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616. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre II. Du goût, de l’urbanité des mœurs, et de leur influence littéraire et politique » pp. 414-442

Un nuage d’illusions et de souvenirs environne les rois ; mais les hommes élus, commandant au nom de leur supériorité personnelle, ont besoin de tous les signes extérieurs de cette supériorité ; et quel signe plus évident que ce bon goût qui, se retrouvant dans toutes les paroles, dans tous les gestes, dans tous les accents, dans toutes les actions même, annonce une âme paisible et fière, qui saisit tous les rapports dans tous les instants, et ne perd jamais ni le sentiment d’elle-même, ni les égards qu’elle doit aux autres ! […] C’est un miracle du talent que d’arracher ceux qui vous écoutent, ou qui vous lisent, à leur amour-propre ; mais si les défauts de goût offrent aux juges, quels qu’ils soient, une occasion de montrer, en vous critiquant, l’esprit qu’ils ont eux-mêmes, ils la saisissent nécessairement, et ne songent plus ni aux idées, ni aux sentiments de l’auteur.

617. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre VI. De la philosophie » pp. 513-542

L’esprit admet une à une chaque proposition, sans avoir essayé de les juger ; il crée ensuite des rapports factices dont l’apparente vérité lui plaît et l’exalte ; car l’imagination est saisie par ce qui est abstrait, tout aussi fortement que par les tableaux les plus animés. […] Le calcul n’est beau, n’est utile, que lorsqu’il saisit toutes les exceptions, et régularise toutes les variétés.

618. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre premier. Les signes — Chapitre II. Des idées générales et de la substitution simple » pp. 33-54

Elle se manifeste sur les lèvres par les mots d’épanouissement, de bonheur, de volupté noble ; en même temps, la vue intérieure a saisi quelque image correspondante, une fleur qui s’ouvre, un visage qui sourit, un corps penché qui s’abandonne, un accord riche et plein d’instruments doux, une caresse d’air parfumé dans une campagne ; voilà des comparaisons et métaphores expressives, c’est-à-dire des représentations sensibles, des souvenirs particuliers, des résurrections de sensations, toutes analogues à celles que je viens d’éprouver, du même ton et du même tour. […] Artifice admirable et spontané de notre nature : nous ne pouvons apercevoir ni maintenir isolées dans notre esprit les qualités générales, sortes de filons précieux qui constituent l’essence et font la classification des choses ; et cependant, pour sortir de la grosse expérience brute, pour saisir l’ordre et la structure intérieure du monde, il faut que nous les retirions de leur gangue et que nous les concevions à part. — Nous faisons un détour ; nous associons à chaque qualité abstraite et générale un petit événement particulier et complexe, un son, une figure facile à imaginer et à reproduire ; nous rendons l’association si exacte et si étroite que désormais la qualité ne puisse apparaître ou manquer dans les choses, sans que le nom apparaisse ou manque dans notre esprit, et réciproquement.

619. (1890) L’avenir de la science « V »

Si tel est le but de la science, si elle a pour objet d’enseigner à l’homme sa fin et sa loi, de lui faire saisir le vrai sens de la vie, de composer, avec l’art, la poésie et la vertu, le divin idéal qui seul donne du prix à l’existence humaine, peut-elle avoir de sérieux détracteurs ? […] Le premier sentiment de celui qui passe de la croyance naïve à l’examen critique, c’est le regret et presque la malédiction contre cette inflexible puis-sance, qui, du moment où elle l’a saisi, le force de parcourir avec elle toutes les étapes de sa marche inéluctable, jusqu’au terme final où l’on s’arrête pour pleurer 54.

620. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Le Palais Mazarin, par M. le comte de Laborde, de l’Institut. » pp. 247-265

L’habileté de Mazarin consista à saisir ce moment unique, à deviner que, dans cette instabilité des choses et des alliances de cour, il n’y avait point pour lui de planche plus solide et plus sûre où il pût s’embarquer que le cœur de cette princesse espagnole, romanesque et fidèle, et que ce vaisseau-là, réputé le plus fragile par les sages, résisterait cette fois à toutes les tempêtes. […] Voilà les côtés que Retz a merveilleusement saisis et connus, le caractère des hommes, le masque et le jeu des personnages, la situation générale et l’esprit mouvant des choses ; par toutes ces parties, il est supérieur et hors d’atteinte dans l’ordre de la pensée et de la peinture morale, autant que Mazarin peut l’être lui-même dans l’histoire comme signataire de la paix des Pyrénées.

621. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Portalis. Discours et rapports sur le Code civil, — sur le Concordat de 1801, — publiés par son petit-fils — I. » pp. 441-459

La Provence formait alors un petit État dans l’État ; le parlement d’Aix était saisi de toutes sortes d’affaires ; toutes les questions, non seulement d’administration, mais de politique locale, s’y traitaient. […] Nous saisissons, dès ce premier écrit de circonstance, la forme et le fond du discours habituel de Portalis, cet enchaînement et cette suite de maximes sages, miséricordieuses, appropriées, où respire comme un souffle du génie de Numa, aphorismes tout de réparation, tout de consolation et de santé, et qui allaient faire la plus salutaire impression sur le corps social si longtemps soumis à ces autres aphorismes de Saint-Just, concentrés et mortels comme le poison.

622. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre III. Zoïle aussi éternel qu’Homère »

Quand cela fut fini, quand on eut secoué le sac, quand on eut vidé Voltaire et Rousseau dans ce trou, un fossoyeur saisit une pelle, rejeta dans l’ouverture le tas de terre qui était à côté, et combla la fosse. […] — frisson et brûlement, quelque chose qui fait qu’on est un peu dérouté, tout en étant fortement saisi ; les seuls esprits du premier ordre, les seuls génies suprêmes, sujets à des absences dans l’infini, donnent au lecteur cette sensation singulière, stupeur pour la plupart, extase pour quelques-uns.

623. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre V. Seconde partie. Des mœurs et des opinions » pp. 114-142

Nous fûmes, en effet, dès l’origine, ce que nous sommes à présent, vains, frondeurs, impatients, habiles à saisir le côté faible ou ridicule de toutes choses, prompts à l’exécution, peu dociles au conseil, susceptibles d’entraînement plutôt que d’exaltation ; mais nous fûmes aussi, dès l’origine, et nous serons jusqu’à la fin, nobles et généreux, accessibles à la pitié, compatissants au malheur. […] Voudrait-on, par exemple, que nous eussions l’imagination mobile, l’esprit très prompt à saisir les rapports, et que nous fussions, en même temps, prudents et circonspects en toute occurrence ?

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