Dès sa sortie du collège, Roederer eut un caractère marqué ; il se forma, d’après l’ensemble de ses lectures et de ses réflexions, une idée (sans doute trop embellie) de la vie sociale et des moyens de la réaliser ; il comprit vite, dans son premier contact avec les gens réputés mûrs et sensés, que cette manière de voir était peu agréée ; il se contint et resta enthousiaste au-dedans. […] Mais lorsque ces sentiments qui, à des degrés différents, sont plus ou moins ceux de toute jeunesse, continuent de s’exalter à des époques où il suffirait d’améliorer et de vivre sans avoir à régénérer, il importe qu’on les contienne et qu’on les détourne sans y trop abonder et sans y donner jour en tous sens : autrement la vie sociale ne serait qu’une révolution continuelle, et chaque génération, en y entrant, ferait explosion à son tour. […] En novembre 1788, sous le titre : De la députation aux États généraux, il publiait une brochure où il exposait ses principes, et où l’on trouve le type de toutes les opinions qu’il allait professer à l’Assemblée : Je m’étais fait, disait-il après des années en se jugeant lui-même, une théorie de l’État social bien ordonné, d’après les écrits philosophiques les plus accrédités alors, et d’après mes propres réflexions. […] Jamais il n’abjura le fonds d’idées de 1789 ni la conquête de certains résultats civils, politiques, auxquels sa raison ne pouvait renoncer ; il continua d’être le citoyen résolu d’une société sans privilèges : mais il devint plus méfiant dans sa poursuite du mieux ; sa logique, inflexible apprit à connaître les obstacles, les limites ; il ne fit plus abstraction de la nature et des passions des hommes dans cet art social qui s’applique avant tout aux hommes mêmes, qui opère sur eux et par eux. […] Nous le verrons sortir de sa retraite tout à fait mûri, dévoué à la restauration de l’esprit public et de l’ordre social, sans abjuration de rien d’essentiel.
Personne n’est le siège et la raison sociale de créations spontanées. […] Ainsi, le théâtre qui n’était, avons-nous vu, propre qu’à l’évocation des vies humaines et sociales, n’est, voyons-nous maintenant, apte qu’à l’évocation de celles de ces vies, qui sont (coïncidence significative avec la terminologie dramatique) théâtrales et décoratives. […] Bien qu’il ne soit pas malaisé de montrer, dans les drames religieux de l’Inde ancienne, l’image d’une vie tout intérieure mais que des cultes pieux faisaient sociale ; dans les tragi-comédies du moyen âge espagnol, la double expression du mélange trouble, d’un obscurantisme fanatique et d’une nature lumineuse ; dans les licencieuses fantaisies du théâtre italien plus moderne, la mise en scène d’une société brillante et dissolue ; — mieux vaut rappeler, pour convaincre par des exemples tout à fait décisifs, les deux peuples dont la vie sociale fut le plus harmonieuse, et la vie théâtrale le plus artistique, la Grèce et la France. […] Cependant, le charme des relations de salon mérita d’être fixé au théâtre par la grâce de Marivaux ; la turbulence des parvenus de l’argent inspira la vigueur de Lesage ; et l’échauffement des discussions sociales alluma la verve de Beaumarchais.
Personne n’est le siège et la raison sociale de créations spontanées. […] Ainsi, le théâtre qui n’était, avons-nous vu, propre qu’à l’évocation des vies humaines et sociales, n’est, voyons-nous maintenant, apte qu’à l’évocation de celles de ces vies qui sont (coïncidence significative avec la terminologie dramatique) théâtrales et décoratives. […] Bien qu’il ne soit pas malaisé de montrer, dans les drames religieux de l’Inde ancienne, l’image d’une vie tout intérieure, mais que des cultes pieux faisaient sociale ; dans les tragi-comédies du moyen âge espagnol, la double expression du mélange trouble, d’un obscurantisme fanatique et d’une nature lumineuse ; dans les licencieuses fantaisies du théâtre italien plus moderne, la mise en scène d’une société brillante et dissolue ; — mieux vaut rappeler, pour convaincre par des exemples tout à fait décisifs, les deux peuples dont la vie sociale fut le plus harmonieuse, et la vie théâtrale le plus artistique, la Grèce et la France. […] Cependant, le charme des relations de salon mérita d’être fixé au théâtre par la grâce de Marivaux ; la turbulence des parvenus de l’argent inspira la vigueur de Lesage ; et l’échauffement des discussions sociales alluma la verve de Beaumarchais.
C’est surtout en l’étudiant de près qu’on se convainc qu’une grande influence sociale a toujours sa raison, et que, sous ces fortunes célèbres qui se résument de loin en un simple nom qu’on répète, il y a eu bien du travail, de l’étude et du talent ; dans le cas présent de Mme Geoffrin, il faut ajouter, bien du bon sens. […] Mme Geoffrin ajoute un nom de plus à cette liste des génies parisiens qui ont été doués à un si haut degré de la vertu affable et sociale, et qui sont aisément civilisateurs. […] Sa sensibilité s’était perfectionnée par la pratique du bien et par un tact social exquis. […] Elle ne soupçonne pas le mal. » Ici, au contraire, cette bienfaisance mondaine et sociale cherche son plaisir, son goût particulier et sa satisfaction propre, et il s’y mêle de plus un peu de malice et d’ironie. […] Respectons, honorons donc la libéralité naturelle et raisonnée de Mme Geoffrin ; mais reconnaissons toutefois qu’il manque à toute cette bonté et à cette bienfaisance une certaine flamme céleste, comme il manque à tout cet esprit et à cet art social du xviiie siècle une fleur d’imagination et de poésie, un fond de lumière également céleste.
Rome n’échappa aux guerres sociales qu’en ouvrant ses rangs aux alliés, après les avoir vaincus. […] Je suppose un savant et laborieux chercheur qui ait trouvé, sinon la solution définitive, du moins la solution la plus avancée du grand problème social. […] Tout état social est forcément illégal, en tant qu’imparfait, et tend toujours à plus de légalité, c’est-à-dire à plus de perfection. […] Mais, de fait, le suffrage universel n’est légitime que s’il peut hâter l’amélioration sociale. […] Fichte a osé concevoir un état social si parfait que la pensée même du mal fût bannie de l’esprit de l’homme.
Napoléon à son entrée à Moscou et s’ensanglantant l’esprit de ce dessein, qui perd toute cette barbarie assumée après quelques mots d’un insignifiant entretien avec un Français par qui il ne peut s’empêcher de se sentir ressaisi de tous les liens sociaux. […] Lévine et sa femme, Karénine, Anna, Wronsky, le prince Oblonsky et la princesse Dolly, la famille Cherbatky, les amis et les amies de tous ces gens, les enfants, les serviteurs et les paysans, font du roman contemporain de Tolstoï, une œuvre enchevêtrée et confuse, comble et embrouillée qui choque déjà toutes les règles d’unité et d’élaguement qui nous sont familières ; mais qu’est cette complication devant celle des trois gros volumes de La Guerre et la Paix où les vies complètes du prince André, du prince Pierre, de Nicolas Rostow, mêlées aux destins des membres de leurs familles, entourés d’une foule véritable de satellites, de connaissances, se poursuivent à travers de grandioses récits de batailles, de négociations, d’entrevues, dans lesquelles figurent tous les personnages célèbres du temps, à travers les scènes populaires, rustiques et sociales qui constituent toute l’histoire politique et intime d’un peuple ? […] La Guerre et la Paix atteint presque ainsi au véritable but du roman réaliste, celui de contenir non pas un cas particulier et spécial auquel la sympathie ne se concède en somme que par politesse, mais de comprendre quelque large ensemble social, do façon à satisfaire le plus profond et le plus universel des intérêts humains, celui qui lie chacun à la communauté de tous, au monde. […] Les vieux aspects des cieux et des horizons, les grandes et antiques scènes des champs, de la route, de la guerre, de la ville, toutes les mille cérémonies de la vie sociale dont il s’est détourné avec indifférence, lui apparaissent à nouveau définis et retracés avec la vision obstinément exacte et clignante d’un prestigieux dessinateur, dont les claires pupilles savent prendre aux choses les vrais reflets. […] Par une vertu particulière de la race slave, ou par un penchant de l’écrivain, les hommes de Tolstoï sont naturellement bons, portés d’un premier mouvement affectueux vers leurs semblables, disposés d’instinct à la confiance, à la compassion, aptes à sentir, en dépit des hiérarchies et des préjugés sociaux, les penchants secrets de fraternité qui forcent finalement les hommes à agir humainement l’un à l’égard de l’autre.
L’homme n’est pas seul, il vit dans une société, dans un milieu social, et dès lors pour nous, romanciers, ce milieu social modifie sans cesse les phénomènes. […] Quel était réellement leur rang, leur position sociale ? […] Tout mouvement social entraîne un mouvement intellectuel. […] c’est la part de l’ordure humaine, aux heures de crise sociale. […] Les œuvres écrites sont des expressions sociales, pas davantage.
Il avouait tout haut qu’il avait entendu faire dans ce livre un diagnostic social. […] Pour Rousseau, son roman n’est, comme l’Émile, qu’un véhicule d’idées sociales. […] Il s’appelait lui-même un docteur ès Sciences sociales. […] C’est l’ordre social tout entier que M. de Bethmann a renié, quand il a craché sur le « chiffon de papier ». C’est l’ordre social tout entier que l’Empereur allemand a piétiné quand il a franchi la frontière belge.