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1262. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre III » pp. 30-37

Quand l’esprit dominant est de rejeter sans examen et sans discernement tout ce qui appartenait au parti vaincu dans les sciences, dans les lettres, dans les arts même, l’ignorance présomptueuse, les doctrines surannées et réduites à l’absurde, les témérités mille fois réprimées des imaginations sans frein et sans guide, les extravagances les plus révoltantes, ont le champ libre, peuvent se donner carrière, faire ligue, se produire mutuellement, et se soutenir par leurs efforts combinés.

1263. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre VIII » pp. 70-76

Celle-ci (Mélite) a fait son effet par l’humeur enjouée de gens, d’une condition au-dessus de ceux qu’on voit dans les comédies de Plaute et de Térence. » En effet, dans cette pièce, l’auteur ne se bornait pas à produire des personnages décents, au lieu des bouffons de fantaisie : il leur donna, dit-il, un style naïf qui faisait une peinture de la conversation des honnêtes gens .

1264. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre quatrième. Éloquence. — Chapitre IV. Bossuet orateur. »

C’est par l’opposition qui se trouve entre ce grand cœur, cette princesse si admirée, et cet accident, inévitable de la mort, qui lui est arrivé comme à la plus misérable des femmes ; c’est parce que ce verbe faire, appliqué à la mort qui défait tout, produit une contradiction dans les mots et un choc dans les pensées, qui ébranlent l’âme ; comme si, pour peindre cet événement malheureux, les termes avaient changé d’acception, et que le langage fût bouleversé comme le cœur.

1265. (1848) Études sur la littérature française au XIXe siècle. Tome III. Sainte-Beuve, Edgar Quinet, Michelet, etc.

En général, c’est de profil, c’est obliquement, rarement en face, que l’idée chrétienne se produit dans ces poésies, où même sa présence est à peine avouée. […] Car tout n’est pas logique dans le produit de certaines combinaisons ; leur impression très instantanée ressemble à celle qui naît du mélange de deux couleurs : avant que l’esprit ait jugé, l’imagination a été saisie, le cœur a retenti. […] Ahasvérus est le plus immense des drames, ou la plus colossale des épopées. — Le prologue nous porte à une époque sans millésime, à l’intervalle où Dieu, mécontent de sa première création, se recueille pour produire un nouvel univers. […] Mais le christianisme a-t-il produit de tels changements ? […] Il n’y a que la vérité qui soit féconde ; il n’y a, si nous osons nous exprimer ainsi, que la vérité qui soit vraie, c’est-à-dire qui produise des effets vrais.

1266. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « L’obligation morale »

Par exception on s’écartera de l’une d’elles, on résistera : que si l’on résiste à cette résistance, un état de tension ou de contraction se produira. […] Au contraire, une langue est un produit de l’usage. […] Mais une émotion neuve, sûrement créée par quelqu’un, ou quelques-uns, est venue utiliser ces notes préexistantes comme des harmoniques, et produire ainsi quelque chose de comparable au timbre original d’un nouvel instrument, ce que nous appelons dans nos pays le sentiment de la nature. […] Encore faudrait-il ajouter qu’il n’y eut pas acheminement graduel, mais, à un certain moment, saut brusque. — Il serait intéressant de déterminer le point précis où ce saltus se produisit. […] Mais l’octroi d’une liberté nouvelle, qui aurait pour conséquence un empiétement de toutes les libertés les unes sur les autres dans la société actuelle, pourrait produire l’effet contraire dans une société dont cette réforme aurait modifié les sentiments et les mœurs.

1267. (1856) Cours familier de littérature. II « Xe entretien » pp. 217-327

Toute cette gloire militaire ne produisit que l’écho du canon qui faisait écrouler d’abord l’Europe, puis enfin la France elle-même pièce à pièce. […] Or la solitude et l’isolement complet du monde dans lesquels je me suis exilé ont produit sur moi l’effet de distance, d’élévation et de temps qui donnent l’impartialité presque divine au cœur des hommes solitaires. […] Louis de Vignet avait reçu de la nature une âme de Werther qui se dévorait elle-même, une imagination ardente et fatiguée avant d’avoir produit, un dégoût qui venait de l’exquise exigence de son goût, un talent poétique et un style d’écrivain qui l’auraient égalé aux plus grands poètes et aux plus vigoureux prosateurs, mais une mélancolie âpre et maladive qui flétrissait en lui le fruit de son génie avant qu’il fût mûr. […] Figure rêveuse, physionomie plus que belle, car elle était ineffaçable ; âme molle comme l’attitude ; caractère qui se pliait à tous ceux de ses amis comme une étoffe moelleuse à laquelle l’artiste n’a point donné de forme, mais dont on se drape au gré de la saison ; voix musicale qui résonnait jusqu’au fond de l’âme ; imagination poétique que la langueur des sensations empêchait de produire, mais toujours prête à rêver mieux que vous vos propres rêves et à ruminer mieux que vous vos propres vers ; un homme-écho enfin, si l’on peut se servir de cette expression, mais un écho sensible, intelligent, qui ne restait muet que par paresse, et inerte que par amour du sommeil. […] Son indolence l’empêchait de produire lui-même des œuvres achevées, mais il était capable de tout ce qu’il admirait.

1268. (1903) Articles de la Revue bleue (1903) pp. 175-627

Ce poète et ce penseur, parce qu’il a voulu s’en tenir aux formes du passé, parce qu’il a cru que la poésie française avait trouvé avec Victor Hugo sa formule définitive, n’a pas eu la force ni le courage de recréer des formes nouvelles ; il n’a réussi qu’à produire une œuvre de transition, glorieuse il est vrai, mais dans laquelle on sent, entre la pensée et le moyen d’expression, une contradiction permanente qui nuit même à ses pages les plus fortes. […] Jusqu’à ce qu’il ait été répondu à cette question préjudicielle, je m’abstiendrai de me mêler au débat que vous soulevez, car j’ai maintes fois éprouvé que les disputes fondées sur une opposition de purs sentiments, sur des appréciations qui échappent à toute formule rationnelle, ne produisent de part et d’autre aucun argument profitable à la recherche de la vérité qui est impersonnelle ; ce sont de vaines querelles qui ne peuvent aboutir à la conversion d’aucun des deux adversaires aux opinions de l’autre… Veuillez agréer, Monsieur et honoré confrère, l’expression de mes sentiments tout sympathiques et dévoués. […] Une idée ou une émotion très fortes sont données ; il se produit aussitôt, dans la conscience, un travail d’organisation des images et des idées, ce que Stendhal a appelé d’un mot heureux : une « cristallisation ». […] Pour les uns, en effet, l’œuvre est tout entière produite par le travail mécanique du cerveau. […] L’œuvre de génie est ainsi produite par l’organisme, et ce n’est, en somme, que par une pure transformation de la matière.

1269. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. DE VIGNY (Servitude et Grandeur militaires.) » pp. 52-90

Si l’art, la poésie, se doivent jamais appeler le produit précieux d’un mal caché, ce n’est pas de l’art, de la poésie d’Homère et de Sophocle, ni de celle de Dante, ni de celle de Shakspeare, de Molière et de Racine, qu’on peut dire cela : ces sortes de poésies, quelque travaillées qu’elles semblent, demeurent toujours le riche et heureux, couronnement de la nature, ramis felicibus arbos ; mais c’est bien de la poésie de Jean-Jacques, de Cowper, de Chatterton, du Tasse déjà, de Gilbert, de Werther, d’Hoffmann, et de son musicien Kreisler, et de son peintre Berthold de l’Église des Jésuites, et de son peintre Traugott de la Cour d’Arthus, c’est de toutes ces poésies, et c’est aussi de celle de Stello, qu’on peut à bon droit le dire. […] Sainte-Beuve m’aime et m’estime, mais me connaît à peine et s’est trompé en voulant entrer dans les secrets de ma manière de produire. […] J’avais produit ma manière de voir à son égard ; j’eusse été heureux d’être rectifié, s’il y avait lieu, et de m’éclairer.

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