Baudelaire en convient implicitement lui-même par cette appréciation juste et profonde du talent de son auteur : « Aucun homme n’a raconté avec plus de magie les exceptions de la vie humaine et de la nature ; — les ardeurs de curiosité de la convalescence ; — les fins de saisons chargées de splendeurs énervantes, les temps chauds, humides et brumeux, où le vent du sud amollit et détend les nerfs comme les cordes d’un instrument, où les yeux se remplissent de larmes qui ne viennent pas du cœur ; — l’hallucination… l’absurde s’installant dans l’intelligence et la gouvernant avec une épouvantable logique ; — l’hystérie usurpant la place de la volonté, la contradiction établie entre les nerfs et l’esprit, et l’homme désaccordé au point d’exprimer la douleur par le rire. » Si on fait le compte de ces puissances, on se demande où, dans tout cela, se trouve la place de l’âme humaine.
J’emprunte une strophe au second de ces trois ouvrages : Il vous sied bien, monsieur le Tibre, De faire ainsi tant de, façon, Vous dans qui le moindre poisson A peine a le mouvement libre ; Il vous sied bien de vous vanter D’avoir de quoi le disputer à tous les fleuves de la terre, Vous qui, comblé de trois moulins, N’oseriez délier en guerre La rivière des Gobelins… Il y en avait sur ce ton un peu plus de mille vers ; et, aux environs de 1640, c’était là ce que l’on appelait de l’esprit ; et quand on voulait rire, c’était à cela que l’on se délassait. […] Lui, riposte à son tour, il redouble de verve, il se pique, il s’anime, il s’encourage à la satire : Un clerc pour quinze sous, sans craindre le holà, Peut aller au parterre attaquer Attila… Et je serai le seul qui ne pourrai rien dire, On sera ridicule, et je n’oserai rire ! […] Les autres voulaient plaire ; et eux aussi ; mais d’une autre manière, en faisant rire ; et, comme la caricature en est le moyen le plus simple, ou le quolibet et la turlupinade, ils se gênent, ils se torturent, ils se contorsionnent pour faire « plus drôle » que nature, Lisez plutôt Saint-Amant ou Scarron. […] — Parce qu’il n’est pas naturel qu’un homme, si ridicule soit-il, offre continûment à rire, quoi qu’il dise ou qu’il fasse, sans intervalle ni relâche ; et parce qu’il n’est pas raisonnable de faire parler les reines comme des harengères : ce sont plutôt les harengères qui s’efforceraient à, parler comme les reines. — Pourquoi la condamnation des précieux et de la Préciosité ? […] Mais, mon esprit, si tu désires chanter les combats, ne contemple point d’autre astre plus lumineux que le soleil pendant le jour dans le vague de l’air, car nous ne saute rions chanter de combats plus illustres que les combats olympiques. » — Vous vous moquez de moi, lui dit la présidente.
Une fois, c’est un bataillon de turcos superbes qu’on a croisé sur le chemin ; ces gaillards rient sur le bel ivoire des dents, caressent leurs baïonnettes et annoncent : « Li, bientôt, tout rouge, sang boche, cochon ! […] Leur professeur Adolf Lasson déclare : « Nous sommes intellectuellement supérieurs à tous et hors de pair. » Leur professeur Ostwald : « Français et Anglais sont au point de développement que nous avons quitté il y a plus de cinquante ans. » Et le même professeur Ostwald disait sans rire : « Dieu le père est, chez nous, réservé à l’usage personnel de l’Empereur » ; sans rire davantage, il considère que la science est réservée à l’usage personnel des professeurs allemands. […] Admirable Potterat, dont l’émoi donne à rire et à pleurer L’invention de Potterat suffirait à la renommée d’un conteur. […] Il court et il joue, il rit et il pleure pour des billevesées : il n’aurait qu’à pleurer, et pour la seule calamité de son destin, la folie de son père.
Alors l’autre jeune femme, sous le rire chaud de ses yeux noirs, et de ses dents, et de sa sombre chevelure dénouée, révéla qu’elle était la Joie : elle enseignait les tendresses parfumées, la délice des longues nuits, comment les âmes se courroucent en de tumultueux frissons, et les hurlements éperdus d’un bonheur qui angoisse, et les sommeils tranquilles après la tourmente. […] Mallarmé s’est ainsi résigné à n’être point clair pour ceux qui, avant d’être initiés, demandaient le temps de rire. […] On y trouve le rire à côté de l’amour, la tendresse s’y mêle à la raillerie, et la fantaisie y alterne avec la raison. […] Devant des œuvres toujours à l’inverse les unes des autres, il a été ahuri, déconcerté ; tout moyen lui a manqué de se faire une opinion personnelle : si bien qu’il se contente aujourd’hui de hausser les épaules à tout ce qu’on lui offre, de rire, d’ignorer ; quitte à admirer, de confiance, un quart d’heure tous les ans, le tableau, l’opéra, le roman, qui font le plus de bruit dans les journaux à la mode. […] Je riais de ma perspicacité : mais M.
Jersey rit, terre libre, au sein des sombres mers... […] On rit par exemple d’Hercule au rouet, il est plaisant de se figurer un colosse enfilant une aiguille ; c’est qu’alors la force déployée dépasse trop le mince résultat, elle s’use en vain, et la puissance même devient une cause visible d’impuissance ; mais un homme très vigoureux, souvent lourd quand il joue, devient gracieux quand il accomplit une besogne proportionnée à ses muscles. […] Non, des flacons brisés, quelques vaines paroles Qu’on prononce au hasard et qu’on croit échanger, Entre deux froids baisers quelques rires frivoles, Et d’un être inconnu le contact passager, Non, ce n’est pas l’amour, ce n’est pas même un rêve... […] Pourtant je te fais grâce, ayant ri. — Je te rends À ton antre, à ton lac, à tes bois murmurants.
Molière et tout ce qui le faisait rire m’est trop présent pour cela.
Il s’en occupe, mais seulement comme de tout ce qui est bizarre et peut le faire rire ; aussi le soin qu’il en prend est-il toujours en contraste avec les occasions : on l’a vu se présenter en frac chez une duchesse, et courir les bois, à cheval, en manteau court.
On lit dans Plaute dorsus pour dorsum, cevus pour œvum, arvus pour arvum, gutturem pour guttur, ipsus pour ipse, solæ pour soit, aliæ pour alii, au datif féminin du singulier ; on trouve dans Térence servibo pour serviam, potesse pour posse, poteretur pour potiretur, soit que la familiarité du style fit excuser chez ces comiques quelques négligences, soit qu’ils missent à dessein tel ou tel barbarisme grammatical dans la bouche de leurs personnages pour plus de vérité, pour faire rire.