Comme le dit son ami Regnaud de Saint-Jean-d’Angély, d’un mot expressif à la fois et indulgent, « ce jour-là et à cette heure-là, Frochot fut frappé d’une sorte d’apoplexie morale. » Il n’en revint, une demi-heure après, que par un autre mouvement excessif, et qui peint bien le désordre de sa pensée ; lorsqu’il apprit que tout ce qu’il avait cru d’abord n’était qu’une déception et qu’un rêve, quand les écailles tout à coup lui tombèrent de dessus les yeux : « Ah ! […] Il ne considérait plus sa bonne et sa mauvaise fortune d’autrefois que comme des rêves dont il défendait le mieux qu’il pouvait son imagination, moins attristée encore qu’attendrie.
Après l’avoir tout d’abord énervé et tendu, elle amenait une torpeur hantée de songeries vagues ; elle annihilait ses desseins, brisait ses volontés, guidait un défilé de rêves qu’il subissait passivement, sans même essayer de s’y soustraire. » Après un repos de courte durée, la maladie reprend son cours, ramenant d’anciens accidents qu’une vie plus réglée, plus calme, avait lentement fait disparaître. […] Il sortait de ces rêveries anéanti, brisé, presque moribond. » Cauchemars, insomnie : « Il craignit de s’endormir… il resta étendu sur son lit des heures entières, tantôt dans de persistantes insomnies et de fiévreuses agitations, tantôt dans d’abominables rêves que rompaient des sursauts d’homme perdant pied, dégringolant du haut en bas d’un escalier, dévalant sans pouvoir se retenir au fond d’un gouffre. » « Les couvertures le gênaient, il étouffait sous les draps et il avait des fourmillements par tout le corps, des cuissons de sang, des piqûres de puces le long des jambes. » Troubles de la sensibilité. — Hallucinations de l’odorat : « Sa chambre embauma la frangipane ; il vérifia si un flacon ne traînait pas débouché, il n’y avait pas de flacon dans la pièce ; il passa dans son cabinet de travail, dans sa salle à manger, l’odeur persista. » Puis, à la suite de la symphonie olfactive, « à nouveau la frangipane dont son odorat avait perçu les éléments… assaillit ses narines excédées, ébranlant encore ses nerfs rompus… » Perversions du goût : Il a le désir d’une « immonde tartine » mâchée par un « sordide gamin ».
C’était un étourdissant causeur ; sa conversation était un feu d’artifice, où l’on voyait passer avec une vertigineuse rapidité images, idées, polissonneries, sciences, contes, métaphysique, rêves fous, hypothèses fécondes, divinations étonnantes. […] Il publiait ses Pensées sur l’Interprétation de la nature, son Entretien d’un philosophe avec la maréchale de ***, etc. : mais son Rêve de Dalembert, son Supplément aux voyages de Bougainville, son Paradoxe sur le Comédien, sa Religieuse, son Jacques le Fataliste, son Neveu de Rameau, c’est-à-dire le meilleur et le pire, le plus caractéristique en tout cas de son œuvre, tout cela est resté enfoui dans ses papiers.
Le poète a fait ce qu’il a voulu ; il a réalisé son rêve d’art ; il ne se borne nullement à décrire, comme on a trop dit, pas plus quo, lorsqu’il a une idée ou un sentiment, il ne se contente de l’exprimer sous forme directe. […] Et c’est pourquoi d’en bas nous saluons ta gloire Et ton rêve vainqueur de l’ennemi meurtrier, Triomphal invité du Temple de Victoire !
Son génie facile, abondant, harmonieux, s’épanchait sans économie au gré de tous ses rêves. […] Il avait, au milieu de son rêve, l’expérience, le sentiment de la réalité, le bon sens.
Tout cela est horriblement ennuyeux… et très peu Récamier, de la Récamier qu’on rêve comme une poésie perdue, et qui cesse même d’être Récamier du tout, car, à moitié du volume, voilà que cela devient Jean-Jacques Ampère, — un autre ami de cette ribambelle d’amis que Madame Lenormant nous donne comme des prolongements de Madame Récamier. […] Je ne vois nulle part, dans ces deux vagues et confuses publications, le portrait que j’aurais voulu, — le portrait net, précis, essuyé de tout rêve et de toute rêverie, d’une matérialité vivante, qui crochèterait la pensée de la force de sa réalité et l’empêcherait d’errer jamais sur le compte de ce beau visage que les hommes ne reverront plus ; car le Léonard de Vinci de cette Joconde du xixe siècle, qu’aurait pu être Chateaubriand qui ne l’a pas été, ne viendra jamais.
Les divisions de ce recueil en « Vers d’amourettes » et « Vers d’amour », « Au gré du rêve » et « Ciel de France », expliqueront mieux la pensée de l’auteur que je ne saurais le faire… M.
Nous voyons, ô rêve, apparaître Le quadrige éclatant d’Hugo… et que le char auguste et sublime Nous emportait jusqu’aux étoiles Comme la boue à ses essieux !