Coligny, le protestant d’action, au xvie siècle, — et on sait à quoi l’action condamne les hommes les plus purs et les mieux intentionnés, qui en ont le génie, — Coligny, enfoncé dans les faits tumultueux et sanglants de son siècle, est nécessairement au-dessous, aux yeux d’un philosophe comme M. […] Dans cette histoire, écrite d’enthousiasme et avec une générosité que je ne reproche pas à son auteur, qui non seulement aime le grand xvie siècle, mais qui en est enivré, ce portrait du chancelier de l’Hôpital, envahissant presque toute la toile historique du siècle, et la conception de son personnage historique agrandie jusqu’à l’absolu, sont les deux plus grandes prodigalités d’imagination, d’attendrissement et même de talent qu’il y ait dans le livre de M. […] L’auteur, qui n’écrit pas l’histoire d’un siècle, quoiqu’il en traverse plusieurs, mais qui, comme on dit maintenant, écrit celle d’une, idée, s’arrête à cet édit de Nantes qui forme une histoire de cette idée, en réalisant par Henri IV, que du moins il ne grandit pas, la politique de ce Michel de l’Hôpital, grandi outre mesure et qui doit éprouver de grands malaises de modestie, dans le fond de sa tombe, s’il peut s’y douter d’avoir sur terre un tel historien. […] l’historien de la liberté religieuse a rejeté ce joug du sien, et il nous a donné, pour la première fois, le Machiavel vrai, qui a fait tous les crimes de son siècle à l’image de sa pensée, et il nous a dit avec une merveilleuse éloquence qu’on n’est jamais plus grand que le mépris, lorsque l’on est un pervers.
1833 Dans les dernières années de la Restauration, quelques jeunes hommes, attachés à ce régime par leur naissance, leur éducation et leurs premières doctrines, mais aussi empreints, à un certain degré, de l’esprit du siècle, ou du moins comprenant et appréciant cet esprit avec une impartialité remarquable, fondèrent, sous le titre de Correspondant, un journal qui, avec moins d’éclat et d’influence, suivit, dans l’école religieuse et royaliste, une ligne assez analogue à celle du Globe dans l’école libérale et philosophique. […] Elle ne s’adressait pas au gros du siècle, à la masse de la jeunesse et de la population, que des affections et des croyances contraires entraînaient bien au delà ; mais, au sein du parti religieux et royaliste, elle cherchait à convaincre quelques esprits moins immobiles, moins irrémissiblement voués à l’entière tradition du passé, quelques âmes élevées et judicieuses, pures d’ambition, amoureuses de la vérité, et ne désespérant pas de la Providence, même dans des voies un peu nouvelles. […] Voici la profession de foi politique du siècle, suivant M. de Carné, et nous la ratifierions en tout point, sous la réserve de l’expliquer et de la préciser : 1° Tout pouvoir tire sa légitimité de sa conformité à la loi morale et à l’utilité du plus grand nombre : son droit est subordonné à cette utilité reconnue par les corps politiques auxquels le pays a confié mission de la constater ; 2° aucune classification permanente de la société n’est désormais possible, et une aristocratie mobile et personnelle tend à remplacer l’aristocratie héréditaire légale ; 3° les idées tendent, selon les progrès graduels des mœurs, à faire prévaloir le principe électif pour les fonctions publiques ; 4° la publicité est désormais la condition essentielle du pouvoir, en même temps qu’elle deviendra son principal appui.
Lorsqu’on y est rentré après des siècles, on a relevé celles des statues brisées qui jonchaient encore le parvis ; on a recueilli les débris reconnaissables, on a tiré parti des moindres parcelles : le palais est remeublé à l’œil ; les lacunes sont, tant bien que mal, dissimulées. […] Pour peu qu’on regarde de près dans l’antiquité, on est frappé de tout ce qu’elle contenait de divers, de ce qu’elle cumulait déjà depuis des siècles avec une sorte d’encombrement. […] Oui, pour deux ou trois siècles peut-être, et puis c’est tout.
Aujourd’hui, c’est un retour vers le passé, un suprême et expansif mouvement d’adieu vers le xviiie siècle, au moment où ce siècle, enfoncé déjà avant sous l’horizon, retire de nous ses derniers reflets et ne dore plus même les cimes. […] Lerminier, qui voulait surtout envisager l’influence générale des idées sur les lois, la communication lumineuse, atmosphérique, à distance, des unes et des autres, et l’ensemble du siècle sur place, avec ses contrastes, ses passions et ses grands hommes. […] … » Et en continuant sa recherche, l’écrivain ne découvre dans l’opposition de ce siècle que Gilbert qui puisse compter.
Qu’on prenne le genre qu’on voudra, discours, histoires, romans, comédies, on verra qu’il y a peu d’œuvres qui réussissent, encore moins qui durent à travers les siècles, sans une bonne économie : et pour peu qu’on ait de curiosité, on découvrira dans la multitude innombrable des écrits oubliés, pour peu qu’on ait d’attention, on notera dans le passage incessant des écrits qui ne naissent que pour mourir, plus d’une œuvre que les plus hautes qualités, que des morceaux admirables, des beautés singulières, semblaient adresser à l’immortalité. […] « J’aimerais autant qu’on me dît que je me suis servi de mots anciens ; et comme si les mêmes pensées ne formaient pas un autre corps de discours par une disposition différente, aussi bien que les mêmes mots forment d’autres pensées par leur différente disposition. » Ainsi pensait Pascal, et tout son siècle avec lui. Dans ce siècle, le plus vraiment riche et fécond de notre littérature, nul ne semble se soucier d’inventer sa matière.
Le siècle se meurt. […] Et il est vrai que ce fut une bacchanale monstre, une orgie effrénée où, pour l’illustration des mœurs baptisées « fin de siècle », on voit des princesses enlever des tziganes et des têtes couronnées folâtrer avec des danseuses impubères. […] Ces mœurs « fin de siècle » ne sont pas à proprement les siennes.
Mais tout à coup éclate ce couac anachronique : « Il a dû naguère, à Guernesey, s’amuser beaucoup des journaux religieux, qui annonçaient, avec une douce charité chrétienne, que, frappé par Dieu dans son orgueil, Victor Hugo venait d’être atteint de folie. » Et Claretie nous raconte encore, en plein 1902 : « On entourait le poète qui, souriant devant cette mort, qui n’est heureusement pas près de le toucher, disait parfois avec sa gaîté robuste : — Il est peut-être temps de désencombrer mon siècle. » Que contiennent ces vieux articles mal repeints que Claretie et Fasquelle nous vendent honnêtement pour du neuf ? […] Il nous signale par exemple « la Légende des Siècles dont les chansons exquises nous charmaient ». La légende des siècles exquise !
C’est la littérature qui opère ce phénomène de la transmission de l’âme, non plus d’un homme à un homme, mais d’un siècle à cent autres siècles. […] Voici ce que nous écrivions nous-même récemment sur cette question ou plutôt sur ce mystère : « Nous plaignons sincèrement les philosophes qui discutent depuis des siècles pour savoir si c’est l’homme qui a inventé la parole.