Si l’Ecrivain n’y est pas politique aussi profond, que l’esprit actuel des Gouvernemens semble l’exiger, les vûes y sont du moins saines, les principes sagement discutés, les réflexions justes & lumineuses, la morale utile & irréprochable.
in-12, avec les Productions frivoles de ce genre ; les siens offrent, à travers le voile d’une agréable fiction, une morale d’autant plus piquante, qu’elle est appuyée sur une connoissance profonde du monde, sur-tout de la Cour, & sont écrits avec une délicatesse & une correction qu’il est rare de rencontrer dans des Ouvrages plus sérieux.
L’éclectisme n’a connu ni ces triomphes éphémères, ni ces chutes profondes. […] La philosophie est dans les masses sous la forme naïve, profonde, admirable de la religion. […] À toutes les époques de la civilisation règne une pensée obscure, intime, profonde. […] Les racines du mosaïsme sont très profondes, mais elles ne pénètrent pas la terre entière. […] Mais elle a des racines plus profondes encore.
Une des pensées les plus fausses de M. de Bonald, qui en a eu quelquefois de plus vraies, c’est « qu’un déiste est un homme qui, dans sa courte vie, n'a pas eu le temps de devenir athée. » Il y a, au contraire, chez le déiste sincère et convaincu, une impossibilité, une incapacité profonde d’entrer dans la manière de voir de l’athée, ou, pour mieux dire, du pur naturiste. […] Mais un sentiment tardif et profond, si imprévu et qui tranche sifort avec tout ce qu’on savait du chantre de Lisette, lui fait trop d’honneur pour que, si quelque témoignage, particulier en existe dans ses papiers ou dans ses lettres, on ne le produise pas un jour. […] Les trônes qui s’écroulent, les ministres qui tombent et se succèdent, l’intéressent moins que le courant profond de la société qui continue de couler sous toutes ces arches de pont.
L’imagination humaine avait reçu un ébranlement profond, et elle était avide d’aliments nouveaux, de légendes de toute sorte, qu’elle accepterait désormais de toutes mains sans les bien discerner. […] Mais que de garanties, que de préservatifs et de vaccins qui l’arrêtent à temps, qui l’empêchent de s’étendre outre mesure, de redevenir cette épidémie immense et profonde qui allait couvrir l’univers et qui ne devait s’affaiblir et s’épuiser qu’en se saturant ! […] On y arrive d’ordinaire avec sa prévention, avec son symbole tout fait ; on se préoccupe, à l’exemple des commentateurs, de ce mot Psyché qui veut dire âme ; on cherche des sens profonds et mystérieux dans un conte de vieille qui n’a été fait et mis en ce lieu-là que pour divertir et empêcher une belle enfant de pleurer ; on y voit une allégorie, un mythe, quelque chose de pareil à ce que de graves et pieux commentateurs ont cherché dans les fables de l’Odyssée.
Quelles furent les causes qui amenèrent un politique si profond, si ambitieux, si habile, émancipé et souverain depuis l’âge de quinze ans, initié dès lors aux plus grandes affaires, qui avait reçu coup sur coup en héritage des royaumes et des mondes, avait brigué et obtenu l’Empire, qui défendait, la Catholicité et aux frontières contre les mécréants, et au cœur contre les hérétiques, qui avec toutes ses couronnes recommençait presque la grandeur et l’universalité de la puissance de Charlemagne (moins, il est vrai, ce quartier du milieu qu’on appelle la France), — quelles raisons, dis-je, quels motifs véritables ramenèrent un jour à renoncer à tout cela en plein démêlé, en plein écheveau d’affaires, à se démettre à l’âge de cinquante-cinq ans, à se confiner dans un cloître, à vouloir y mourir ? […] Son plaisir comme son triomphe était de démêler des intérêts compliqués, de débrouiller des situations épineuses, de compenser et contrebalancer des influences, de ménager des mariages et alliances considérables, d’agiter enfin des desseins profonds dont rien ne se trahissait au dehors et ne venait déranger le dédain de sa lèvre ni obscurcir la calme sécurité de son front. […] Charles-Quint qui, vu du côté de la politique, nous paraît jusqu’à la fin si prudent, si ferme de conseil, si sain d’esprit, si occupé d’autres choses encore que d’horloges, si attentif aux affaires du dehors et voué aux intérêts de sa race et de sa maison, ce même homme, vu du, côté, des moines, paraissait à ceux-ci tout pénitent, tout mortifié, tout appliqué à la fin suprême, et il n’y avait pas hypocrisie à lui dans ce double rôle ; il unissait bien réellement dans son âme profonde et son imagination mélancolique ces deux manières d’être si contraires.
É. de Barthélémy est si inoffensif, si indulgent même pour ses devanciers et pour ceux qu’il croit devoir contredire à l’occasion, qu’on hésite à venir troubler son contentement en disant ce qu’on pense de son travail, surtout quand il nous apporte quelques parcelles inédites d’un grand esprit : et pourtant il est sujet à parler à tout instant d’un excellent écrivain dans une si singulière langue, il apprécie un moraliste profond d’une manière si superficielle et si peu logique, qu’on ne peut s’empêcher vraiment de se demander à quoi bon toutes ces poursuites et ces religions du XVIIe siècle, avec toutes les belles lectures qu’elles supposent, si elles ne servent à vous former ni le jugement, ni la langue, ni le goût. […] « M. de La Rochefoucauld avait l’esprit trop élevé, l’intelligence trop haute, le sens moral trop profond pour ne pas être un catholique véritable ; la société au milieu de laquelle il vivait était essentiellement chrétienne, et, on aura beau faire, il faudra nous laisser cette grande illustration et renoncer à la joindre à la cour, trop brillante malheureusement, de l’incrédulité. » Rien n’est plus estimable que d’être catholique fidèle et docile, surtout si l’on est à la fois chrétien de cœur ; je suis loin de prétendre que l’élévation de l’intelligence ne fût point compatible, en ce grand siècle, avec la croyance régnante, et l’on y eut d’assez beaux exemples de cette concorde et de cette union ; mais, en vérité, raisonner comme vous le faites, avec cette légèreté, cette sérénité imperturbable, et trancher ainsi une question de foi chez un moraliste de cet ordre et de cette école, chez un raffiné de la qualité et de la trempe de M. de La Rochefoucauld, c’est montrer que vous ne vous doutez même pas de la difficulté. […] « La constance des sages n’est qu’un art avec lequel ils savent enfermer leur agitation dans leur cœur. » La générosité n’est que le désir de se donner le rôle où l’on se trouve le plus grand, le plus à sa gloire ; ou, comme il le dit avec sa subtilité profonde, « c’est un industrieux emploi du désintéressement pour aller plus tôt à un plus grand intérêt. » La magnanimité n’est qu’un trafic plus grand et plus hardi que les autres : « La magnanimité méprise tout, pour avoir tout. » Ou encore (et ceci, je le crois, est inédit en effet) : la magnanimité, c’est « le bon sens de l’orgueil et la voie la plus noble pour recevoir des louanges. » Les plus humbles vertus, après les grandes, y passent à leur tour ; pas une ne trouve grâce devant lui.
Je note dans Émile quantités de pensées délicates et pures sur les femmes : « La femme qui vous aime n’est qu’une femme ; celle que nous aimons est un être céleste dont tous les défauts se cachent sous le prisme à travers lequel il vous apparaît. » Ou encore : « Une femme dont on est aimé est une vanité ; une femme que l’on aime est une religion : vous serez tout pour moi, existence, vanité, religion, bonheur, tout. » « Les femmes, qui sont si habiles en dissimulation, feignent plus adroitement que nous un sentiment qu’elles n’éprouvent pas ; mais elles cachent moins bien que les hommes une affection sincère et passionnée, parce qu’elles s’y adonnent davantage. » Sur le bienfait, qui produit des effets si différents selon la terre qui le reçoit, selon les cœurs sur lesquels il tombe : « Toutes les fois que le bienfait ne pénètre et ne touche pas le cœur, il blesse et irrite la vanité. » Sur le désabusement qui vient si tôt, qui devance les saisons, et qui n’est pas même en rapport avec la durée naturelle de la vie : « Il y a un certain âge dans la vie où l’exaltation n’est plus possible ; la sensibilité peut être assez profonde pour assister au spectacle de tant de maux et de tant de douleurs sans être entièrement usée, mais l’exaltation n’a jamais résisté à l’expérience du cœur humain. Il y a dans le cœur des hommes plus de pauvreté qu’il n’y a de misère dans la vie. » La sévérité morale, si naturelle à la première jeunesse que rien n’a corrompue, s’y marque en bien des pensées : « Dès que l’on aime, on a besoin de s’estimer ; la dignité est inhérente à tous les sentiments passionnés et au désir de plaire. » « La sensibilité profonde est aussi rare que la vertu ; … le cœur qui peut se laisser séduire un instant ne s’attache véritablement qu’à ce qu’il respecte. […] Ayant vu, quelques années après, tomber également dans un duel mortel son collaborateur de La Presse, Dujarier, il prononça sur sa tombe, le 14 mars 1845, des paroles qui méritent d’être rappelées et qui témoignent d’un sentiment profond : « Si j’élève ici la voix, disait-il, ce n’est pas seulement pour exprimer de vains regrets et rendre un pieux hommage aux rares qualités que m’avaient fait reconnaître et honorer en lui des relations dont chacune était une épreuve journalière et décisive… Mais, placé entre la tombe qui est sous mes yeux et celle qui demeure ouverte et cachée dans mon cœur, je sens que j’ai un devoir impérieux à remplir, devoir trop douloureux pour n’être pas solennel !