Ce ne sont pas les disciplines religieuses, qu’il a résolu de défendre. […] Et le dogme a une valeur religieuse incontestable. » Il faut l’avouer, c’est comique ! […] Leurs ouvrages, malgré leur projet religieux, sont imparfaitement chrétiens. […] Claudel a retrouvé l’esprit véritablement chrétien d’une époque où le sentiment religieux était dans sa pureté absolue. […] Défendez la pensée religieuse, mais n’exigez pas que la littérature soit toute consacrée à la défense de la religion.
La controverse religieuse et les querelles de parti retentissent autour de lui ; il s’en écarte soigneusement ; au milieu de tous ces chocs, son principal souci est de préserver son écritoire ; c’est un catholique déteint, déiste à peu près, qui ne sait pas bien ce qu’est le déisme ; là-dessus il emprunte à lord Bolingbroke des idées dont il ne voit pas la portée, mais qui lui semblent bonnes à mettre en vers. « J’espère, écrit-il à Atterbury, que toutes les Églises sont de Dieu, en tant qu’elles sont bien comprises, et que tous les gouvernements sont de Dieu, en tant qu’ils sont bien conduits. […] Peintures et descriptions : elle décrit à Abeilard le monastère et le paysage, « les dômes moussus couronnés de fines tourelles, les arches majestueuses qui changent en nuit la clarté du grand jour, les vitraux qui versent sur les dalles une clarté solennelle1106 », puis « les rivières errantes qui luisent entre les collines, les grottes dont l’écho répète le bruissement des ruisseaux, les brises mourantes qui viennent expirer sur les feuillages1107. » — Tirades et lieux communs : elle envoie à Abeilard des dissertations sur l’amour et la liberté qu’il réclame, sur le cloître et la vie paisible qu’il peut donner, sur l’écriture et les avantages de la poste aux lettres1108. — Antithèses et contrastes : elle les expédie à Abeilard par douzaines : contraste entre le monastère illuminé par sa présence et le monastère désolé par son absence, entre la tranquillité de la religieuse pure et l’anxiété de la religieuse coupable, entre le rêve du bonheur humain et le rêve du bonheur céleste. — En somme, c’est un air de bravoure, avec oppositions de forte et de piano, avec variations et changements de ton ; Héloïse exploite son motif, et s’occupe à y insérer toutes les habiletés et les réussites de sa voix.
La diplomatie de chaque nation est l’expression de son caractère : Égoïste, superbe, religieuse, humanitaire et philosophique, en Angleterre ; Héroïque, généreuse et versatile, en France ; Immorale, cauteleuse et improbe, en Prusse ; Modeste, honnête et intéressée, en Hollande ; Ombrageuse et amphibie, en Belgique ; Persévérante, longanime, sans scrupule, mais non sans honnêteté, en Autriche ; Vaine, chevaleresque et loyale, en Espagne ; Grecque, habile, à petits manèges et à grandes vues, en Russie ; Consommée, universelle, sachant toutes les langues des cabinets, à Rome, Rome, la grande école de la diplomatie moderne, puissance qui ne vit que de politique sur la terre, d’empire sur les consciences, de ménagements avec les cours, de résistance derrière ce qui résiste, d’abandon de ce qui tombe, d’acquiescement aux faits accomplis ; Dépendante et adulatrice, dans les petites cours d’Allemagne et d’Italie, clientes de la force et de la victoire ; Hardie, inquiète, insatiable, en Piémont ; prompte à tout recevoir, quelle que soit la main qui donne ; prête à tout prendre, quelle que soit la main qui laisse envahir ; Alpestre, rude, pastorale, probe, mais intéressée, en Suisse ; non dépourvue d’une sorte d’habileté villageoise, se faisant appuyer par tout le monde, mais n’appuyant elle-même personne contre la fortune ; Enfin, simple et franche en Turquie, jouissance arriérée dans la voie de la corruption des cabinets européens ; puissance de bonne foi, dont la candeur est à la fois la vertu et la faiblesse ; puissance naïve qui n’a jamais eu de diplomatie que la ligne droite ; puissance qui a toujours cru à toutes les paroles, et qui n’a jamais manqué à la sienne ; puissance, enfin, destinée à être la grande et éternelle dupe de tous les cabinets, dupeurs de son ignorance et de sa loyauté. […] Il n’a point été impatient de justice ; il ne l’a pas attendue, cette justice, de ses contemporains ; il a jugé que ni les républicains ardents et sectaires, ni les royalistes absolus et irrités, ni les hommes religieux implacables contre sa répudiation du sacerdoce, même sanctionnée par le souverain pontife, ni les démocrates jaloux de toute antiquité de race dans ceux-là même qui les adoptent, ni les démagogues furieux contre ceux qui conservent le sang-froid et la mesure aux révolutions, ni les bonapartistes survivants du premier Empire, qui ne pardonnent pas à l’homme de 1814 d’avoir préféré la patrie à un homme, et prévenu par la déchéance de Napoléon le suicide de la France, ni les apôtres turbulents de la guerre, qui ont toujours trouvé entre eux et leurs mers de sang, dans les ministères, dans les ambassades, dans les congrès, l’homme de la paix, personnifié par le grand diplomate, ni les légitimistes de 1830, qui n’excusent pas ce vieillard monarchique d’avoir conseillé deux Bourbons sur le même trône, ni toutes les médiocrités, enfin, que la longue fortune et la supériorité exaspère contre tout nom historique, il n’a pas jugé, disons-nous, qu’aucun de ces partis contemporains fût assez impartial pour l’écouter, même du fond de sa tombe ; il a su attendre, et il a bien fait. […] Soit ressouvenir de son premier état, soit regret du scandale qu’il avait donné aux hommes religieux en sortant du sanctuaire, quoique affranchi de ses liens sacerdotaux par le souverain pontife, soit désir de laisser une mémoire en paix avec tout le monde, il négociait secrètement, depuis quelques années, une réconciliation consciencieuse ou politique avec l’Église, par l’intermédiaire de l’archevêque de Paris : il voulait une sépulture chrétienne en terre chrétienne.
Il portait en lui, sur le droit et sur la justice, sur la discordance des dieux arbitraires et défectueux de son culte avec la sublimité de sa pensée religieuse, des idées dont le terme n’était pas venu, et il les sentait remuer confusément au fond de son âme. […] Mais ce Prométhée religieux n’est qu’une des incarnations successives du géant d’Eschyle. […] Mais l’imagination moderne ne ratifie pas cette paix factice imposée par la tradition religieuse au poète antique.
Une seule personne vivante pourrait les rectifier : c’est la vénérable sœur de Béranger, religieuse dans un couvent de Paris ; femme de prières dont l’homme de chansons aimait à parler avec respect et avec de tendres réminiscences. […] La tante y ajouta les études religieuses. […] Sans parler de Diderot, de Mercier, et de tant d’autres en France, la typographie en Amérique ne fut-elle pas le métier de Franklin, cet homme qui fondait la liberté religieuse et la liberté républicaine dans le même moule où il fondait les caractères de la pensée ?
Mais il ne s’agit pas de mes affreux goûts… Sur un mot très simple et très explicable, placé dans un des chœurs du Henri V, en l’honneur du comte d’Essex, François Hugo, qui a l’imagination fort alerte, nous enfile toute une histoire qui, je le crains pour lui, ne passera pas plus que le chameau à travers le trou de l’aiguille… Selon François Hugo, le comte d’Essex n’était pas seulement le miroir… de la vieille Reine Élisabeth ; il était par en dessous l’ennemi de l’intolérance religieuse de son gouvernement : c’était un philosophe anticipé et préludant ; et comme ce d’Essex était l’ami de Southampton, et Southampton l’ami de Shakespeare, et comme les amis de nos amis sont nos amis, Shakespeare se trouve donc être par ricochet un libéral et un opposant politique… Et j’ai vu l’heure, ma parole d’honneur ! […] Rien ne manque à cette tête, devenue sérieuse, de Henri, pas même, par instants, la mélancolie du repentir et la grandiose beauté de la pensée religieuse. […] ce n’est point le tranchant de la conversion qui coupe tout, et fait deux parts de l’homme, séparant la moitié qui doit vivre de la moitié qui doit mourir, ce n’est pas le coup foudroyant de cette conversion comme l’entendent les hommes religieux, qu’a voulu exprimer Shakespeare.
Les papes, humainement considérés, sont une dualité dans un même homme : comme pontifes, ils représentent un principe religieux aussi durable que la foi qui s’attache à leur mission surnaturelle ; comme souverains, ils représentent un prince électif possédant de droit immémorial la ville et l’État romain au centre de l’Italie. […] Nous la donnons ici, cette raison, pour la première fois en explication du passé : elle est irréfutable pour ceux qui admettent les concordats ; elle est sans valeur pour ceux plus religieux qui n’admettent comme nous d’autres concordats entre les gouvernements et les pontifes que le respect mutuel et la liberté absolue des consciences.
Ce principe d’exclusion du droit public pour cause de non-conformité religieuse peut être la diplomatie des derviches et des fakirs, mais ne pourra jamais être la diplomatie des hommes d’État. […] On ne s’apercevait pas que le protestantisme, en s’étendant en Allemagne, y formait une ligue religieuse, la plus envenimée des ligues, contre l’Autriche, vieille catholique d’habitudes espagnoles sous Philippe II et le duc d’Albe ; on ne s’apercevait pas, enfin, qu’un empire mystérieux et immense était né en Moscovie, grandissait en Orient et au Nord, et allait bientôt demander un espace proportionné à sa croissance en Pologne, dans la Turquie d’Europe et dans la haute Allemagne.