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384. (1938) Réflexions sur le roman pp. 9-257

Le vrai roman est comme une autobiographie du possible, la biographie par Sextus Tarquin de tous ces Sextus Tarquins que, dans l’apologue qui termine La Théodicée de Leibnitz, la divinité montre à Sextus peuplant à l’infini l’infinité des mondes possibles. […] Le génie, du roman fait vivre le possible, il ne fait pas revivre le réel. […] C’est possible. […] C’est là sa vraie nature, et il est fort possible qu’il y retourne de plus en plus. […] Je signale simplement des Cadets de Coutras sur le chemin possible de Simon et de Jean.

385. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Avant-propos »

Avant-propos On pensera, peut-être, qu’il y a de l’empressement d’auteur à faire paraître la première partie d’un livre quand la seconde n’est pas encore faite ; d’abord, malgré la connexion de ces deux parties entre elles, chacune peut être considérée comme un ouvrage séparé ; mais il est possible aussi que, condamnée à la célébrité, sans pouvoir être connue, j’éprouve le besoin de me faire juger par mes écrits.

386. (1875) Premiers lundis. Tome III « Du point de départ et des origines de la langue et de la littérature française »

Marc-Aurèle, un sage selon l’ancien modèle (et selon l’ancien modèle approchant aussi près que possible du nouveau), est sur le trône ; il permet, il laisse s’accomplir en son nom cette persécution atroce contre de simples fidèles dont la plus magnanime est une jeune esclave, sainte Blandine. […] Ce second travail est à faire, et ne sera possible (s’il l’est jamais) que lorsqu’on aura une grammaire et un dictionnaire complet de cette langue, si estropiée et simal figurée, même par les copistes du moyen âge. […] Burguy qui parle), je n’ai rien trouvé qui pût justifier ce grave reproche, Fallot, ne l’oublions pas, avait l’intention d’écrire une grammaire générale des dialectes français et non pas d’un dialecte particulier ; il a donc été obligé de généraliser autant que possible, s’il ne voulait pas accumuler une masse de particularités locales et secondaires, qui auraient fait de son travail une indigeste composition. […] Cette exactitude n’est possible qu’à une condition, c’est que chaque langue aura un système qu’elle suivra, et que les permutations ne seront pas indéterminées d’une langue à une autre. […] Ces fruits de la littérature dumoyen âge, nous y atteindrons le plus tôt possible ; après avoir passé par les rudiments indispensables et nous être rendu compte, seulement pour la bien comprendre, de la question primordiale et de formation, nous arriverons après deux ou trois journées, nous nous arrêterons devant les premiers monuments, et de ceux-ci nous passerons à d’autres, et ainsi de suite sans plus cesser, en quête par-dessus tout de l’excellent : car, encore une fois, nous sommes ici pour professer la langue, la littérature cultivée, perfectionnée, celle qui ne reste pas à l’état acéphalique, anarchique, mais qui a une tête, qui, maîtresse d’elle-même, se gouverne, réagit en tous sens et s’impose, qui enfin, comme la race et comme l’esprit français qu’elle représente, a et gardera longtemps, nous l’espérons, son unité, sa grandeur et son empire.

387. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sylvain Bailly. — II. (Fin.) » pp. 361-379

Et ici commence pour Bailly un nouvel âge d’or qui sera court, mais que son honorable candeur prolongera le plus qu’elle pourra : c’est l’âge d’or de la Révolution de 89 avant les crimes, avant les excès, et tant que la concorde s’annonce comme possible. […] C’était le langage du temps, et c’est parce qu’on croyait trop alors à ces anges répandus partout sur la terre qu’il y a eu tant de crimes possibles tout à côté. […] si la chose était possible, M. 

388. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Charron — I » pp. 236-253

Quelques-uns de ces caractères ne laissent pas d’étonner au premier abord : en effet Charron s’y montre plus sceptique dans l’exposé de certaines vérités naturelles qu’on ne s’y attendrait d’après son rôle public de théologien, et il nous est possible, sans trop de difficulté, de retrouver le lien qui unit ses ouvrages de religion et d’apologétique à celui qu’il composera bientôt à un point de vue tout philosophique, comme disciple de Montaigne, et sous le titre humain De la Sagesse. […] Il ne niait point qu’il n’y eût certaines réformes possibles à apporter dans l’Église, mais il demandait que ces réformes fussent faites par qui de droit, et il observait judicieusement que, pour y aider, la première condition était de demeurer dans le giron et de n’en point sortir. […] Est-il possible de rien imaginer si ridicule que cette misérable et chétive créature, etc., etc. ?

389. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Salammbô par M. Gustave Flaubert. Suite et fin. » pp. 73-95

Ce qui est possible avec elle, c’est une sorte de roman-poème, qui la représente un peu idéalement, une œuvre plus ou moins dans le genre des Martyrs; car je ne compte pas pour des œuvres d’art les ouvrages du genre du Jeune Anacharsis, qui ne sont que des enfilades d’éruditions juxtaposées, moyennant un fil conducteur des plus simples et trop apparent. Le seul genre de création possible à cette distance, le roman-poème, est toujours lui-même douteux, un peu bâtard : il mène aisément au faux ; beaucoup de talent et le génie même de l’expression n’y sauvent pas de la raideur, du guindé, ou du pastiche, et, partant, d’un certain ennui. […] Flaubert ; il est celui de presque tous les romanciers de ce temps, à commencer par Walter Scott, lequel, ayant à nous montrer un étranger entrant le soir dans une salle de festin, s’amuse à nous le décrire de la tête jusqu’aux pieds, y compris les bas, les souliers, comme si des convives assis pouvaient distinguer cette partie inférieure de l’individu, ce qui serait tout au plus possible de jour.

390. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Histoire de la Restauration par M. Louis de Viel-Castel. Tomes IV et V. »

Mais ce qui était plus triste, s’il est possible, c’était le spectacle que donnait dans le même temps et dans la sphère politique la Chambre, produit de l’élection, et qui était si bien royaliste que Louis XVIII, dans un premier moment de satisfaction trop tôt déçue, l’avait nommée la Chambre introuvable : ce terme d’éloge ne larda pas à se tourner en amère ironie. […] Ces lois, on se réservait de les faire, aussi énormes, aussi draconiennes que possible. […] Pasquier, tantôt prudent et mesuré rapporteur, tantôt, et le plus souvent, improvisateur habile et sensé, qui toujours prêt, toujours à propos, toujours pratique, ayant au plus haut degré le tact des situations et le sentiment du possible, parlant utilement (rare mérite !)

391. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Observations sur l’orthographe française, par M. Ambroise »

Je ne puis tout dire et je ne prétends en ce moment que signaler l’estimable et utile travail, depuis longtemps réclamé, que l’Académie vient d’entreprendre, en l’exhortant (sous la réserve du goût) à oser le plus possible ; car ses décisions qui seront suivies et feront loi peuvent abréger bien des difficultés, et, notre génération récalcitrante une fois disparue, les jeunes générations nouvelles n’auront qu’à en profiter couramment. […] » Ce que cet ancien ministre, homme d’esprit, a observé là à l’occasion d’un mot spécial, l’Académie, avec son sens délicat, aura à le faire à l’occasion de bien des mots nouveaux : elle aura à indiquer le point et le temps d’arrêt, le degré d’innovation possible et permis ; mais qu’elle ne l’oublie pas, ce point à déterminer n’est point fixe, ni donné par les livres ou par les anciens vocabulaires : il est mobile, et c’est à l’usage et au goût combinés à le saisir et à l’indiquer. […] Cette espèce d’accident et d’affront qui a défiguré tout d’abord d’une manière irréparable le mot même exprimant l’art d’écrire avec rectitude, nous est un avertissement qu’en telle matière il ne faut pas ambitionner une réforme trop complète, que la perfection est interdite, qu’il faut savoir se contenter, à chaque reprise, du possible et de l’à peu près.

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