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542. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Poésies, par Charles Monselet »

Je m’y suis accoutumé et j’ai depuis longtemps écrit le nom de l’auteur sur mes tablettes (dût le mot le faire rire), je l’ai noté pour un sujet futur, un jour où je serais las du sérieux, où je relèverais de quelque gros ou grave article, au lendemain de considérations sur les destinées du monde ou d’une dissertation sur l’Iliade. […] Selon moi, il n’a pas tiré un parti assez sérieux de Linguet et de ses nombreux écrits ; Linguet le paradoxal, si éloquent lorsqu’il a raison ; celui de qui Voltaire écrivait dans une lettre à Condorcet (24 novembre 1774) : « Si ce Linguet a d’ailleurs de très-grands torts, il faut avouer aussi qu’il a fait quelques bons ouvrages et quelques belles actions » ; celui dont Mme Roland, qui l’avait vu à Londres en 1784, a parlé comme d’un homme « doux, spirituel, aimable », corrigeant dans sa personne et dans sa conversation ce que sa plume pouvait avoir d’âpre et d’amer, et en particulier (chose rare chez un exilé) ne s’exprimant sur la France et les Français qu’avec circonspection, réserve et modestie17.

543. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. EDGAR QUINET.— Napoléon, poëme. — » pp. 307-326

Quinet dont nous parlerons tout à l’heure, appartient comme lui à cette génération infatigable et généreuse, pure, avide d’espérance, insatiable de beaux désirs, de laquelle lui-même il a dit en un endroit : Toute une nation puissante qui s’éprend Pour le bien, pour le bon, pour le beau, pour le grand ; Et toute une jeunesse ardente et sérieuse, Qui pâlit de travail, et, les larmes aux yeux, Cherchant son avenir, au plus profond des cieux Suit l’étoile mystérieuse. […] — Un moi mystérieux Nous pousse ; alors on prend la vie au sérieux : Plus de jeux dans les prés, plus de frais sous le saule, Le soir plus de moments perdus en doux propos ; Il faut douze combats, et puis, pour le repos, La peau de lion sur l’épaule !

544. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « APPENDICE. — CASIMIR DELAVIGNE, page 192. » pp. 470-486

Delavigne, en prenant son sujet plus au sérieux, a réussi également, à sa manière, dans la voie de comédie moyenne qu’il s’est choisie. […] Mais il y a mieux que les vers spirituels : il y a la pensée sérieuse, excellente, rendue avec suite, avec nombre, avec grâce.

545. (1785) De la vie et des poëmes de Dante pp. 19-42

Dante parlait à des esprits religieux, pour qui ses paroles étaient des paroles de vie, et qui l’entendaient à demi-mot : mais il semble qu’aujourd’hui on ne puisse plus traiter les grands sujets mystiques d’une manière sérieuse. Si jamais, ce qu’il n’est pas permis de croire, notre théologie devenait une langue morte, et s’il arrivait qu’elle obtînt, comme la mythologie, les honneurs de l’antique ; alors Dante inspirerait une autre espèce d’intérêt : son poëme s’élèverait comme un grand monument au milieu des ruines des littératures et des religions : il serait plus facile à cette postérité reculée de s’accommoder des peintures sérieuses du poëte7, et de se pénétrer de la véritable terreur de son Enfer ; on se ferait chrétien avec Dante, comme on se fait païen avec Homère.

546. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres de Mme de Graffigny, ou Voltaire à Cirey. » pp. 208-225

Sa grâce, son brillant, sa pétulance, le sérieux et parfois le pathétique qui se cachaient sous ces dehors légers, du premier jour il eut tout cela. […] Dans les premiers temps de ce séjour à Cirey, il écrivait à d’Argental, en revenant de faire un voyage de Hollande, et en nous découvrant toute sa pensée, ses affections, les parties les plus sérieuses de son âme : Je vous avoue que si l’amitié, plus forte que tous les autres sentiments, ne m’avait pas rappelé, j’aurais bien volontiers passé le reste de mes jours dans un pays où du moins mes ennemis ne peuvent me nuire, et où le caprice, la superstition et l’autorité d’un ministre ne sont point à craindre.

547. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Le maréchal Marmont, duc de Raguse. — III. (Suite et fin.) » pp. 47-63

Il avait cinq pouces de taille de plus que Napoléon ; son front était de son père ; son œil, plus enfoncé dans l’orbite, laissait voir quelquefois un regard perçant et dur qui rappelait celui de son père irrité ; l’ensemble de sa figure pourtant avait quelque chose de doux, de sérieux et de mélancolique. […] Il quitta Vienne le 22 avril 1834, et, dans un voyage de près de onze mois, il chercha les distractions sérieuses, un noble emploi de l’intelligence, et cette instruction que la vue des choses nouvelles et des hommes dissemblables ne cesse d’apporter jusqu’à la fin aux esprits restés jeunes et généreux.

548. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Th. Dostoïewski »

Les lecteurs reconnurent en ces livres frustes le don suprême de susciter des émotions nouvelles ; l’on y sentit une âme farouche et sombre, interprétant le spectacle de la vie et l’agitation des âmes en sensations primitives ou barbarement subtiles ; et le sérieux profond, l’âpre signification humaine d’écrits aussi tristes qu’Humiliés et offensés, Crime et châtiment n’échappa à aucun de ceux que sollicite le penchant à comprendre ce qu’ils lisent. […] Et si l’on considère l’étendue et la pénétration de leur enquête, la façon neuve dont ils parlent de l’homme et à l’homme, leur art sincère et haut, la sérieuse ferveur de l’évangile de pitié qu’ils proposent, le plus déterminé partisan de l’art pour l’art peut se sentir hésiter et réfléchir, jusqu’à ce qu’il recomprenne que le problème de la société, de la vie de l’homme ne peut être résolu par le cri de passion des détracteurs d’intelligence, que l’évangile que prêchent les romanciers slaves a précédé de dix-huit cents ans les maux qu’ils dénomment, que l’enseignement fut la marque même de sa fausseté dans son emportement, que la vérité est paisible, persuade en paraissant et n’a nul besoin d’apôtres, que l’erreur seule parle violemment, que les œuvres d’art ne doivent pas tenter de tromper, qu’il leur suffit de contenir les préceptes latents et obéis, ceux-là du monde dont elles sont la lumineuse image.

549. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « I »

On nous a positivement fait le reproche de prendre trop au sérieux cette secondaire qualité du style, qui exige, d’ailleurs, un don très spécial. […] Mais la question qui se pose ici est bien plus sérieuse.

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