IV Laissons donc dire le titre de ce livre, qui nous invite avec un nom de femme ; laissons même les détails charmants et naïfs de ce poème retrouvé du chapelain de la comtesse Mathilde, dont Renée, l’habile enchâsseur qui sait faire reluire les moindres pierres, a orné les pages de sa chronique ressuscitée.
Comme les paladins du poème de l’Arioste, toute cette assemblée devient folle.
Et cette poésie, d’une originalité incomparable, à laquelle il ne manque que le rythme pour être, dans tous les sens du mot, le plus beau poème qui soit jamais sorti d’un cerveau humain, ternit et effaça d’un trait, à force de lumière et d’idéale beauté, ces inventions de Swedenborg, d’une ingéniosité bizarre, mais qui par le relief, la couleur, le détail, — tout ce qui constitue la poésie, — n’étaient guères, en somme, que les souvenirs déteints de la littérature biblique ou chrétienne.
Le grand anthropomorphiste qui a écrit L’Aveugle, Le Mendiant, tant de fragments grecs et aussi tant d’autres chefs-d’œuvre, — grecs encore quand il voulait le plus être du xviiie siècle et français, — n’a rien de commun avec le panthéiste qui n’est pas panthéiste seulement que dans son étrange poème du Centaure.
Alors même qu’elle ne penserait pas que la poésie est la plus belle et la plus difficile des choses littéraires, alors qu’elle partagerait pour ce langage des dieux, méprisé des goujats, l’indifférence dédaigneuse des fortes têtes de son siècle, la Critique ne peut pas plus laisser inaperçu un livre de vers signé Auguste Barbier, qu’un poème de Lamartine et des recueils de poésies de Victor Hugo et d’Alfred de Musset.
… Dans un des plus longs poèmes du recueil de Laurent Pichat, intitulé : Saint-Marc (le Saint-Marc de Venise), où se trouve, plus que partout ailleurs, cette idée qui, au fond, est la seule du livre : c’est que le monde entier, l’Antiquité, le Christianisme, le Moyen Age, toutes les religions, toute l’Histoire enfin, jusqu’à ce moment, ne sont plus qu’une pincée de poussière, un songe évanoui, évaporé, perdu, et qu’il n’en subsiste ni un sentiment, ni une croyance, ni une vérité, tandis que le xixe siècle seul est la vie !
Et cependant l’admiration que nous avons pour le grand poëte saigne dans nos cœurs quand nous voyons, en ses Mémoires, cette glace d’une magique beauté, mais qui nous l’a tant rapetissé en le réfléchissant, qu’il eût pu, s’il avait voulu, arracher encore aux riens de son existence de dandy assez d’heures pour achever le Don Juan ou pour nous écrire quelque autre poème, comme Lara ou le Giaour.
Écoutez cette plainte fatiguée : « Toutes les personnes, écrit Gogol à un de ses amis, toutes les personnes qui lisent, en Russie, sont persuadées que l’emploi que je fais de ma vie est de me moquer de tout homme que je regarde et d’en faire la caricature… » Bientôt cette société qu’il avait blessée par cette suite de caricatures qui forment les divers Chants de son poème des Ames mortes, les fonctionnaires de cette Chine de fonctionnaires, dont il avait dit les bassesses les petitesses, le néant, l’aristocratie puérile, les femmes, les prêtres, tout se souleva contre lui.