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342. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Mathurin Regnier et André Chénier »

Le caractère de leur style et l’allure de leurs vers sont les mêmes, et abondent en qualités pareilles ; Chénier a retrouvé par instinct et étude ce que Regnier faisait de tradition et sans dessein ; ils sont uniques en ce mérite, et notre jeune école chercherait vainement deux maîtres plus consommés dans l’art d’écrire en vers. […] Puis il fut attaché en qualité de chapelain à l’ambassade de Rome, ne s’y amusa que médiocrement ; mais, comme Rabelais avait fait, il y attaqua de préférence les choses par le côté de la raillerie. […] Dans ce chef-d’œuvre, une ironie amère, une vertueuse indignation, les plus hautes qualités de poésie, ressortent du cadre étroit et des circonstances les plus minutieusement décrites de la vie réelle. […] Or il arrive que chacun d’eux possède précisément une des principales qualités qu’on regrette chez l’autre : celui-ci, la tournure d’esprit rêveuse et les extases choisies ; celui-là, le sentiment profond et l’expression vivante de la réalité : comparés avec intelligence, rapprochés avec art, ils tendent ainsi à se compléter réciproquement.

343. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre II. Du goût, de l’urbanité des mœurs, et de leur influence littéraire et politique » pp. 414-442

La nature a créé des remèdes aux grandes douleurs de l’homme ; le génie est de force avec l’adversité, l’ambition avec les périls ; la vertu avec la calomnie ; mais le ridicule peut s’insinuer dans la vie, s’attacher aux qualités même, et les miner sourdement à leur insu. […] L’on dira peut-être que la politesse est un avantage si léger, qu’on peut en être privé sans que ce défaut porte la moindre atteinte aux grandes et véritables qualités qui constituent la force et l’élévation du caractère. […] Dès qu’on écarte une illusion, il faut y substituer une qualité réelle ; dès qu’on détruit un ancien préjugé, l’on a besoin d’une nouvelle vertu : loin que la république doive donner plus de liberté dans les rapports habituels de la société, comme toutes les distinctions sont uniquement fondées sur les qualités personnelles, il faut se préserver avec bien plus de scrupule de tous les genres de fautes.

344. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre dixième »

Nous leur ferons des qualités de tout ce qui nous plaira en eux, des défauts de tout ce qui nous y déplaira. […] Aux uns il prête des qualités morales qui supposeraient tout au moins un principe intérieur spirituel ; il charge les autres de défauts qui supposent une perversité calculée. […] Il n’eût pas accablé les uns de ses répugnances, ni récompensé les autres, par d’imaginaires qualités, de l’honneur de lui avoir plu. […] Il lui arrive aussi de prescrire, comme qualités d’obligation, ses propres faiblesses.

345. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Mémoires de Philippe de Commynes, nouvelle édition publiée par Mlle Dupont. (3 vol. in-8º.) » pp. 241-259

Tel était le prince auprès duquel il se trouva placé, presque au retour de cette expédition, en qualité de chambellan et de conseiller. […] À tant de qualités faites pour capter, Louis XI joignait un défaut bien grave chez un roi. […] En tout la qualité dominante du talent de Tacite, ce composé de grave et d’auguste, y est éminemment applicable ; elle serait de trop dans le tableau de Louis XI. […] Dans un temps où tout le monde se croit propre à la politique, il ne serait pas mal d’aller regarder en lui quelles sont les qualités requises chez ceux que la nature a destinés à cette rare science.

346. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Monsieur Droz. » pp. 165-184

Il s’était marié dès novembre 1794, à l’âge de vingt et un ans, à une jeune personne « dont les qualités aimables se peignaient sur sa figure charmante ». […] À toutes les qualités qui sont nécessaires à l’orateur, Droz demande que son caractère unisse encore la sensibilité : « Beaucoup de force d’âme au premier coup d’œil, dit-il, paraît l’exclure : mais l’élévation est le point qui les unit. » L’élévation d’âme n’est pas tout encore, si l’orateur n’y joint réellement la vertu ; Droz y insiste, et non point par des lieux communs de morale, mais par des observations pratiques incontestables : « Croyez qu’il n’est chez aucun peuple assez d’immoralité, dit-il, pour que la réputation de celui qui parle soit indifférente à ceux qui l’écoutent. » Lorsque plus tard, historien de la Révolution, il aura à parler de Mirabeau, dont il appréciait si bien la grandeur, combien il aura occasion de vérifier ce côté d’autorité morale si nécessaire, par où il a manqué ! […] Droz a été surtout séduit par le côté riant, familier, humain et affectueux de l’auteur des Essais ; il a reconnu en lui sinon un excellent instituteur, du moins un bon ami ; il a fait avec Montaigne comme tout à l’heure avec Cabanis ; il s’est mis en communication avec lui par la qualité sympathique qui unissait leurs deux natures. […] Elle le mit aux prises avec la réalité tout entière ; il y garda ses qualités pures, claires, limpides ; il y développa l’expression d’une probité plus mâle, et, dans cet ouvrage final et si longtemps médité, il put donner enfin toute sa mesure.

347. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mémoires et correspondance de Mallet du Pan, recueillis et mis en ordre par M. A. Sayous. (2 vol. in-8º, Amyot et Cherbuliez, 1851.) — II. » pp. 494-514

Mais si la société a changé et s’est améliorée dans quelques-unes de ses conditions réelles, le caractère de la nation n’a point changé, et ce caractère a été parfaitement connu et décrit par Mallet du Pan, qui, en sa qualité d’étranger, était plus sensible qu’un autre aux légèretés, aux imprévoyances et aux inconstances françaises. Malouet lui écrivait en 1791 : « Nous qui raisonnons juste, nous ne rencontrons presque jamais avec précision aucun événement, parce que les actions des hommes ont fort peu de ressemblance aux bons raisonnements. » Cela est vrai pour tous les peuples et pour tous les hommes ; mais cela est encore plus vrai en France, car la nature française résume en elle avec plus de rapidité et de contraste les défauts et peut-être aussi les qualités de l’espèce. […] Il le redira sous toutes les formes à ses correspondants de toute qualité, à Louis XVIII lui-même et au comte d’Artois ou à ses amis, il ne faut pas s’exagérer les chances d’un mouvement royaliste en France. […] Ces messieurs peuvent être aujourd’hui fort tranquilles sur la qualité de la monarchie qui s’établira en France, car ils n’auront point de monarchie du tout.

348. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Armand Carrel. — III. (Suite et fin.) » pp. 128-145

Je n’insisterais pas à ce degré sur Carrel, si ce n’avait pas été l’homme le plus remarquable de l’opposition antidynastique dans la presse sous Louis-Philippe, l’adversaire le plus élevé et le plus redoutable, et celui qu’on dut regretter le plus de s’être aliéné ; si, à travers ses violences mêmes, il n’y avait pas en lui un fonds d’esprit juste et de bon sens sévère ; si, dans l’expression et dans le style enfin, il ne se trouvait pas être un écrivain de vieille roche et de la meilleure qualité. […] Carrel lui-même, si injuste avec lui dans le détail, lui niant perpétuellement ce qui allait se réaliser le lendemain, lui contestant l’énergie honorable qu’il montra en Belgique et à Ancône, et ces actes efficaces qui donnèrent alors au gouvernement de Juillet une attitude ; Carrel, si cruel une fois et si impitoyable pour lui, puisque, parlant du ministre déjà mourant, il disait (7 avril 1832) : « Espérons qu’il vivra assez pour rendre ses comptes à la France » ; Carrel fut plus juste le jour de la mort de Périer, et il écrivit ces lignes (17 mai), où il lui rend témoignage pour la qualité que lui-même prisait le plus : M.  […] Carrel, en effet, n’avait pas seulement à combattre le gouvernement qui était en face de lui, il avait à côté et en arrière à tenir tête aux ardents et aux brouillons dont il disait : « Leurs qualités ne servent que dans les cas tout à fait extraordinaires ; … leurs inconvénients sont de tous les jours. » Complètement étranger (est-il besoin de le dire ?) […] Mais que de talent et de qualités perdues dans des corridors obscurs !

349. (1848) Études critiques (1844-1848) pp. 8-146

Dans le roman, certaines qualités qui n’ont rien d’artistique, peuvent assurer le succès. […] Les actes premiers de cette école montraient jusqu’à l’évidence à quel point la qualité dont elle se targuait le plus était peu en elle. […] C’est une qualité devant laquelle tout écrivain doit s’incliner bien bas, et si sévère que puisse être jamais, envers un auteur, un homme comme M.  […] Je ne serais pas surpris que sa longue chasse aux grands hommes oubliés ait été la première cause du rare développement de si précieuses qualités. […] Sainte-Beuve est donc incontestablement le critique le plus fin que nous possédions ; mais il n’est pas, par malheur, de qualité qui n’ait un défaut pour marcher après elle, et M. 

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