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319. (1884) Articles. Revue des deux mondes

Ce sont des armes à deux tranchans qui, selon l’usage qu’on en fait, peuvent produire plus de mal que de bien et blesser ceux-là même qui s’en servent. […] « La nature, dit-il, emploie toujours, si rien ne l’en empêche, deux organes spéciaux pour deux fonctions différentes ; mais quand cela ne se peut, elle se sert du même instrument pour plusieurs usages ; cependant il est mieux qu’un même organe ne serve pas à plusieurs fonctions. » N’est-ce pas aussi à la lumière du principe des causes finales qu’Aristote entrevoit la grande loi de la continuité dans la nature ? […] Cette fin n’est pas séparable des élémens qui lui servent de moyens, mais elle n’en est pas l’effet. […] Pourtant le philosophe grec a démêlé avec une singulière pénétration le vrai caractère de l’espèce, celui même qui sert à la déterminer encore aujourd’hui et qui est tiré de la reproduction. […] L’empereur Frédéric II ne croit pas mieux servir une science dont il est épris et dont il fut lui-même à cette époque un des promoteurs, qu’en propageant de toutes manières l’œuvre d’Aristote.

320. (1926) L’esprit contre la raison

La Raison fut la pioche dont on lui apprit à se servir pour creuser sa niche à même ce qu’on appelait sans modestie culture, civilisation. […] Pour donner tout son sens au simple geste humain, son principe, il doit pousser hors de la réalité quotidienne la créature qui lui sert de truchement. […] Servi par un sens peu commun des valeurs, l’auteur du Manifeste du surréalisme assigne ainsi à la raison son véritable rôle qui est de contrôle. […] La référence à Paul Valéry ne sert pas seulement de tremplin au texte ; la critique de « La Crise de l’esprit » est le fil conducteur de la réflexion de Crevel. […] La dernière phrase du paragraphe éclaire la visée de ces généralités un peu tortueuses par l’expression claire de la thèse  promise dès le titre : la raison et l’esprit ne sont pas une même faculté, la première a longtemps servi d’alibi à la négation du second.

321. (1928) Quelques témoignages : hommes et idées. Tome II

L’imitation de l’Angleterre a mal servi nos hommes d’État. […] Théophile Gautier, dans sa préface aux Fleurs du Mal, a nommé la femme qui a servi de modèle au peintre. […] Mais, pour me servir d’une expression employée par le mystique Swedenborg, ils n’étaient pas du même ciel. […] Ces eaux captées leur servent d’encadrement. […] Vous savez comme il l’a servie jusqu’à son dernier jour et comme il la sert encore par son œuvre dont il nous a confié la garde, et je suis certain, messieurs et chers confrères, d’exprimer votre sentiment à tous, en disant que nous en sommes très fiers.

322. (1883) Le roman naturaliste

L’Éducation sentimentale en peut servir de preuve. […] Mais, en tout cas, il fallait y parer et c’est à quoi servit le roman historique. […] Il semble qu’il puisse servir à deux choses très utilement. […] ce sont les moyens eux-mêmes du romantisme qui servaient d’instruments à cette dérision du romantisme. […] Il est superflu de dire qu’elle ne tient à rien ni ne sert de rien.

323. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 novembre 1885. »

. — Dans sa phase de repentir, elle éprouve un besoin fiévreux de s’humilier, de servir les bons. Elle s’habille misérablement, s’enlaidit à plaisir et sert les chevaliers du Graal, leur apporte des baumes dans son costume de sorcière sauvage. Mais cela ne sert à rien ; ce demi-repentir est impuissant. […] Aux questions paternelles de Gurnémanz, elle répond par un geste de soumission, en disant : « Servir… je veux servir. » Puis elle prend une cruche et va puiser de l’eau à la fontaine comme la dernière des servantes. […] Trois théorèmes servent à définir la doctrine de la Volonté.

324. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Montluc — I » pp. 56-70

Il est vrai qu’il maudit l’invention de la poudre et de l’arquebuserie, pour en avoir été souvent atteint et victime, comme tant de vaillants hommes ; mais en la maudissant et en la qualifiant d’« artifice du diable pour nous faire entretuer », il en sait toute l’importance ; il s’en sert à propos, et il excelle entre autres choses à poster et à diriger l’artillerie dans les sièges. […] Il avoue ses opiniâtretés, ses colères, qui sentent le cheval de sang et de race : « Il ne me fallait guère piquer pour me faire partir de la main. » Quelquefois aussi, chez lui, c’était méthode et tactique ; on le verra user de sa réputation terrible pour obtenir de prompts et merveilleux résultats : ainsi, à Casal, ville presque ouverte, où il se jette (1552) pour la défendre, et où il lui fallut improviser des fortifications et de grands travaux de terrassement en peu de jours, il donnera ordre à tout son monde, tant capitaines, soldats, pionniers, qu’hommes et femmes de la ville, d’avoir dès le point du jour la main à l’ouvrage « sous peine de la vie » ; et, pour mieux les persuader, il fit dresser des potences (dont sans doute cette fois on n’eut pas à se servir) : « J’avais, dit-il, et ai toujours eu un peu mauvais bruit de faire jouer de la corde, tellement qu’il n’y avait homme petit ni grand, qui ne craignît mes complexions et mes humeurs de Gascogne. » Et en revanche, sans se fier plus qu’il ne faut à l’intimidation, il allait lui-même, sur tous les points, faisant sa ronde jour et nuit, reconnaissant les lieux, « encourageant cependant tout le monde au travail, caressant petits et grands. » Ces jours-là, où il était maître de lui-même, il savait donc gouverner les esprits autant par les bons procédés que par la crainte, et il s’entendait à caresser non moins qu’à menacer. […] Montluc, qui ne faisait pas semblant d’entendre, écouta la réponse du marquis : « Celui-là fera toujours bien partout où il se trouvera. » Ces petites pointes d’honneur servent beaucoup à la guerre, remarque-t-il ; et c’est pourquoi il ne se fait faute de mettre telles paroles par écrit, bien qu’elles soient à sa louange : « Capitaines, et vous seigneurs, qui menez les hommes à la mort, car la guerre n’est autre chose, quand vous verrez faire quelque brave acte à un des vôtres, louez-le en public, contez-le aux autres qui ne s’y sont pas trouvés. […] Au fond, il ne s’agit que d’un ou plusieurs moulins à prendre et à brûler, et Montluc, qui a bien de l’esprit, au moment d’entrer dans ce récit tout sérieux, comme s’il avait deviné que don Quichotte faisait quelque chose de pareil vers le même temps, se permet par précaution un petit sourire : « Or, pour déduire cette entreprise, dit-il, encore que ce ne soit pas la conquête de Milan, elle pourra servir à ceux qui en voudront faire leur profit. » Après cette légère précaution, il n’omet plus rien du détail et des circonstances du stratagème, et en fait un parfait modèle et un exemple à suivre.

325. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Le général Joubert. Extraits de sa correspondance inédite. — Étude sur sa vie, par M. Edmond Chevrier. — I » pp. 146-160

Il n’en demeura pas moins découragé pour un temps et dégoûté, dans les intervalles, du moins, où l’on ne se battait pas ; il écrivait à son premier chef, le général Cervoni, sous qui il avait servi dès son arrivée à l’armée, et qui, lui-même, paraît avoir essuyé à ce moment une mortification ; car il avait quitté les camarades sans faire d’adieux et s’en était allé à Menton : (Août 1795. […] Le plan de Schérer, admirablement servi par les généraux divisionnaires, a réussi ; la victoire de Loano, des 2 et 3 frimaire (23 et 24 novembre 1795), vient saluer d’un présage heureux l’inauguration du Directoire. […] Cependant il faut servir… Entre Arcole et Rivoli (toujours dans ses lettres à son père) : Vous ne me croyez occupé que de gloire : vous vous trompez ô mon père ; je ne soupire qu’après le repos. […] Le malheur du jeune général que nous verrons sortir si brillamment victorieux, si intrépide et si habile dans les luttes prochaines où il n’était que lieutenant et en second, ce fut, à une certaine heure, d’avoir été poussé au premier rang, d’y être arrivé dans tous les cas trop tôt, et par le jeu des partis qui s’inquiètent peu de vous compromettre et de vous briser, pourvu que vous leur serviez d’instrument un seul jour.

326. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Don Quichotte. »

Il paraît y être entré avec tout le feu et l’enthousiasme de la jeunesse et il s’est plu à remarquer dans son tout dernier ouvrage, non sans un retour évident sur lui-même, « qu’il n’est pas de meilleurs soldats que ceux qui sont transportés de la culture des lettres sur les champs de bataille, et qu’aucun homme d’étude n’est devenu homme de guerre sans être un brave et un vaillant2. » Pendant quatre années (1571-1575), Cervantes fit un rude apprentissage de la vie militaire ; il eut sa part glorieuse dans la bataille navale de Lépante (7 octobre 1571) ; la galère sur laquelle il servait, Marquesa, fut engagée au plus épais de la mêlée ; chargée d’attaquer la Capitane d’Alexandrie, elle y tua des centaines de Turcs et prit l’étendard royal d’Égypte. […] On sait les noms des régiments fameux, des vieilles bandes dans lesquelles il servit successivement. […] Le régiment où il servait alors, et dans lequel il avait passé après la bataille de Lépante, était celui de Flandre, qui avait à sa tête Lope de Figueroa, mis deux fois en scène par Calderon. […] Je me sers, dans tous les passages cités, de la traduction de M. 

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