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252. (1874) Premiers lundis. Tome I « A. de Lamartine : Harmonies poétiques et religieuses — II »

Shakspeare le premier, homme du nord, un peu païen par l’âme, audacieux à sa façon comme Luther, réveilla dans l’ordre poétique ces incertitudes longtemps apaisées, et dès Hamlet et Macbeth, prépara ces solutions sceptiques ou rebelles que Gœthe et Byron ont poussées à bout de nos jours. […] Sans doute, et nous nous plaisons à le dire, il est aujourd’hui sur ces points d’autres interprétations non moins hautes, d’autres solutions non moins poétiques, qui, plus détournées de la route commune, plus à part de toute tradition, dénotent chez les poètes qui y atteignent une singulière vigueur de génie, une portée immense d’originalité individuelle. […] La manière poétique de M. de Lamartine est trop connue pour que nous ayons besoin d’y insister beaucoup en faussant ; c’est toujours cette même facilité dans l’élévation, cette même abondance dans le développement, ce même éclat de poésie continue .

253. (1874) Premiers lundis. Tome II « Adam Mickiewicz. Le Livre des pèlerins polonais. »

Mickiewicz nous a semblé, le dirons-nous, un peu injuste, un peu abusé par l’analogie poétique qui lui a fait considérer jusqu’au bout sa nation comme une sorte de peuple juif, unique, privilégié, doué entre tous de l’esprit de sacrifice, et du sein duquel la liberté, comme un autre messie, doit sortir. […] Ainsi donc, il y a peu de distinction entre vous et nous, sinon que nous vous accordons d’être les braves des braves, l’avant-garde des grandes Thermopyles ; mais vous et nous, d’ailleurs, c’est le même peuple et la même cause. » Il y avait peut-être, dans cet ordre plus expansif de sentiments, une inspiration poétique et une vérité politique qui n’auraient pas nui, d’ailleurs, à tout ce que M.  […] Pour nous, nous y avons vu surtout un bien noble emploi du génie poétique en des temps de calamité nationale ; nous y avons admiré, grâce à l’exacte et ferme traduction de M. de Montalembert, les beautés d’une pensée grave et mâle, et tout naturellement biblique.

254. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Taine — II »

Aujourd’hui comme jadis, il me paraît très profond le mot de l’homme que j’ai le plus estimé, de ce Franz Wœpke qui disait : « J’ai pris la vie par le côté poétique. » Sous le nom de Paul, dans les Philosophes classiques 2, puis dans le musicien du dernier chapitre de Graindorge, et ailleurs encore, bien souvent, j’ai décrit cette résignation, ce calme, cette politesse, ce labeur désintéressé. […] aujourd’hui, au terme de ma course, je prends la résolution de donner mon suprême témoignage à une religion, parce qu’elle donne satisfaction à ma conception poétique de la vie et parce qu’elle aide à refréner les tendances naturelles des hommes qui sont la brutalité et l’égoïsme.‌ […] Seulement, l’auteur du Génie du christianisme procédait par des élans de sensibilité et des peintures poétiques.

255. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Chateaubriand — Chateaubriand, Mémoires »

Cet incomparable succès, au début, conféra à M. de Chateaubriand un caractère public, comme écrivain ; sa triple influence, religieuse, poétique et monarchique, commença dès lors. […] Mais comme ce mérite d’être irréprochable tient surtout en ce cas-là à un moindre déploiement poétique, je persiste à le préférer dans sa complète et, si l’on veut, inégale manière. […] Quand M. de Chateaubriand ne confesserait pas cette lutte dans ses Mémoires, on en retrouverait l’empreinte continuelle dans sa vie, et elle y répand une teinte de mélancolie et de mystère qui en achève la poétique beauté. […] Mais jusqu’ici cette œuvre de jeunesse était restée en dehors du grand monument poétique, religieux et politique, de M. de Chateaubriand, et n’était pas comprise, pour ainsi dire, dans la même enceinte. […] Retiré le soir dans son donjon à part, le jeune homme, plein des légendes et du Génie du lieu, commençait à son tour une poétique incantation ; il évoquait sa Sylphide.

256. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre IV. Chateaubriand »

Le 15 juillet 1792, le chevalier de Chateaubriand crut se devoir à lui-même d’émigrer et de rejoindre l’armée des princes : il servit sans illusion, sans fanatisme, recueillant des impressions de la vie militaire, du service d’avant-postes, de tout le détail extérieur, pittoresque ou poétique de la guerre. […] Son dessein était de « prouver que, de toutes les religions qui ont jamais existé, la religion chrétienne est la plus poétique, la plus humaine, la plus favorable à la liberté, aux arts et aux lettres ; que le monde moderne lui doit tout ; … qu’il n’y a rien de plus divin que sa morale, rien de plus aimable, de plus pompeux que ses dogmes, sa doctrine et son culte ; … qu’elle favorise le génie, épure le goût, développe les passions vertueuses, donne de la vigueur à la pensée, offre des formes nobles à l’écrivain, et des moules parfaits à l’artiste649…. » Ce vaste dessein d’apologie se développait à travers quatre parties : Dogmes et doctrines, Poétique, Beaux-Arts et Littérature, Culte. […] En second lieu, une poétique nouvelle apparaît dans le Génie du Christianisme 655. […] Le Dernier Abencérage est une transposition poétique des impressions d’Espagne, qui n’avaient pu trouver place dans le cadre des Martyrs, et c’est de plus une réplique ou réduction d’une des idées fondamentales de la grande épopée : musulman et chrétienne, chrétien et païenne, au fond des deux récits est l’antithèse de deux religions. […] Il tourne les dieux des sauvages américains en machines poétiques, et il les rend insipides comme la vieille mythologie elle-même.

257. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXI. »

. — Érudition et réveil poétique de la France. — Faux lyrisme de Ronsard. — Quelques heureux préludes de grâce et d’harmonie. […] L’admiration même nuisait à la liberté du génie ; et l’instinct poétique, au lieu de s’animer par la passion présente, chancelait confondu sous l’amas des souvenirs. […] Cette singulière méprise ne peut, je crois, s’expliquer à la gloire de Ronsard ni se justifier par aucune théorie sur le génie poétique, la différence des temps et l’indépendance arbitraire du goût. […] D’autres échantillons du même art, de la même délicatesse naïve et poétique, sont connus, et relevés dans un travail où le paradoxe était corrigé par le savoir et l’esprit. […] Donc un nouveau labeur à tes armes s’apprête, et la fin vraiment sublime et naïve de ce chant poétique.

258. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Guérin, Maurice de (1810-1839) »

Jamais le sentiment mystérieux de l’âme des choses et de la vertu matinale de la nature, jamais la poétique et sauvage puissance qu’elle fait éprouver qui s’y replonge et s’y abandonne éperdument, n’a été exprimée chez nous avec une telle âpreté de saveur, avec un tel grandiose et une précision si parfaite d’images. […] Ses lettres confidentielles, intimes et sublimes révélations à son ami le plus cher, montrent une résignation portée jusqu’à l’indifférence, en tout ce qui touche à la gloire éphémère des lettres… C’était une de ces âmes froissées par la réalité commune, tendrement éprises du beau et du vrai, douloureusement indignées contre leur propre insuffisance à le découvrir, vouées, en un mot, à ces mystérieuses souffrances dont René, Oberman et Werther offrent, sous des faces différentes, le résumé poétique.

259. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. DE VIGNY (Servitude et Grandeur militaires.) » pp. 52-90

M. de Vigny, alors officier dans la garde, tantôt à Courbevoie, tantôt à Vincennes, mais toujours à portée de Paris et le plus souvent à la ville, essayait et caressait dans ce cercle ami ses prédilections poétiques. […] Quand j’ai insisté, pour rectifier une erreur, sur les premières relations littéraires et les accointances poétiques de M. de Vigny, ce n’est pas du moins que je prétende diminuer aucunement son caractère d’originalité et l’idée qu’on se doit faire de la puissance solitaire et méditative empreinte dans ses poëmes. […] Les sources extérieures du talent poétique de M. de Vigny, si on les recherche bien, furent la Bible, Homère, du moins Homère vu par le miroir d’André Chénier, Dante peut-être, Milton, Klopstock, Ossian, Thomas Moore lui-même, mais tout cela plus ou moins lointain et croisé, tout cela surtout fondu et absorbé goutte à goutte dans une organisation concentrée, fine et puissante. […] Le mouvement poétique, qui redoubla de concert et de retentissement à partir de 1828, vint pourtant classer M. de Vigny à son rang dans les jeunes admirations ; une auréole mystique et secrète l’entoura peu à peu au seuil de sa solitude. […] Lorsque j’eus à mon tour un article à écrire, je me gardai bien d’aller consulter De Vigny ni de l’interroger sur ses antécédents : j’eusse été obligé, sous peine de le froisser directement, de suivre sa version et de prêter les mains à une genèse poétique par trop complaisante.

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