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348. (1857) Cours familier de littérature. III « XVe entretien. Épisode » pp. 161-239

Toi qui fis la mémoire, est-ce pour qu’on oublie ? […] Je descendis ; je l’attachai par la bride lâche à une branche pliante de houx couverte de ses graines de pourpre, pour qu’elle pût brouter à l’aise au pied du buisson, et je m’assis un moment sur la racine du châtaignier, le visage tourné vers ma demeure vide. […] J’ouvrais ma veste et ma chemise sur ma poitrine, pour qu’il pénétrât jusqu’à mon sang. Mais cette première impression toute sensuelle épuisée, je glissai bien vite dans les impressions plus intimes et plus pénétrantes de la mémoire et du cœur ; elles me poignirent, et je ne pus les supporter à visage découvert, bien qu’il n’y eût là, et bien loin tout alentour, que mes chiens, ma jument, les arbres, les herbes, le ciel, le soleil et le vent : c’était trop encore pour que je leur dévoilasse sans ombre l’abîme de pensées, de mémoires, d’images, de délices et de mélancolie, de vie et de mort dans lequel la vue de cette vallée et de cette demeure submergeait mon front.

349. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre II : Règles relatives à l’observation des faits sociaux »

Pour qu’une idée suscite bien les mouvements que réclame la nature d’une chose, il n’est pas nécessaire qu’elle exprime fidèlement cette nature ; mais il suffit qu’elle nous fasse sentir ce que la chose a d’utile ou de désavantageux, par où elle peut nous servir, par où nous contrarier. […] Mais pour que les faits ainsi définis pussent être assignés, en tant que choses, à l’observation du savant, il faudrait tout au moins que l’on pût indiquer à quel signe il est possible de reconnaître ceux qui satisfont à cette condition. […] Pour qu’elle soit objective, il faut évidemment qu’elle exprime les phénomènes en fonction, non d’une idée de l’esprit, mais de propriétés qui leur sont inhérentes. […] Il faudrait, par exemple, avoir des raisons de croire que, à un moment donné, le droit n’exprime plus l’état véritable des relations sociales, pour que cette substitution ne fût pas légitime.

350. (1913) La Fontaine « V. Le conteur — le touriste. »

Je veux au moins vous lire une de ces fables-contes, pour que vous l’ayez dans le souvenir ou pour que vous retrouviez dans vos souvenirs d’enfance et pour que vous voyiez aussi la manière tout à fait particulière qu’il y a apportée. […] « Cependant faites bien mes recommandations à notre marmot et dites-lui que, peut-être, j’amènerai de ce pays [de ce pays-là, du Limousin] quelque beau petit chaperon [c’est-à-dire quelque jeune fille coiffée du chaperon] pour le faire jouer et pour lui tenir compagnie. » Ceci encore n’est-il pas tout à fait du ton d’un mari aimable, badin, un peu taquin aussi, écrivant à sa femme, pour la faire sourire, pour la faire gronder un peu et pour qu’elle lise la chose à ses amis en riant et en disant : « quel impertinent !

351. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre VI. L’espace-temps à quatre dimensions »

Mais nous la laissons de côté pour le moment, puisque la théorie de la Relativité elle-même nous invite à le faire : si elle a eu recours ici à un artifice, et si elle a posé un temps imaginaire, c’était précisément pour que son invariant conservât la forme d’une somme de quatre carrés ayant tous pour coefficient l’unité, et pour que la dimension nouvelle fût provisoirement assimilable aux autres. […] Il faudra alors que le nouvel espace dégorge du temps, que L2 soit diminué de c 2T2 pour que l’on retrouve équation . […] L’observateur réel laissera faire, car il est bien tranquille : comme chacun de ses deux termes équation et équation longueur d’espace et intervalle de temps, est invariable, quel que soit le point d’où il les considère à l’intérieur de son système, il les abandonne à l’observateur fantasmatique pour que celui-ci les fasse entrer comme il voudra dans l’expression de son invariant ; par avance il adopte cette expression, par avance il sait qu’elle conviendra à son système tel qu’il l’envisage lui-même, car une relation entre termes constants est nécessairement constante.

352. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Œuvres de Vauvenargues tant anciennes qu’inédites avec notes et commentaires, par M. Gilbert. — II — Vauvenargues et le marquis de Mirabeau » pp. 17-37

Ces louanges données à son correspondant et son égal reviendront trop souvent, et sous trop de formes, pour qu’on y voie un propos d’emphase ou de cérémonie. […] Mirabeau croit faire merveilles que d’écrire au bas de cette lettre, pour que Vauvenargues la montre aux amis, la réponse qu’il y a faite et qui consiste en ces seuls mots :     Mademoiselle, J’ai l’honneur d’être avec un très profond respect,     mademoiselle, Votre très humble et très obéissant serviteur. […] Est-il besoin de remarquer qu’il suffirait d’un mot lâché par lui sur sa plaie secrète, sur ce qui l’empêche d’aller à Paris, pour que Mirabeau, qui sans doute ne demanderait pas mieux et qui semble provoquer la confidence, lui offrît sa bourse ?

353. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand (suite.) »

. — Dites-moi quelque chose de Paris, pour qu’en y retournant je ne paraisse pas un véritable provincial : — mes occupations me donnent cette direction-là ; car je renouvelle les baux de Valençay, où tout est en petit domaine. — M. de Vaux39 s’annonce pour la fin de septembre : je serai charmé de le revoir. […] « J’ai été trop bien à Jeurs pour vous en remercier et pour que vous ne l’ayez pas vu. — Voici l’ouvrage de M.  […] — On persécute M. de Fitz-James pour accepter l’ambassade de Madrid. — J’ai envoyé Thierry chez vous pour qu’on vous l’envoie par quelque occasion. » M. de Talleyrand, en parlant des Grecs, comptait sans Navarin.

354. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. ALFRED DE MUSSET. » pp. 177-201

Cet idéal, qu’attestait déjà la Tentation, ressort désormais et se compose en plein sous une harmonieuse tristesse dans le Pianto, dont l’éclat est trop voisin de nos pages66 pour que nous puissions l’y juger. […] De quel sang es-tu fait, pour marcher dans la vie Comme un homme de bronze, et pour que l’amitié, L’amour, la confiance et la douce pitié, Viennent toujours glisser sur ton être insensible, Comme des gouttes d’eau sur un marbre poli ? […] Il suffirait qu’on le louât de préférer et de pratiquer une chose, pour qu’il s’applaudît à l’instant d’aimer également toutes les autres.

355. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre V. Des ouvrages d’imagination » pp. 480-512

Déjà même l’homme a trop souffert comme homme pour que les dignités, le pouvoir, les circonstances enfin qui sont particulières à quelques destinées seulement, ajoutent beaucoup à l’émotion causée par le malheur. […] Les circonstances de la vie privée suffisent à l’effet du drame, tandis qu’il faut, en général, que les intérêts des nations soient compromis dans un événement, pour qu’il puisse devenir le sujet d’une tragédie. […] Je ne crois pas impossible cependant de réussir dans une route nouvelle, en sachant ménager avec talent quelques effets non encore risqués sur la scène ; mais pour que cette entreprise ait du succès, il faut qu’elle soit dirigée par le goût le plus sévère.

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