Il n’y a pas lieu de montrer que ces trois espèces de choses suivent dans leur évolution une marche analogue à celle du mouvement littéraire ; elles en font en effet partie intégrante ; il suffit d’indiquer quelles impulsions elles donnent ou reçoivent tour à tour ; comment elles modifient les œuvres d’une époque et comment elles en sont modifiées. […] Elle ne daignera jamais admettre Molière, ce moqueur ; elle ne subira Boileau que sur un ordre formel de Louis XIV ; elle recevra de mauvaise grâce La Bruyère ; c’est presque à contre-cœur qu’elle se laissera envahir par les maîtres de la génération nouvelle. […] Montesquieu aura grand peine à se faire pardonner les hardiesses de ses Lettres persanes et, le jour où l’on se sera résigné à le recevoir, il sera tancé vertement sur l’insuffisance de ses titres à pareil honneur. […] Il a fait une guerre acharnée à l’école précieuse ; il a criblé de railleries Chapelain, l’honnête Chapelain, dont le prestige était si grand que Colbert le choisissait pour dresser la liste des auteurs dignes de recevoir une pension.
La Louise des Temps difficiles, cette singulière jeune femme, silencieuse et passionnée, chez laquelle éclate tout à coup le grand flot des sentiments, malgré l’étroite et toute positive éducation qu’elle a reçue, est de même, dans le décousu de sa composition, une figure frappante, et Dickens atteint presque au grand art réaliste dans l’effrayant et misérable forçat des Grandes Espérances ; le rude et sombre récit que cet homme fait de sa vie pourrait prendre rang à côté des grandes pages de Balzac. […] Dickens avait essentiellement une nature affective, sentimentale, émotionnelle, c’est-à-dire que chez lui, plus qu’en d’autres, les impressions que ses sens recevaient du monde intérieur, les images générales, les idées qu’il s’en formait, étaient toutes accompagnées de vives sensations d’agrément ou de peine, qu’ainsi elles se transformaient presque immédiatement en sentiments, en émotions, et que celles-ci enfin, étant non pas de source intellectuelle, comme par exemple l’exaltation d’un géomètre à la vue d’une belle démonstration, mais de source sentimentale, étaient presque purement bornées à l’affection et à l’aversion simples. […] De là en général la vérité relative, caricaturale, de ses plus imparfaites silhouettes À l’encontre en effet de l’idéaliste qui dénature les images mêmes qu’il reçoit du dehors pour les subordonner à la représentation intérieure qu’il s’en fait, l’écrivain affectif déforme, exagère plutôt les propriétés de ces images qui émeuvent sa sensibilité, mais ne les altère pas ; en sorte que sa représentation caricaturale, grotesque, monstrueuse même, d’un ensemble social, peut rester vraie en somme dans son ensemble, et que Dickens ou les caricaturistes auxquels nous l’avons représenté sont une sorte particulière de réalistes qui donnent une image singulièrement outrée mais véridique, dans une certaine mesure, de l’Angleterre ou de la France de leur temps. […] La pénétration psychologique lui est interdite, et cette vue reçoit une éclatante confirmation de l’impuissance de Dickens à faire vivre ses personnages autobiographies, David Copperfield et le petit Pip, ainsi que de la faiblesse générale de ses peintures de caractère.
XII Une faute de cœur plus grave et plus éclatante encore, à la même époque, signala tristement l’excès de personnalité et la facilité d’oubli des services reçus dans le cœur du poète devenu le favori de la cour et de la scène. […] Ses torts lui apparurent au jour de la conscience : il rougit de son ingratitude envers ses maîtres de Port-Royal ; il se condamna lui-même plus sévèrement peut-être qu’ils ne l’auraient condamné ; il se repentit d’avoir employé au plaisir profane du public et à la conquête d’une gloire périssable les admirables talents qu’il avait reçus de la nature et des lettres. […] « Mon père, dont elle goûtait la conversation, était beaucoup mieux reçu que son ami qu’il menait toujours avec lui. […] N’est-elle pas à Dieu dont vous l’avez reçue ?
Si l’abbé Prévost, en effet, a répandu et comme réfléchi sur les siens une partie de sa célébrité littéraire et quelque chose de la faveur romanesque qui s’attache à son nom, il leur a dû, il a dû à l’excellente éducation qu’il reçut de ses pères et à la souche honnête et saine dont il sortait, de garder toujours, même au milieu des vicissitudes d’une vie trop souvent irrégulière et abandonnée, le fonds essentiel de l’honnête homme, de l’homme comme il faut. […] Manon s’amusant gaiement à coiffer de ses mains le chevalier, et choisissant ce singulier moment pour recevoir le prince italien qu’elle veut berner et à qui elle montre le miroir en disant : « Voyez, regardez-vous bien, faites la comparaison vous-même… » ; cette tendre et folâtre espièglerie n’était pas dans le premier récit, et c’est un petit épisode que Prévost a voulu ajouter après coup, un souvenir sans doute qui lui sera revenu.
Il y rappelle le temps de la première prise d’armes, et les circonstances déjà trop oubliées des victorieux : Vous ne demandiez lors sinon l’exercice de votre religion, demeurant toujours celle des catholiques reçue et autorisée par traités, édits, comme elle était avant l’introduction de la vôtre : et ceux qui pouvaient grandement affaiblir votre cause s’ils s’en fussent séparés, s’y joignirent volontiers et firent la guerre avec vous, non seulement parce que les privilèges communs avaient été violés par un gouvernement trop rude, que vous nommiez tous tyrannique, mais parce qu’ils n’estimaient pas raisonnable de vous priver de la liberté de prier Dieu selon la créance en laquelle vous aviez été instruits. […] On voit par une réponse énergique de lui au maréchal de Bouillon (juin 1615) que, malgré son âge, il ne faiblissait pas devant les grands redevenus factieux, et qu’il leur disait assez haut leurs vérités : « La médisance contre ceux qui sont employés au maniement des affaires publiques, écrivait-il à M. de Bouillon, est un doux et agréable poison qui se coule aisément en nos esprits, et, quand ils en sont une fois infectés, il est malaisé que la vérité pour les défendre y soit reçue. » Il y donne la clef de sa conduite, qui dut consister souvent, en ces temps de trouble et de faiblesse, à tolérer, à souffrir un moindre mal pour en empêcher un pire : Le commandement n’est pas toujours absolu pendant les minorités.
Feuillet de Conches le décrit en des termes qui rappelleront à tous l’impression reçue : On est au moment où le soleil à son déclin rase la terre et projette des ombres plus douces. […] Un soir, le dernier jour de l’année 1832, Léopold Robert était sorti avec son frère pour remettre des cartes chez le gouverneur et chez le comte de Cicognara : Nous sommes entrés ensuite, raconte-t-il dans l’église Saint-Marc, où il y avait une cérémonie : nous avons reçu la bénédiction.
On y voit Junot, « malheureusement moins sensé que brave », et à qui une blessure reçue au front n’était pas propre à rendre l’équilibre ; de l’avis de Ney quand il est avec Ney, de l’avis de Reynier quand il est avec celui-ci, et devant Masséna pourtant, n’osant contredire. […] Au moment le plus critique de l’expédition, et lorsqu’il s’agit de savoir si après des mois d’attente au fond du Portugal devant les lignes inexpugnables de Torrès-Vedras, sans secours reçus, on passera ou non le Tage, et à quel parti on s’arrêtera, il y a un déjeuner chez le général Loison à Golgao, où, dans une sorte de conseil de guerre amical, on a en présence et en action la physionomie, le caractère et les idées des principaux chefs consultés par Masséna : c’est un récit des plus piquants, et qu’il n’eût tenu qu’à l’historien de rendre plus piquant encore ; mais M.
On était loin sans doute alors de ce grand moment de renaissance pittoresque et historique où Chateaubriand devait écrire ses admirables pages sur Rome et la campagne romaine : mais Poussin n’était-il pas là, qui à cette heure y traçait tant de graves et doux tableaux, ce même Poussin, parent en génie de Corneille, et qui, ayant reçu Le Typhon ou la gigantomachie, poème burlesque de Sçarron, écrivait : « J’ai reçu du maître de la poste de France un livre ridicule des facéties de M.