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156. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre premier. La contradiction de l’homme » pp. 1-27

Pour comprendre celle-ci, considérons ceux de ses préceptes qui ne regardent que nous, ou plutôt supposons que les prescriptions de la morale individuelle ne concernent que l’individu. […] Mais supposons un moment que les règles de la morale individuelle ne se rapportent qu’au bien de l’individu. […] Cela suppose quelques sacrifices, sans quoi nous vivrions naturellement pour le mieux, et tout précepte serait superflu. […] Il est clair que si leurs intérêts s’harmonisaient naturellement, le problème de la conduite serait bien simplifié, et, à supposer qu’il ne disparût pas, se transformerait singulièrement.

157. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXVI » pp. 413-441

On a supposé que ces remarques justes et inoffensives avaient été rapportées à Boileau, et que c’est à madame de La Sablière que s’appliquent ces quatre vers de sa dixième satire, publiée en 1693, dix-neuf ans après l’épître critiquée, peu avant ou peu après la mort de cette femme aimable, qui eut lieu dans la même année. […] Enfin le poète suppose à sa précieuse une docte demeure, toujours ouverte aux beaux esprits, où se tiennent les bureaux du faux bel esprit, où s’étale une école de mauvais sens prêché par une folle ; aucun de ces traits n’est applicable à madame Deshoulières, qui n’était point une folle, qui ne tenait point école, qui n’avait point de maison, point de cercle, qui était fort pauvre, allait dans le monde chercher le monde, et passait une grande partie de son temps à l’hôtel de Nevers. […] Le témoignage public de l’affection de La Fontaine pour madame de Sévigné suffirait pour démentir les écrivains qui la supposent décriée dans les écrits d’un des quatre amis. […] Mais sans considérer que toutes ces personnes n’avaient pas besoin d’un bien grand discernement pour reconnaître si elles ou leurs amis étaient l’objet de satires courantes, il aurait suffi de leur supposer un peu de cette curiosité maligne qui ne manque jamais aux bénévoles auditeurs d’une satire.

158. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre septième. Les sentiments attachés aux idées. Leurs rapports avec l’appétition et la motion »

Selon nous, le vrai thème simple, que toute motion et toute émotion suppose, c’est l’appétition. […] Les rapports du rythme ou de la symétrie, par exemple, ne nous plaisent pas seulement, comme le supposait Euler, parce qu’ils accroissent notre connaissance des choses ; on peut dire plutôt qu’ils nous les font connaître et apprécier par le plaisir même qu’ils nous causent.

159. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 3, que le merite principal des poëmes et des tableaux consiste à imiter les objets qui auroient excité en nous des passions réelles. Les passions que ces imitations font naître en nous ne sont que superficielles » pp. 25-33

Son imagination alterée lui fit faire des extravagances semblables à celles que Cervantes fait faire en une folie du même genre, mais d’une autre espece, à son dom Quichotte, après avoir supposé que la lecture des prouesses de la chevalerie errante eut tourné la tête à ce bon gentilhomme. Il est bien rare de trouver des hommes qui aïent en même tems le coeur si sensible et la tête si foible ; supposé qu’il en soit veritablement de tels, leur petit nombre ne merite pas qu’on fasse une exception à cette regle generale : que notre ame demeure toujours la maîtresse de ces émotions superficielles que les vers et les tableaux excitent en elle.

160. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 31, que le jugement du public ne se retracte point, et qu’il se perfectionne toujours » pp. 422-431

Ainsi deux ou trois années suffisent bien au public pour connoître si le poëme nouveau est bon ou s’il est médiocre, mais il lui faut peut-être un siecle pour en connoître tout le mérite, supposé qu’il soit un ouvrage du premier ordre dans son espece. […] La seconde est de le supposer plus éloigné de la perfection des ouvrages des anciens qu’il ne l’est en effet.

161. (1890) L’avenir de la science « XXII » pp. 441-461

Pascal voulait emprunter à Montaigne ses arguments sceptiques et leur donner une place de premier ordre dans son apologétique. « On ne peut voir sans joie, dit-il, dans cet auteur, la superbe raison si invinciblement froissée par ses propres armes… et on aimerait de tout son cœur le ministre d’une si grande vengeance, si… 192 » Quand le scepticisme est devenu de mode, il ne suppose ni pénétration d’esprit ni finesse de critique, mais bien plutôt hébétude et incapacité de comprendre le vrai. « Il est commode, dit Fichte, de couvrir du nom ronflant de scepticisme le manque d’intelligence. […] L’action paraît à plusieurs un moyen d’éviter la duperie où la frivolité suppose que se laissent tomber les hommes de pensée et de sentiment. […] Ce qu’il nous faut, ce n’est pas la bonhomie qui excite la défiance, parce qu’elle suppose courte vue. […] La passion suppose exclusion, antagonisme, partialité. […] La science la plus vide d’objet, les mathématiques, est précisément celle qui passionne le plus, non pas tant par sa vérité que par le jeu des facultés et la force de combinaison qu’elle suppose.

162. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre VI. Le Bovarysme essentiel de l’humanité »

Cela suppose qu’il détient un double pouvoir, que d’une part il est apte à discerner ce qu’il convient de faire de ce, qu’il convient d’éviter, le bien du mal ; que, d’autre part, ayant fait cette distinction, il est en son pouvoir de conformer sa conduite à son choix. […] Un acte libre, et qui semble supposer un choix entre plusieurs autres, exige l’intervention de la conscience : il faut admettre qu’en présence d’un acte à accomplir plusieurs réalisations possibles se reflètent par avance dans la conscience. […] L’acte même par lequel un esprit veut se rendre attentif et susciter dans le champ de la conscience des motifs de se résoudre nouveaux et plus forts, cet acte même ne suppose aucune liberté, car il est accompli par celui-ci et ne l’est pas par celui-là, bien que celui-ci et celui-là aient un intérêt identique à l’accomplir. […] Le libre arbitre, ainsi qu’on l’a dit, supposerait en effet chez l’homme le pouvoir de conformer toujours ses actes aux conclusions de sa raison. […] L’inclination vers ce que l’on nomme le bien moral suppose toujours un certain degré de prédominance de la faculté d’imaginer sur la sensibilité immédiate : mais elle peut résulter aussi bien, car il ne s’agit là que d’un rapport, de la faiblesse de celle-ci que de la force de celle-là, en sorte que parmi ceux que la morale qualifie bons et qui se conforment aux prescriptions fixées par l’idéal social ou religieux du moment, il y a déjà des différences extrêmes.

163. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre V. La parole intérieure et la pensée. — Premier problème : leurs positions respectives dans la durée. »

Or notre langue maternelle ne nous est devenue familière qu’avec le temps, et les réflexions que nous trouvons toutes simples aujourd’hui, enfants, elles eussent fait honneur à notre sagacité ; enfin, l’inspiration et la verve supposent un esprit cultivé et exercé : d’ordinaire, on n’est inspiré que dans l’ordre d’idées sur lequel la réflexion se porte de préférence ; le génie, a-t-on dit, est une longue patience ; en d’autres termes et plus exactement, la découverte est l’effet et la récompense d’une longue et patiente recherche ; si l’on trouve sans chercher, c’est qu’on avait cherché sans trouver244. Ainsi, la facilité en toutes choses, c’est-à-dire la rapidité des consécutions, suppose ou des habitudes que l’on suit, ou des habitudes dont on s’écarte peu, et l’invention prompte est la moindre invention. […] Voilà une autre variété de l’inspiration ; mais, comme la première, — et nous le montrons ici même, — elle suppose dans le passé de longs efforts de réflexion, dont nous profitons aujourd’hui sans avoir besoin de les renouveler ; la qualité des concepts usuels que chacun de nos mots porte avec lui fait pour une grande part la qualité de nos jugements nouveaux ; et l’influence du passé ne se borne pas là : les jugements nouveaux supposent nécessairement des concepts préétablis dans l’esprit ; mais la réunion de ces concepts, pour être imprévue, n’est pas absolument nouvelle ; un jugement nouveau imite toujours des jugements anciens ; il suit des habitudes dont il s’écarte ; or ces habitudes n’existent pas dans la pensée sans correspondre à certaines habitudes du langage ; certains mots sont dans notre mémoire à l’état de camaraderie, pour ainsi dire [ch. […] De Bonald semble avoir été de ces privilégiés ; du moins, en le lisant, on le suppose volontiers ; un esprit étroit et absolu, qui n’a jamais eu qu’un petit nombre d’idées, qui, une fois trouvée la formule concise de chacune d’elles, s’est désormais cité lui-même comme un credo, et qui, ayant, en quelque sorte, emprisonné sa pensée dans ses propres sentences, n’a jamais rencontré sous sa plume le commentaire varié, abondant, persuasif, par lequel il eût éclairé ses lecteurs sur la part de vérité contenue dans ses aphorismes, un tel esprit devait croire à la simultanéité du signe et de l’idée, et même à une harmonie préétablie entre eux de toute éternité ; il constitue donc parmi les écrivains une de ces exceptions qui confirment la règle.

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