/ 2298
32. (1915) La philosophie française « II »

En un mot, l’union étroite de la philosophie et de la science est un fait si constant, en France qu’il pourrait suffire à caractériser et à définir la philosophie française. […] Assurément ce trait ne pourrait plus suffire, comme le précédent, à définir la tradition française, car l’aptitude à se sonder soi-même, et à pénétrer sympathiquement dans l’âme d’autrui, est sans doute aussi répandue en Angleterre et en Amérique, par exemple, qu’elle l’est en France. […] Pascal a dit que l’« esprit géométrique » ne suffisait pas : le philosophe doit y joindre l’« esprit de finesse ».

33. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — C — article » pp. 428-429

Le seul nom de Cléopatre, de Cassandre, de Pharamond, suffisent aujourd’hui pour faire peur à nos Lecteurs delicats, & pour mettre en jeu les plaisanteries des petits Auteurs. […] Ce trait seul suffit pour faire connoître le caractere de ce Romancier, à qui l’on reproche avec raison d’avoir communiqué son gasconisme à la plupart de ses Héros.

34. (1757) Réflexions sur le goût

La justesse de l’esprit, déjà si rare par elle-même, ne suffit pas dans cette analyse ; ce n’est pas même encore assez d’une âme délicate et sensible ; il faut de plus, s’il est permis de s’expliquer de la sorte, ne manquer d’aucun des sens qui composent le goût. […] Il ne suffit pas à un philosophe d’avoir tous les sens qui composent le goût ; il est encore nécessaire que l’exercice de ces sens n’ait pas été trop concentré dans un seul objet. […] La simplicité de nos aïeux était peut-être plus fortement remuée par les pièces monstrueuses de notre ancien théâtre, que nous ne le sommes aujourd’hui par la plus belle de nos pièces dramatiques ; les nations moins éclairées que la nôtre ne sont pas moins heureuses, parce qu’avec moins de désirs elles ont aussi moins de besoins, et que des plaisirs grossiers ou moins raffinés leur suffisent : cependant nous ne voudrions pas changer nos lumières pour l’ignorance de ces nations et pour celle de nos ancêtres. […] Ce petit nombre de réflexions paraît devoir suffire pour justifier l’esprit philosophique des reproches que l’ignorance ou l’envie ont coutume de lui faire.

35. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Sur la reprise de Bérénice au Théâtre-Français »

Pourquoi l’intelligence critique ne consentirait-elle pas au même effort équitable pour apprécier convenablement des œuvres moins hautes sans doute, plus délicates souvent, sociales au plus haut degré, et qu’il suffit de reculer légèrement dans un passé encore peu lointain, pour y ressaisir toutes les justesses et toutes les grâces ? […] Un seul vers, infini de rêverie et de tristesse, suffirait à sa gloire : Dans l’Orient désert quel devint mon ennui ! […] C’est par lui et par sa lutte sérieuse que le poëte remettait son œuvre sur le pied tragique, et prétendait corriger ce que le reste de la pièce pouvait avoir de trop amollissant : « Ce n’est point une nécessité, disait-il en répondant aux chicanes des critiques d’alors, qu’il y ait du sang et des morts dans une tragédie : il suffit que l’action en soit grande, que les acteurs en soient héroïques, que les passions y soient excitées, et que tout s’y ressente de cette tristesse majestueuse qui fait tout le plaisir de la tragédie. » Geoffroy, qui cite ce passage dans son feuilleton sur Bérénice, s’en fait une arme contre ceux qu’il appelle les voltairiens en tragédie, et qu’il représente comme altérés de sang et et de carnage dramatique. […] Il faut qu’il y ait beaucoup de science dans la contexture de Bérénice pour qu’une action aussi simple puisse suffire à cinq actes, et qu’on ne s’aperçoive du peu d’incidents qu’à la réflexion. […] Cette nature d’intérêt, ce me semble, doit suffire ; on ne sent jamais d’intervalle ni de pause.

36. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XVII. De la littérature allemande » pp. 339-365

Il faut s’en tenir aux principes universels de la haute littérature, et n’écrire que sur les sujets où il suffit de la nature et de la raison pour se guider. […] Vous, nation éclairée, vous, habitants de l’Allemagne, qui peut-être une fois serez, comme nous, enthousiastes de toutes les idées républicaines, soyez invariablement fidèles à un seul principe, qui suffit, à lui seul, pour préserver de toutes les erreurs irréparables. […] Il suffit d’un jour où l’on ait pu prêter un appui par quelques pensées, par quelques discours, à des résolutions qui ont amené des cruautés et des souffrances ; il suffit de ce jour pour tourmenter la vie, pour détruire au fond du cœur, et le calme, et cette bienveillance universelle que faisait naître l’espoir de trouver des cœurs amis partout où l’on rencontrait des hommes. […] Il existe une foule de bons ouvrages en allemand, que je n’ai point indiqués, parce que ceux que j’ai nommés suffisaient pour prouver ce que je disais du caractère de la littérature allemande en général.

37. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Préface » pp. 1-22

Dans cette recherche, la conscience, qui est notre principal instrument, ne suffit pas à l’état ordinaire ; elle ne suffit pas plus dans les recherches de psychologie que l’œil nu dans les recherches d’optique. […] Très probablement, la nouvelle loi mécanique sur la conservation de la force est une dérivée peu distante de cette loi suprême ; car elle pose que tout effet engendre son équivalent, c’est-à-dire un autre effet capable de reproduire le premier sans addition ni perte, que la chute d’un poids engendre son équivalent, c’est-à-dire la quantité de chaleur nécessaire et suffisante pour faire remonter le poids jusqu’à la hauteur d’où il est tombé, que la quantité de chaleur dépensée pour élever un poids engendre son équivalent, c’est-à-dire l’ascension du poids jusqu’à la hauteur qu’il lui faut atteindre et qu’il lui suffit d’atteindre pour que sa chute régénère la quantité de chaleur dépensée. […] Selon Herbert Spencer, pour l’empêcher de s’établir, il suffirait d’une différence initiale quelconque, inhérente ou adventice, aussi petite que l’on voudra, introduite ou innée dans les éléments d’ailleurs aussi homogènes que l’on voudra. […] Pour l’embrasser tout entière, il faudrait à la théorie de l’intelligence ajouter la théorie de la volonté ; si je juge de l’œuvre que je n’ose encore entreprendre par l’œuvre que j’ai essayé d’accomplir, mes forces ne suffiront pas ; tout ce que je me hasarde à souhaiter, c’est que le lecteur accorde à celle-ci son indulgence, en considérant la difficulté du travail et la longueur de l’effort.

38. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre IV. Construction de la société future »

Pour comprendre et appliquer ces vérités, il n’est pas besoin d’étude préalable ou de réflexion profonde : il suffit du bon sens et même du sens commun. […] Il est admis que, d’elle-même et par sa propre force, la théorie engendre la pratique, et qu’il suffit aux hommes de décréter ou d’accepter le pacte social pour acquérir du même coup la capacité de le comprendre et la volonté de l’accomplir. […] Car il a des sens comme nous, et les sensations rappelées, combinées, notées par des signes, suffisent pour former « non seulement toutes nos idées, mais encore toutes nos facultés430 ». […] Il suffit des moindres notions physiologiques pour savoir qu’elle est un état d’équilibre instable, lequel dépend de l’état non moins instable du cerveau, des nerfs, du sang et de l’estomac. […] Là-dessus, dès à présent, il suffit de voir chez nos philosophes, chez nos politiques, l’idylle en vogue  Si tels sont les esprits supérieurs, que dirons-nous de la foule, du peuple, des cerveaux bruts et demi-bruts ?

39. (1841) Matinées littéraires pp. 3-32

Il faut la chercher dans des milliers de volumes, où de longs et pénibles travaux suffisent à peine pour la découvrir. […] Dans l’histoire, il ne nous suffit pas de savoir qu’une bataille est gagnée, nous voulons encore connaître le vainqueur ; dans les arts, après avoir admiré l’œuvre, nous cherchons le nom de l’artiste. […] On se persuade généralement que l’homme parle comme il marche, et qu’il lui suffit, pour parler comme pour marcher, des leçons qu’il reçoit dans son enfance de sa mère ou de sa nourrice. […] Pour répondre à la première question, il suffit de jeter un regard sur notre nature. […] C’est surtout dans la conversation qu’il ne suffit pas de dire de bonnes choses ; il faut encore les bien dire.

/ 2298