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77. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE DURAS » pp. 62-80

Nous avons eu plus d’une fois occasion de montrer en quelles circonstances favorables, et par quelle combinaison de sentiments divers, put se former cette école de poésie et d’art, fruit propre des dernières années de la Restauration, et qui, à ne la prendre que dans son origine, indépendamment de ce que fourniront désormais les principaux membres dispersés, ne restera pas sans honneur. […] » Rentrée en France à l’époque du Consulat, et apportant pour soin principal et aliment de tendresse ses deux filles, seuls enfants qu’elle ait jamais eus, elle vécut isolée sous l’Empire, sans jamais paraître à cette cour, le plus souvent retirée à un château en Touraine27, toute à l’éducation de ses filles, à la bienfaisance pour ce qui l’entourait, et à la vie de ménage. […] Inégalité de rang, passion méconnue, gêne du monde, émigration ou Terreur, les idées favorites de Mme de Duras se retrouvent là, les principaux points du cercle sont touchés : et quand Ourika, sœur grise, dans ce couvent où tout à l’heure, par mégarde, il lui arrivait de citer Galatée, s’écrie, en parlant de l’image obstinée qui la poursuivait : C’était celle des chimères dont je me laissais obséder ! […] Édouard, plus développé qu’Ourika, est le titre littéraire principal de Mme de Duras. […] Entre toutes les scènes si finement assorties et enchaînées, la principale, la plus saillante, celle du milieu, quand, un soir d’été, à Faverange, pendant une conversation de commerce des grains, Édouard aperçoit Mme de Nevers au balcon, le profil détaché sur le bleu du ciel, et dans la vapeur d’un jasmin avec laquelle elle se confond, cette scène de fleurs données, reprises, de pleurs étouffés et de chaste aveu, réalise un rêve adolescent qui se reproduit à chaque génération successive ; il n’y manque rien ; c’est bien dans ce cadre choisi que tout jeune homme invente et désire le premier aveu : sentiment, dessin, langue, il y a là une page adoptée d’avance par des milliers d’imaginations et de cœurs, une page qui, venue au temps de la Princesse de Clèves, en une littérature moins encombrée, aurait certitude d’être immortelle.

78. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre troisième. Les sensations — Chapitre premier. Les sensations totales de l’ouïe et leurs éléments » pp. 165-188

. — Énumération des principales sortes de sensations. — Ce que signifie le mot sensation. — Distinction entre la propriété du corps extérieur qui provoque la sensation et la sensation elle-même. — Distinction entre la sensation brute et la position apparente que la conscience lui attribue. — Distinction entre la sensation et l’état du nerf ou des centres nerveux. — Caractères propres et primitifs de la sensation. […] Il en est de même pour les groupes secondaires compris dans les groupes principaux ; toute sensation spéciale, celle de l’amer, du chatouillement, du bleu, a un maximum et un minimum au-delà desquels elle cesse ou entre dans une autre espèce. — Mais chacune d’elles est une sorte de corps simple qui, capable en lui-même d’augmentation et de diminution, ne se laisse ramener à aucun des autres. […] Une même note chantée par divers instruments de timbre différent n’est pas un son simple, mais un composé de sons, dont le principal, le même pour tous les instruments, est la note fondamentale, et dont les autres, variables selon les divers instruments, sont des notes supplémentaires plus faibles, nommées harmoniques supérieures, constituées par des vibrations deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix fois plus rapides que celles de la note fondamentale. […] En sorte que ces différences de la sensation, jusqu’ici irréductibles et notées par des métaphores lâches, se réduisent à l’intervention de petites sensations subsidiaires et complémentaires de la même espèce, qui, se collant sur la sensation principale, lui donnent un caractère propre et un aspect unique, sans que la conscience, qui voit le total et seulement le total, puisse démêler ces faibles auxiliaires, ni partant reconnaître que, inférieurs en force à la sensation principale, ils sont les mêmes en nature, et que, tous semblables entre eux, ils ne diffèrent, de timbre à timbre, que par le nombre et l’acuité.

79. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre troisième. Le souvenir. Son rapport à l’appétit et au mouvement. — Chapitre deuxième. La force d’association des idées »

L’appétition et l’émotion apparaissent ainsi au fond do la mémoire, comme le ressort caché de l’association des états de conscience et comme le principal moyen de leur synthèse. […] Enfin je remarque que la vue du cadavre m’avait causé alors une profonde tristesse et que tout à l’heure aussi j’étais triste. » C’est donc la similarité d’émotion, c’est l’état de la sensibilité qui a été la puissance dominatrice et déterminante ; ici encore les idées empruntent leur principale force aux sentiments ou appétitions qui les animent, et la conscience, loin de refléter passivement les impressions, agit pour les accepter ou les repousser. […] La loi de conservation, sous une forme d’abord appétitive, puis intellectuelle, joue ainsi le principal rôle dans la sélection des idées comme dans celle des espèces. […] Ainsi donc, outre que la conscience, par l’appétition, est la force primitive d’association mentale, c’est encore elle qui, en réagissant sur les associations arrivées du dehors, devient la force principale de dissociation et d’analyse. […] Après avoir été surtout, à l’origine, un témoin de la lutte des idées, la conscience finit par être la principale force de sélection parmi les idées ; elle tend même à devenir de plus en plus dominante dans l’humanité : purement imitatrice au début, elle devient en un sens créatrice.

80. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Le président Jeannin. — II. (Suite.) » pp. 147-161

Mais l’art d’un négociateur est de ne pas rompre, même quand il échoue dans son but principal : il dissimule son échec et fait retraite en bon ordre. […] Et il distingue à merveille les moments principaux, que le duc de Mayenne a manqués et perdus, de faire avantageusement sa paix avec Henri IV. […] Comme la capacité principale et la qualité maîtresse du président était pour les négociations, on le voit employé en 1600-1601 dans les conférences diplomatiques pour traiter avec le duc de Savoie, dans les démarches qui furent faites pour amener à résipiscence le maréchal de Biron. […] C’est à cette ambassade qu’il nous faut venir pour apprécier au complet le président Jeannin, dont elle est demeurée le principal titre de gloire.

81. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Variétés littéraires, morales et historiques, par M. S. de Sacy, de l’Académie française. » pp. 179-194

J’ai eu quelquefois l’idée de traiter, dans une série particulière, des principaux de mes confrères en critique, de dire mon avis vrai sur chacun d’eux ; puis, au moment de prendre la plume, j’ai toujours été retenu par cette idée qu’étant obligé de refuser à chacun quelque chose, quelque qualité essentielle, d’en arriver, après une part d’éloges et une justice largement rendue, à un mais inévitable (car enfin nous-mêmes les critiques, redresseurs de tous, nous ne sommes point parfaits), je paraîtrais dénigrer des écrivains qui me valent au moins et que j’honore, et me mettre, contre mon intention, au-dessus de la plupart. […] Politiquement, il a rempli pendant dix-huit années une fonction très humble en apparence, très importante et des plus actives : il rendait compte dans le Journal des débats des séances des chambres, du jour au lendemain ; et dans les discussions qui s’engageaient entre les principaux organes de la presse sur les questions en jeu, il intervenait pour sa grande part. […] Il savait encore, et mieux que personne, m’a-t-on dit, le moment opportun où, dans les grandes mêlées polémiques engagées alors entre les principaux journaux, l’adversaire s’étant trop avancé et venant à prêter flanc, il était à propos d’entrer dans l’action et de donner ; il avait du tacticien. […] M. de Sacy, sans en faire son occupation principale, l’a toujours aimée, cultivée, et y a su trouver, à chaque intervalle de loisir, ses plus chères délices : le loisir augmentant, et plus même qu’il n’aurait voulu, elle est devenue sa consolation et presque tout son bonheur dans l’ordre de l’esprit.

82. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre premier. De la première époque de la littérature des Grecs » pp. 71-94

Dans ces diverses branches de la littérature, il faut distinguer ce qui appartient à l’imagination, de ce qui appartient à la pensée : il est donc nécessaire d’examiner jusqu’à quel point l’une et l’autre de ces facultés sont perfectibles ; nous saurons alors quelle est la principale cause de la supériorité des Grecs dans les beaux-arts, et nous verrons ensuite si leurs connaissances en philosophie ont été au-delà de leur siècle, de leur gouvernement et de leur civilisation. […] C’est Homère qui caractérise la première époque de la littérature grecque : pendant le siècle de Périclès, on remarque les rapides progrès de l’art dramatique, de l’éloquence, de la morale et les commencements de la philosophie : du temps d’Alexandre, une étude plus approfondie des sciences philosophiques devient l’occupation principale des hommes supérieurs dans les lettres. […] Homère a recueilli les traditions qui existaient lorsqu’il a vécu, et l’histoire de tous les événements principaux était alors très poétique en elle-même. […] Le paganisme des Grecs était l’une des principales causes de la perfection de leur goût dans les arts ; ces dieux, toujours près des hommes, et néanmoins toujours au-dessus d’eux, consacraient l’élégance et la beauté des formes dans tous les genres de tableaux.

83. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. LOUIS DE CARNÉ. Vues sur l’histoire contemporaine. » pp. 262-272

Le livre de M. de Carné, qui nous fournit l’occasion de ces remarques, met parfaitement en lumière toutes les pensées politiques, les jugements, les espérances et les doutes de cette école dont il est l’un des principaux soutiens. […] Voici la profession de foi politique du siècle, suivant M. de Carné, et nous la ratifierions en tout point, sous la réserve de l’expliquer et de la préciser : 1° Tout pouvoir tire sa légitimité de sa conformité à la loi morale et à l’utilité du plus grand nombre : son droit est subordonné à cette utilité reconnue par les corps politiques auxquels le pays a confié mission de la constater ; 2° aucune classification permanente de la société n’est désormais possible, et une aristocratie mobile et personnelle tend à remplacer l’aristocratie héréditaire légale ; 3° les idées tendent, selon les progrès graduels des mœurs, à faire prévaloir le principe électif pour les fonctions publiques ; 4° la publicité est désormais la condition essentielle du pouvoir, en même temps qu’elle deviendra son principal appui. […] Le principal rédacteur du Correspondant était M.

84. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre premier. Des principes — Chapitre IV. De la méthode » pp. 81-92

La science nouvelle sera donc sous l’un de ses principaux aspects une théologie civile de la Providence divine, laquelle semble avoir manqué jusqu’ici. […] Ainsi considérée sous le second de ses principaux aspects, la Science nouvelle est une histoire des idées humaines, d’après laquelle semble devoir procéder la métaphysique de l’esprit humain. […] Les trois principaux auteurs qui ont écrit sur le droit naturel (Grotius, Selden et Pufendorf), auraient dû tenir compte de cette autorité, plutôt que de celles qu’ils tirent de tant de citations d’auteurs.

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