/ 2906
763. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet (suite.) »

Ce qui est à remarquer, c’est qu’aucun succès ne l’endormit et qu’il resta en tout et partout travailleur et producteur aussi actif, aussi infatigable que le premier jour, possédé de l’amour et, comme il disait, de la rage de peindre. […] Restez-vous parfaitement uni, naturel et simple : vous voilà prosaïque et vulgaire. […] Dès le premier pas qu’on fait dans la ville, on ne peut croire qu’il soit possible d’y rester. […] La comtesse E… lui avait demandé de pouvoir assister à l’ébauche de son portrait ; lorsqu’elle le vit tomber sur la besogne comme un affamé sur du pain, elle resta toute stupéfaite.

764. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet (suite.) »

Charles et Goupil20 en sont restés tristes toute la journée, et nous n’avons pu avoir d’autre conversation. » D’autres, je le sais, décriraient cette mosquée de fous avec impartialité, avec une froideur impassible et désespérante, que dis-je ? […] Heureusement que nous étions à côté du cimetière, où, grâce à la peste qui a enlevé, il y a trois mois, les deux tiers des habitants, nous avons trouvé de très jolis tombeaux sur lesquels nous sommes restés perchés jusqu’au jour. […] Les Arabes n’ont pas changé. » Et remarquez-le, non seulement Horace Vernet soutenait cette immobilité, cette invariabilité de l’Orient au point de vue pittoresque du spectacle, en ce qui était du paysage et du costume ; il l’entendait aussi au point de vue moral, et il observait très ingénieusement que cette idée de fatalité qui domine les populations orientales agissait autrefois tout comme aujourd’hui, au temps de Moïse ou des prophètes comme au temps de Bonaparte, de Méhémet-Ali ou d’Jbrahim ; que la cause extérieure de l’étonnement et de la soumission machinale pouvait être diverse, mais que l’explication n’étant pas autre ni plus avancée aujourd’hui qu’il y a quarante siècles, la physionomie qui exprime l’état intérieur habituel restait la même, que le faciès, en un mot, n’avait pas changé ; et il exprimait cela très spirituellement ; « Ce matin (toujours à Damas), on nous a fait manœuvrer deux batteries d’artillerie, l’une de la garde, l’autre de la ligne. […] … » Et comme Horace lui exprimait son désir de faire une visite en France : « L’empereur m’a dit alors, les larmes dans les yeux : « Allez, vous ferez ce qu’un galant homme doit faire ; si vous voyez le roi des Français, dites-lui bien que je partage tout son malheur ; que personne plus que moi ne peut le comprendre davantage, car je lui dois de connaître le bonheur dont vous me voyez jouir chaque jour : dites-lui tout ce qui pourra le convaincre de l’estime que j’ai pour ses grandes vertus et pour la fermeté de son caractère. » — « L’empereur me tenait la main ; nous sommes restés quelques minutes sans prononcer une parole, en proie à la plus vive émotion, et lorsque j’ai pu parler, je lui ai demandé s’il m’autorisait à répéter textuellement cette conversation.

765. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Gavarni. »

La création de l’Institut qui assemblait dans un même lien toutes les branches de l’esprit humain, tous les ordres de savoir et de talents, consacra le fait en principe ; mais qu’il restait encore à faire en pratique et dans la réalité ! […] Avant lui le carnaval jetait et restait presque uniquement composé des types de l’ancienne Comédie Italienne, Pierrot, Arlequin, etc. […] À ce titre il restera. […]  » Gavarni, au milieu de ses ironies et de sa veine railleuse, a toujours eu le respect du bon ouvrier, et il est resté fidèle en cela à de bonnes impressions premières ; il a fait un Jour de Van de l’ouvrier, qui est une glorification des joies de famille dans le peuple.

766. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Théophile Gautier. »

Il est et il restera une des productions les plus à part, et les plus compliquées comme les plus brillantes, de cette époque d’art qui a tant donné. […] Rioult était un peintre de l’école de Prud’hon ; il avait fait notamment un Eudore et Cymodocèe, un Roger enlevant Angélique sur l’hippogriffe, et un autre tableau encore, emprunté de la chevalerie, dont Théophile Gautier a donné la description dans une de ses plus anciennes pièces de vers : c’est dans une causerie du soir avec un ami, pour l’engager à rester quelques moments de plus et à prolonger la veillée au coin du feu. […] Passé de l’atelier dans le cénacle littéraire, il eut quelque temps un pied dans l’un et un pied dans l’autre, et même lorsqu’il eut quitté la peinture, le divorce entier ne s’opéra jamais, il resta peintre avec sa plume. […] D’autres seront épris de la beauté du monde Et du rayonnement de la lumière blonde ; Ils resteront des mois assis devant des fleurs, Tâchant de s’imprégner de leurs vives couleurs ; Un air de tête heureux, une forme de jambe, Un reflet qui miroite, une flamme qui flambe, Il ne leur faut pas plus pour les faire contents.

767. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Entretiens sur l’architecture par M. Viollet-Le-Duc (suite et fin.) »

Les Grecs, en tant qu’ils servent d’ouvriers aux Romains pendant la domination absolue de ces derniers, à l’extrême déclin de la République et depuis Auguste jusqu’à Constantin, subissent la volonté du maître, exécutent ses programmes et se bornent à les orner et à les varier dans le détail, à moins qu’on ne leur permette de rester plus fidèles à l’art grec dans quelques petits temples et monuments : ils sont subordonnés dans tout le reste. […] On ne devait pas en rester là. […] La force ou la volonté fit défaut pour l’achèvement : la cathédrale des rois, au sein de la capitale et jusque dans sa grandeur, est restée découronnée. […] Vous avez étudié le gothique, vous le savez ; restez-y, vous n’êtes propre qu’à cela.

768. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Jean-Bon Saint-André, sa vie et ses écrits. par M. Michel Nicolas. (suite et fin.) »

Jean-Bon, nommé par le Directoire commissaire ou consul de France à Alger (novembre 1795), y resta deux ans et demi, et de là il fut envoyé au même titre à Smyrne (1798). […] Ces fonctions extraordinaires ayant cessé l’année suivante par l’organisation régulière et l’entière annexion de ces nouveaux départements, il fut et resta préfet de l’un d’eux, de celui du Mont-Tonnerre, qu’il administra jusqu’à sa mort. […] On suit le captif depuis le moment de son arrestation à Smyrne, où on l’envoya prendre pour l’amener à Constantinople et l’enfermer d’abord aux Sept-Tours, où il se flattait de rester. […] Mais le soir au théâtre, le rencontrant et l’allant saluer dans sa loge, il n’y resta qu’un instant et parut vouloir sortir ; le maréchal lui demandant pourquoi il partait si tôt : « J’ai mon rapport à faire et à envoyer cette nuit même à Paris », répondit Jean-Bon.

769. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Essai de critique naturelle, par M. Émile Deschanel. »

Manuel, cultivées, attendries tout exprès et juste à point pour rester à ce degré sensibles aux qualités non voyantes, non perçantes, non fulgurantes, à ce qui effleure et à ce qui n’enfonce pas ? […] Deschanel, et un homme de beaucoup de mérite, qui, dans une situation plus ou moins analogue à la sienne, est resté sombre, triste dans sa critique, amer aux personnes, souvent injuste et sujet aux préventions, appliqué à éviter certains noms et à en chercher d’autres, affecté d’une sorte de préoccupation constante en écrivant. […] Deschanel a publiés pendant son séjour en Belgique, ce qui est resté très-amusant à parcourir, c’est cette suite de jolies anthologies dans la collection Hetzel : les Courtisanes grecques ; — l’Histoire de la Conversation ; — le Bien qu’on a dit des Femmes ; — le Mal qu’on a dit des Femmes ; — le Bien qu’on a dit de l’Amour ; — le Mal qu’on a dit de l’Amour ; — le Bien et le Mal qu’on a dits des Enfants. […] La critique littéraire ne saurait devenir une science toute positive ; elle restera un art, et un art très délicat dans la main de ceux qui sauront s’en servir ; mais cet art profitera et a déjà profité de toutes les inductions de la science et de toutes les acquisitions de l’histoire.

770. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. » p. 232

C’est ton âme qui continue et qui suit sa pente d’aimer immortellement. » « (Le 27 décembre. 1855)… Je t’aime d’avoir souffert tout ce que je souffre, et d’être restée si tendre. […] Il y a des temps où l’on ne peut plus soulever un brin d’herbe sans en faire sortir un serpent… « Restons nous-mêmes à travers tout. […] Je ne sais pas une âme en rapport avec ce talent dédaigneux et charmant, et il faudrait que ce fût un homme, — C… par exemple, s’il était resté simplement poli avec moi, — car si c’est une femme, lui, M. de Lamartine et d’autres ne manquent pas de dire : « Encore une amoureuse !  […] » — La femme de son fils a cinq cent mille livres de rente102. » Il faut finir. — Après la mort de sa sœur Eugénie à Rouen en 1850, de son frère Félix à Douai en 1851, il ne restait plus à Mme Valmore qu’une dernière sœur, l’aînée, Cécile, qui habitait aussi Rouen.

/ 2906