béranger était plus avisé lorsqu’il goûtait Chateaubriand, lorsqu’il se glorifiait de le sentir, malgré l’usage si contraire qu’il avait fait de son talent ! […] Il est bon, lorsqu’on prétend juger les hommes célèbres et d’un grand talent, vers qui, pourtant, on ne se sent pas porté de goût, de se contrarier un peu, de faire effort pour être juste ; il est bon, en un mot, d’être un peu gêné ; et Collé, n’écrivant contre Voltaire que pour lui seul ou pour des amis intimes, ne se gêne pas du tout. […] Il convient d’observer un certain art dans l’arrangement des réputations : les grands hommes sont faits pour être connus et étudiés tout entiers ; mais, quand un homme n’a eu qu’un coin de talent, il est inutile de s’étendre sur tout ce qui n’est pas ce talent même.
Cela est assez vrai et le sera de plus en plus, j’espère ; pourtant, jusqu’ici, il y aurait lieu de soutenir, sans trop d’injustice, que cette fièvre de publicité, cette divulgation étourdissante, a eu surtout pour effet de fatiguer le talent, en l’exposant à l’aveugle curée des admirateurs, en le sollicitant à créer hors de saison, et qu’elle a multiplié, en les hâtant, l’essaim des médiocrités éphémères, tandis qu’on n’y a pas gagné toujours de découvrir et d’admirer sous leur aspect favorable certains génies méconnus. […] Ce contemporain, dont le nom n’étonnera que ceux qui n’ont lu aucun de ses trois ouvrages caractéristiques, et qu’un instinct heureux de fureteur ou quelque indication bienveillante n’a pas mis sur la voie des Rêveries, d’Oberman et des Libres Méditations ; l’éloquent et haut moraliste qui débuta en 1799 par un livre d’athéisme mélancolique, que Rousseau aurait pu écrire comme talent, que Boulanger et Condorcet auraient ratifié comme penseurs ; qui bientôt, sous le titre d’Oberman, individualisa davantage ses doutes, son aversion sauvage de la société, sa contemplation fixe, opiniâtre, passionnément sinistre de la nature, et prodigua, dans les espaces lucides de ses rêves, mille paysages naturels et domestiques, d’où s’exhale une inexprimable émotion, et que cerne alentour une philosophie glacée ; qui, après cet effort, longtemps silencieux et comme stérilisé, mûrissant à l’ombre, perdant en éclat, n’aspirant plus qu’à cette chaleur modérée qui émane sans rayons de la vérité lointaine et de l’immuable justice, s’est élevé, dans les Libres Méditations, à une sorte de théosophie morale, toute purgée de cette âcreté chagrine qu’il avait sucée avec son siècle contre le christianisme, et toute pleine, au contraire, de confiance, de prière et de douce conciliation ; fruit bon, fruit aimable d’un automne qui n’en promettait pas de si savoureux ; cet homme éminent que le chevalier de Bouflers a loué, à qui Nodier empruntait des épigraphes vers 1804 ; que M. […] M. de Sénancour n’écrivait, guère encore à cette époque ; il se plaisait plutôt à peindre le paysage dans le sens littéral du mot : en arrivant à un instrument plus général d’expression, il a négligé ce premier talent. […] Au moment où se publiaient obscurément les Rêveries, paraissaient aussi les premiers essais d’un talent plus jeune de dix ans que M. de Sénancour, d’un talent analogue au sien en inspirations, sujet à des vicissitudes non moindres, méconnu, oublié par le même public, et qui a finalement tourné, pour le succès comme pour la direction, d’une manière bien diverse. […] De cette souplesse, de cette facilité dans la vie, ont dû ressortir pour le talent une expansion croissante, une capricieuse dextérité, des replis sinueux sur une circonférence infinie, toutes les modulations murmurantes des roseaux, toutes les changeantes nuances du prisme, l’émail des prairies inclinées ou les reflets des ailes des coléoptères.
J’ai entre les mains les lettres les plus vraies, les plus naïves, les plus modestes, dans lesquelles elle s’ouvrait à moi et de son cœur et de son talent. […] À la place de celui-là, je veux donc vous prier de m’amener Dumas en l’art de qui j’ai trouvé de l’âme, abstraction faite du talent. […] Mais, en même temps, ce grand talent n’arrivait pas à la pleine renommée et au triomphe sans beaucoup d’insultes. […] Je n’ai pas renoncé à espérer qu’un défenseur littéraire se lèverait enfin pour moi, non pour louer mon talent que j’abandonne à la plus sévère critique, mais pour écarter de mon livre les sottes et sales interprétations que l’on y donne. […] Elle a su être naturelle sous les systèmes, comme elle s’est trouvée passionnée sous ses magnificences de talent. — Je dis encore bien des choses que j’ai besoin qu’on aille chercher en moi en m’interrogeant ; car, seul et abandonné à moi-même, j’aime mieux laisser dormir, sans en remuer les abîmes, tous ces beaux lacs profonds du passé. »
Elle ressemble — c’est elle qui le dit avec un mélancolique enjouement — à ces poupées splendides exposées derrière les vitrines du boulevard, qui disent papa, qui disent maman, qui ne coûtent que cinquante francs, avec ce talent d’agrément. […] Toutes ces critiques s’adressent aux caracteres et à la donnée de la pièce ; le talent n’est pas en cause ; on ne saurait lui reprocher que les excès qu’il commet. […] Encore une fois, si le talent pèche, ce n’est que par un abus de force. […] Jamais le talent de M. […] En variant un peu le mot de Chateaubriand, on pourrait dire qu’on a été étonné de la quantité de larmes que contenait le talent de M.
Après des années, c’est par cet ouvrage sur son pays, sur l’Allemagne, que Henri Heine, mûri par la réflexion et par la souffrance, nous introduit à ses œuvres complètes, à l’ensemble de ses pensées, et voilà que nous trouvons, mêlés à un talent suprême, de telles modifications, de tels changements dans le fond même des choses et de l’intelligence, que la Critique — cette jaugeuse des forces spirituelles, qui met la main sur la tête et le cœur des hommes à travers les œuvres, — est obligée de s’y arrêter. […] C’est un jalon, planté magnifiquement et avec une franchise d’une noblesse plus haute que le talent, à nos yeux, dans un champ où, pour sa récompense et pour sa gloire, Heine trouvé le genre d’inspiration qui convient le mieux à son génie, — à son génie qu’il a pris jusqu’ici à contre-sens de sa nature, comme bien des poètes, du reste, ces enfants gâtés et terribles, si souvent inconscients de leurs facultés et capricieux comme la puissance ! […] En effet, et pour ne pas toucher à la question morale qui, pourtant, double toutes autres questions littérairement, et au point de vue du talent seul, Heine a frappé et diminué le sien avec les opinions qu’il a fait régner sur sa vie. […] Pour être cru sur une conversion qui doit agir jusque dans le plus intime de son talent comme de sa pensée, nous avons voulu les citer. […] … Comme nous tous, en effet, Henri Heine, malgré son génie, avait été obligé d’être journaliste, de traîner ce boulet de galérien qui déforme les plus belles jambes du talent.
Dans un ouvrage composé il y a quelques années, j’avais rassemblé les diverses remarques que j’avais été à même de faire sur le grand écrivain, sur son talent prodigieux et son caractère singulier : lorsque ce livre parut, il choqua quelques admirateurs de M. de Chateaubriand, comme si j’avais voulu nuire à cette admiration dans la partie où elle mérite de persister et de survivre. […] Il est certain qu’il a blessé dans son ouvrage (le Génie du christianisme) des convenances importantes, et que même il s’en soucie fort peu, car il croit que son talent s’est encore mieux déployé dans ces écarts. […] Il parle aux autres, c’est pour eux seuls et non pas pour lui qu’il écrit ; aussi c’est leur suffrage plus que le sien qu’il ambitionne, et de là vient que son talent ne de rendra jamais heureux, car le fondement de la satisfaction qu’il pourrait en recevoir est hors de lui, loin de lui, varié, mobile et inconnu. […] alors, si on laisse la question de talent à part et à ne parler qu’au moral, il se gâta décidément ; il se plissa au front et au cœur d’un repli de plus ; il mit un dernier bouton, sauf à le faire sauter de temps en temps quand cela le gênait.
Mais savez-vous bien que cela donne envie à quelques-uns de ceux qui ont connu Victorin Fabre et qui voudraient d’ailleurs observer le respect dû à sa mémoire (et je suis du nombre), que cela leur donne envie de dire tout net que cet écrivain de talent était surtout un écrivain de labeur, qu’il pensait peu, hormis dans les sillons déjà tracés, que sa rhétorique, pour ne s’être pas faite à temps au collége, se prolongea trop longtemps dans les concours académiques, que ces concours académiques où il triompha coup sur coup en vers et en prose ne firent jamais de lui qu’un magnifique écolier, que son front de lauréat ploya, à la lettre, sous le poids de ses couronnes, et que, dès qu’un premier échec l’eut jeté hors de l’arène des concours, on ne retrouva plus en lui, devant le grand public, qu’un talent fatigué et non pas un esprit supérieur ? […] Les concours académiques sont un excellent prélude pour le talent, mais il ne faut pas s’y éterniser. […] C’est un grand malheur pour le talent de devoir son premier triomphe à une iniquité.
Duval ; maintenant en voici les effets désastreux : Comme les jeunes rédacteurs d’un journal scientifique et littéraire emploient beaucoup de talent et d’esprit à prouver que tous les ouvrages français n’ont pas le sens commun et à proposer pour modèles les étrangers, qui n’ont pas d’autre théâtre que le nôtre, il s’en est suivi : 1° que, de nos jours, tout vise à l’originalité, au bizarre ; que la vraisemblance et la raison sont bannies ; et que, à force de chercher la vérité, on arrive au trivial pour tomber bientôt dans l’absurde ; 2° que les jeunes gens, égarés par les prédicateurs des nouvelles doctrines, ne sachant plus quelle est la meilleure route, de celle qu’ont suivie nos pères ou de celle qu’on leur indique, se bornent, en attendant la solution du problème, à faire des tiers de vaudevilles, ou à mettre de petits articles dans les journaux littéraires ; et que notamment l’un d’entre eux, à force d’esprit et de savoir-faire, en est venu (ô scandale !) […] Nous ne le blâmerons point de cette causerie, toute indifférente qu’elle doive paraître au public : on peut en conclure du moins que ce bas monde est encore tolérable aux gens de quelque talent et de quelque réputation, quoique par malheur le temps des Déjeuners dominicaux soit passé. […] Scribe, malgré son esprit et son talent, fasse une complète illusion et qu’il semble un Shakspeare moderne : on sait à quoi s’en tenir sur cette verve fine et pétillante ; mais en espérant mieux, l’on en profite et l’on s’amuse. […] Ainsi, soit dans la constitution politique du pays, soit dans le goût du public, soit dans les talents des artistes, rien ne répugne à la rénovation du théâtre, et tout au contraire y conspire.