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177. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Histoire de l’Académie française, par Pellisson et d’Olivet, avec introduction et notes, par Ch.-L. Livet. » pp. 195-217

La mode des portraits datait des romans de Mlle de Scudéry. On connaît le fameux recueil dédié à Mademoiselle, et où l’on voit plusieurs portraits de sa façon. La Bruyère, avec un style tout personnel, a imité un genre déjà créé. » Je sais que, de nos jours, des bibliophiles enthousiastes, qui avaient sans doute, ce jour-là, sous les yeux un bel exemplaire des portraits dédiés à Mademoiselle, se sont écriés que ce recueil était l’origine du genre des portraits, et que, sans ce précédent, La Bruyère peut-être n’aurait pas fait les siens. […] L’originalité de La Bruyère n’est pas d’avoir fait des portraits tels quels, à la diable, et dessinés plus ou moins couramment à la plume, par manière de jeu de société, comme on les brochait avant lui, mais de les avoir faits serrés, profonds, savants, composés, satiriques, en un mot tels qu’un grand peintre seul les pouvait faire.

178. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Dominique par M. Eugène Fromentin (suite et fin.) »

Le portrait de Madeleine, au retour de son voyage, est admirablement conçu et présenté. […] Continuons avec lui d’assister en idée à ce frais retour, à ce portrait parlant où tout respire le mouvement naïf et la grâce virginale : « Cette soirée-là fut pleine d’effusion. […] Le portrait physique, pourtant, ne manque pas ; de ce qu’il y introduit la teinte morale, il ne s’ensuit pas du tout qu’il supprime, pour cela, la réalité visible ; c’est l’accord des deux tons, et non le sacrifice de l’un à l’autre, que je tiens à signaler : « Elle avait bruni. […] Sa voix, toujours caressante et timbrée pour l’expression des mots tendres, avait acquis je ne sais quelle plénitude nouvelle… Elle marchait mieux, d’une façon plus libre… » Par cette manière d’entendre le portrait, comme par la façon dont il traite le paysage, M.  […] Ce portrait est celui de Madeleine.

179. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Madame de Motteville. » pp. 168-188

« Son portrait, qui est à Motteville, dit le Journal des savants, la représente comme une brune fort jolie. » Le seul portrait gravé que j’aie vu d’elle, et que chacun peut voir au Cabinet des estampes, nous la montre coiffée à la mode d’Anne d’Autriche, n’étant déjà plus de la première jeunesse, le visage plein, avec un double menton, l’air tranquille et doux. […] Si la reine Anne d’Autriche était pour nous plus intéressante qu’elle ne nous paraît en somme d’après l’histoire, nous pourrions emprunter à Mme de Motteville des variétés de portraits qu’elle a tracés d’elle et qui sont pleins de beauté noble et de majesté. […] Ce sont là de beaux portraits et faits presque sans y songer. […] J’ai vu de ses portraits, qui étaient faits du temps de sa beauté, qui montraient qu’elle avait été fort aimable, et, comme sa beauté n’avait duré que l’espace du matin et l’avait quittée avant son midi, elle avait accoutumé de maintenir que les femmes ne peuvent plus être belles passé vingt-deux ans.

180. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) «  Mémoires de Gourville .  » pp. 359-379

Son portrait, comme contumace, était exposé près du mai du Palais : Un homme à M. de La Rochefoucauld, en qui j’avais toute confiance, s’offrit de l’aller détacher sur-le-champ. […] Tel il parut encore à la mort de M. de La Rochefoucauld, son premier patron, et qui l’avait mis en circulation dans le monde : « Jamais un homme n’a été si bien pleuré, écrit Mme de Sévigné à sa fille (26 mars 1680) : Gourville a couronné tous ses fidèles services dans cette occasion ; il est estimable et adorable par ce côté de son cœur, au-delà de ce que j’ai jamais vu ; il faut m’en croire. » Dans cette relation finale avec M. de La Rochefoucauld, Gourville se trouvait un peu en rivalité et en délicatesse intestine avec Mme de La Fayette, dont il a laissé un portrait plus malicieux qu’on ne voudrait. […] Ses Mémoires se terminent par cinq ou six portraits d’un naturel et d’une vérité admirables, portraits de Mazarin, de Fouquet, de Colbert, de Lionne, de Pomponne, de Louvois. […] À côté des portraits de ces grands ministres, il mêle assez singulièrement et philosophiquement ceux de ses quatre ou cinq laquais et domestiques qui ne le quittent pas depuis qu’il garde la chambre : c’est que, depuis lors, ces cinq derniers personnages tenaient autant et plus de place dans sa vie.

181. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1874 » pp. 106-168

Il y a, dans ces premières pages, un portrait très saisissant de la vieille Lætitia, de la mère inconsolée du César disparu, cette figure d’aïeule antique, avec ses mains de cire, et le ronronnement incessant de son rouet dans le silence du grand palais. […] Mardi 30 juin Quand on vit quelque temps en communion avec les femmes de Prud’hon, ces portraits ne vous restent pas dans la mémoire, comme des portraits. […] Enfin il est deux heures, la princesse se met à sa table, et commence mon portrait. […] Dans l’encoignure, dans l’angle de la façade du parc et du mur mitoyen du salon, sur une table est posé le petit pupitre, sur lequel la princesse crayonne ses portraits aux trois crayons. […] « J’étais tout jeunet, faisant déjà le portrait de tout le monde, quand le grand-père de la dite actrice — il était régisseur d’un théâtre du boulevard — me dit : « Tu devrais faire le portrait de ma fille ? 

182. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Le président Jeannin. — I. » pp. 131-146

Avant de nous peindre, de nous raconter le jeune homme, il nous exprime le vieillard tel qu’il se montre encore aujourd’hui à la postérité dans les austères et magnifiques portraits qui le font reconnaissable entre tous : Qui que tu sois qui regardes l’image de ce grand homme, s’écrie Saumaise, ne te semble-t-il pas, à la voir seulement, que la vertu vient au-devant de toi, et qu’elle descend des rides de ce front comme des degrés d’un théâtre ou d’un magnifique palais ? […] Aussi n’est-ce point une vaine pensée de croire que les corps des hommes illustres ne sont pas tout à fait mortels, et qu’il y a quelque esprit au-dehors qui ne se détache jamais des linéaments admirables dont la nature marque les gens de cette condition, en sorte que dans leurs portraits on connaît leurs génies, et qu’on y voit toujours je ne sais quoi de vif : ainsi qu’aux médailles antiques on dirait que ces têtes romaines respirent encore dans le métal quelque chose de leur vieille vertu. […] Faisons chez le panégyriste la part des ressouvenirs de Tacite et de Cicéron : on ne saurait rendre plus dignement toutefois l’impression que produit encore sur nous le portrait du président Jeannin, recueilli parmi ceux des grands hommes de Perrault. […] On devine en un mot dans ce portrait du jeune avocat un homme qui est né pour persuader par la parole, pour insinuer les raisons, les déduire, les étendre, les faire prévaloir avec un mélange de force, d’adresse et de politesse, encore plus que pour pérorer et plaider.

183. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Lettres de Madame de Sévigné »

Cela a été raconté mille fois : irrité de ce qu’elle lui avait refusé une somme d’argent à l’entrée d’une campagne, à la veille de la bataille des Dunes, il fit d’elle un Portrait satirique et perfide qui se lit dans l’Histoire amoureuse des Gaules. Mme de Sévigné, qui ignorait cette vengeance, s’était raccommodée avec lui, et lui-même semblait avoir oublié le grief et la brouille, lorsque le Portrait courut ; et quel Portrait ! […] En lui l’auteur paraît toujours ; sa conclusion est bien de l’homme qui, dans le temps, n’a pas voulu perdre ce vilain Portrait si bien fait ; qui n’a pas eu le courage de sacrifier et de jeter au feu cette production de son esprit : « Ne trouvez-vous pas, dit-il, que c’est grand dommage que nous ayons été brouillés quelque temps ensemble, et que cependant il se soit perdu des folies que nous aurions relevées et qui nous auraient réjouis ?

184. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Les romans de M. Edm. de Goncourt » pp. 158-183

Pour les portraits, l’aspect, la physionomie des gens dont l’auteur peuple ses pages, ce qu’il évoque c’est non une énumération de traits au repos, le catalogue d’un visage et d’un corps, mais leur mouvement, leur attitude instantanée, leur figure surprise en un changement ou une révulsion. Par une vision particulière pareille en son effet, à ces fusils photographiques, qui décomposent le vol d’une chauve-souris et le saut d’un gymnaste, M. de Goncourt arrête le portrait de la sœur de la Faustin, au sortir d’une, crise hystérique, dans sa promenade nerveuse par une salle de fin de dîner  décrit Chérie montant un escalier et, « balançant sous vos yeux l’ondulante et molle ascension de son souple, torse ». […] Nous ne connaissons pas de portrait plus évocateur et plus animé, gesticulant et parlant, traversé d’onde, de vie et de pensée, plus délicatement modelé par la sympathie des souvenirs exacts. Ce portrait est une des plus belles pages de ce siècle.

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