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837. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre VII. Du style des écrivains et de celui des magistrats » pp. 543-562

Depuis la révolution, on s’est jeté dans un défaut singulièrement destructeur de toutes les beautés du style ; on a voulu rendre toutes les expressions abstraites, abréger toutes les phrases par des verbes nouveaux qui dépouillent le style de toute sa grâce, sans lui donner même plus de précision69. […] Les idées en elles-mêmes sont indépendantes de l’effet qu’elles produisent ; mais le style ayant précisément pour but de faire adopter aux hommes les idées qu’il exprime, si l’auteur n’y réussit pas, c’est que sa pénétration n’a pas encore su découvrir la route qui conduit à ces secrets de l’âme, à ces principes du jugement dont il faut se rendre maître pour ramener à son opinion celle des autres. […] Le lecteur ne s’aperçoit pas d’abord que ce mot est nouveau, tant il lui paraît nécessaire ; et frappé de la justesse de l’expression, de son rapport parfait avec l’idée qu’elle doit rendre, il n’est pas détourné de l’intérêt principal ni du mouvement du style, tandis qu’un mot bizarre distrairait son attention, au lieu de la captiver. Lorsqu’on se sert d’un mot nouveau, il faut qu’il soit bien prouvé, pour tous ceux qui savent lire, qu’il n’existait pas dans la langue un autre terme qui rendit précisément la même nuance de pensée, ni une tournure heureuse qui dût produire une égale impression.

838. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre V. Indices et germes d’un art nouveau — Chapitre II. Signes de la prochaine transformation »

On ne peut plus supporter les spectateurs sur la scène604: et cette scène rendue libre appelle l’action, le décor, la figuration. […] Elle ne sert qu’à l’analyse : ses qualités les plus exquises la rendent impuissante aux synthèses. […] Delille ne le satisfaisait pas : il ne lui rendait pas « le charme de la nature qui est à elle, et que tout l’esprit du monde ne peut saisir ». […] il n’a pas pu, pas su rendre les impressions de son âme, les conceptions de son esprit, emprisonné qu’il était dans le respect des convenances, des règles et du style.

839. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Leconte de Lisle, Charles-Marie (1818-1894) »

On ne saurait rendre l’ampleur et le procédé habituel de cette poésie, si on ne l’a entendue dans son récitatif lent et majestueux ; c’est un flot large et continu, une poésie amante de l’idéal et dont l’expression est toute faite aussi pour des lèvres harmonieuses et amies du nombre. […] Le poète a voulu rendre l’impression profonde de cette heure immobile et brûlante sous les climats méridionaux, par exemple, dans la campagne romaine. […] Vous voulez rendre la vie à la poésie, et vous lui retirez ce qui est la vie même de l’Univers : l’amour, l’éternel amour. […] Ce lui fut l’occasion toute naturelle de revoir ses classiques anciens, et de ces études d’homme sortit une traduction de Théocrite et d’Anacréon, dont la savoureuse littéralité fut un régal pour les délicats et mit hors de l’ombre ce nom que d’incessants travaux allaient rendre glorieux.

840. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Avertissement sur la seconde édition. » pp. 23-54

Il s’agissoit de prouver que les Trois Siecles, où l’on rend par-tout justice au vrai génie, où l’on tâche d’inspirer l’amour des regles, l’amour des devoirs, l’amour de la Patrie, l’amour de la Religion, devoit être soustrait aux mains des Lecteurs, pour y laisser de préférence l’Evangile du jour, le Bon Sens, le Systême de la Nature, le Systême Social, & tant d’autres systêmes qui ont déjà produit de si heureux effets parmi nous. […] C’est une chose bien étrange, que les Dépositaires du pouvoir n’aient pas été touchés d’un si beau zele, & n’aient pas daigné se rendre à la force de ses raisons ! […] Jaloux de donner à cet Ouvrage le degré de perfection & d’utilité dont il est susceptible, d’après nos propres réflexions, d’après celles de nos amis & de plusieurs personnes distinguées qui s’intéressent à la cause que nous défendons, nous n’avons épargné ni soins, ni recherches, pour le rendre digne des suffrages nationaux & étrangers. […] Nous avons vu en même temps, par son moyen, d’heureuses révolutions s’opérer dans les esprits ; les Adorateurs du faux goût rendre hommage au véritable, & murmurer contre l’Ecole qui les avoit égarés ; des Sectateurs de l’impiété ouvrir les yeux sur la supercherie de leurs oracles, & détester leurs dogmes corrupteurs ; des Zélateurs de la Philosophie abjurer ses chimeres & convenir de ses dangers ; des Philosophies même rendre secrétement justice à notre zele, & nous faire de singulieres confidences sur les motifs de leurs engagemens dans la Secte qu’ils paroissoient favoriser.

841. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « De la question des théâtres et du Théâtre-Français en particulier. » pp. 35-48

Et c’est pour cela qu’on doit tant en vouloir à ceux qui ne négligent rien pour rendre Paris inhabitable et sauvage : laissez-les un instant à l’œuvre ; ce sont gens à faire baisser tout le niveau de la civilisation humaine en quelques jours, en quelques heures. […] Tandis qu’une grande actrice y rendait la vie et la fraîcheur aux chefs-d’œuvre, de légers et poétiques talents y introduisaient la fantaisie moderne dans sa plus vive étincelle. […] Ce qui se passerait dans un bureau du ministère de l’Intérieur serait de nature si nette et si franche qu’à toute heure, à la première interpellation, il en pourrait être rendu bon compte au public du haut de la tribune, aux applaudissements des honnêtes gens. […] Rien ne contribue davantage à rendre une nation grossière, à détruire le goût, à abâtardir l’éloquence et toute sorte d’esprit.

842. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre dixième. »

s’il le rendait ; Et qu’il rendit aussi…. […] Ce trait ne pèche point contre la règle que nous venons d’établir, parce que le temps où Ulysse vivait est supposé compris dans l’époque que nous avons indiquée ; d’ailleurs, ce rapprochement des voyages d’Ulysse avec celui de la tortue est si plaisant, que le lecteur s’y rendrait bien moins difficile. […] Rapports de position, convenances de société, calculs d’amour-propre, intérêt de vanité, et nombre d’autres combinaisons qui vont même jusqu’à le rendre ridicule.

843. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Police générale d’une Université et police, particulière d’un collège. » pp. 521-532

A deux heures et demie, ils se rendront tous dans les classes du second cours d’études, où ils resteront jusqu’à quatre heures et demie. […] Il y a bien de la différence entre une erreur d’ignorance ou d’inadvertance et une erreur faite d’industrie ; celle-ci tient en garde l’élève : s’il l’aperçoit, sa petite vanité est satisfaite, elle l’habitue à se méfier, elle le forme insensiblement à la recherche de la vérité, elle lui inspire l’esprit d’invention ; l’autre perd le temps et ne rend que du mépris. […] L’assurance d’une pension viagère après un certain nombre d’années de bons services, les rendrait attentifs à leurs devoirs, les attacherait à leur place et les soutiendrait contre le dégoût de leurs fonctions. […] On propose tant, à celui qui se rendra à Moscou ou à Pétersbourg avec une connaissance suffisante de la langue russe pour montrer la géométrie ; tant, à celui qui, pourvu de la même langue, sera en état de professer ou la médecine, ou la jurisprudence, ou les beaux-arts ; et tenez pour certain que si ces invitations sont constamment réitérées et ces promesses fidèlement tenues, elles produiront leur effet.

844. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre IV. Des changements survenus dans notre manière d’apprécier et de juger notre littérature nationale » pp. 86-105

Cependant, il est bon de le remarquer, ce que je dis est moins une opinion que l’expression d’un sentiment de malaise assez général pour que je doive m’y associer en quelque sorte, puisque je me rends l’historien de cette époque, et que je me suis imposé la tâche d’en saisir tous les caractères. […] Le caractère particulier de notre littérature était d’être classique, parce que le caractère particulier de notre langue était d’être soumise aux lois rigoureuses de l’analogie ; c’est là, sans autre commentaire, ce qui a rendu notre langue universelle, et ce qui a fait de notre littérature la littérature de l’Europe. […] Je dis que la même langue n’a jamais eu deux siècles littéraires ; car, sans vouloir déprécier les services qu’a rendus l’école d’Alexandrie, on peut remarquer qu’elle a produit seulement une imitation servile de la littérature des anciens âges de la Grèce, lorsqu’elle ne s’est pas bornée à les expliquer et à les commenter. […] Ayez vécu au milieu de ces mœurs si différentes des nôtres, et assisté à ces festins de rois, d’écuyers et d’athlètes, soyez-vous enfin rendu familière l’histoire domestique de ces temps : alors toutes les allusions seront vivantes, et vous saurez que Pindare n’est pas seulement le chantre de la gloire, mais le chantre de l’ivresse même de la gloire.

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