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225. (1860) Ceci n’est pas un livre « Une préface abandonnée » pp. 31-76

On voit si bien, à travers sa phrase émue, qu’il a souffert toutes ces douleurs, tressailli de toutes ces joies, combattu toutes ces luttes ! […] Alors le contour de la phrase est ferme et bien arrêté ; nulle épithète vague qui flotte dans l’intérieur ou qui déborde au dehors. […] Son style est lâche et peu précis ; sa phrase ne se tient pas toujours bien ; — elle vacille, elle trébuche plus d’une fois avant d’être rendue au point final. […] … Allons, une faute de français ici, — un détail écœurant à la fin de cette phrase… (Second soupir plein d’amertume.

226. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre VI. Daniel Stern »

Elle arlequine son style de petites phrases allemandes, comme sa pensée de petites idées du même pays. […] Jamais, de fait, dans toutes ses œuvres, une phrase agréable, pimpante ou négligée, souriante ou touchante, a-t-elle échappé à cette femme, correcte de style comme de visage, mais qui n’a pas plus d’agréments, Dieu me damne ! […] Nul mouvement intérieur n’anime sa phrase et ne la secoue et ne lui imprime ces sinuosités et ces raccourcis qui font du style une peinture. Sa grande diablesse de phrase carrée se développe toujours de la même manière, avec la plus fatigante des monotonies ; mais pour cette femme qui veut être homme, c’est là de la gravité magistrale que cette carrure et cette allure.

227. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « J. de Maistre » pp. 81-108

L’auteur peut y être moins fulgurant, moins écrasant de clarté que dans le Pape, mais il y est intégral (déjà), absolu, péremptoire, avec cet éclair à la cime d’une phrase ou d’un mot qui est tout de Maistre, et ce mépris que j’ai appelé un jour la seule colère d’un gentilhomme. […] Nulle phrase équivoque, sentant son interpolation, ne vient rompre l’unité de ce style correct et ferme, étincelant de poli et de solidité comme un marbre, aisé enfin à reconnaître parmi les styles immortels. […] Ce n’est pas Calvin qui eût écrit cette phrase : « Il n’y a pas d’homme qu’on ne puisse gagner avec des opinions mesurées. » Et encore : « Les vertus poussées à l’excès deviennent des défauts. » Et encore — (si Calvin avait eu le triste avantage de vivre après la Révolution française) : « De quoi pourriez-vous vous plaindre ? […] Ce qui brille si bien paraît couper Mais c’est une illusion de logique et de phrase, et Joseph de Maistre, qui a produit longtemps cette double illusion, en produit encore la moitié.

228. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre II : M. Royer-Collard »

Le dernier des philosophes français, il écrivit simplement, sans mots abstraits ni phrases allemandes, à la manière du dix-huitième siècle. […] Il eut une précision étonnante, n’employant que des phrases brèves et des mots exacts, véritable mathématicien, dont toutes les expressions étaient des chiffres. […] Cette dernière phrase est d’une énergie étonnante. […] Donc la perception extérieure est une représentation du dedans, projetée et réalisée dans le dehors. — De la nature de la perception extérieure, de ses précédents, de ses suites, de ses vérités, de ses erreurs, jaillit cette phrase dix fois répétée et dix fois démontrée : la connaissance sensible est la conscience d’un simulacre intérieur, lequel paraît extérieur, sorte d’hallucination naturelle, ordinairement correspondante à un objet réel, opération qui mène par l’illusion à la vérité, qui trompe l’homme pour l’instruire, et, par les fantômes du dedans, lui révèle les substances du dehors13.

229. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. ALFRED DE MUSSET (La Confession d’un Enfant du siècle.) » pp. 202-217

A la page 152 du premier volume, pourquoi cette phrase qui doit choquer même l’incrédule, au moins comme une grave inconvenance ? […] J’ai noté, dans ce chapitre II, page 8, une phrase sur Napoléon, sur son arc, sur la fibre humaine qui en est la corde, et sur les flèches que lance ce Nemrod, et qui vont tomber je ne sais où ; une pareille phrase, si on la lisait dans la traduction du Titan de Jean-Paul, ferait dire : « Cela doit être beau dans l’original, » et ce demi-éloge de la pensée serait, à mes yeux, la plus sensible critique du style et de l’expression.

230. (1899) L’esthétique considérée comme science sacrée (La Revue naturiste) pp. 1-15

Trop heureux serai-je, si, une seule fois, dans une pauvre maison, mes vers portaient quelque douceur à un cœur simple », est-il possible de ne point sentir quelle passion anime ces phrases ? […] Car toutes les phrases que j’ai citées, ne supposent-elles pas une grande foi chez leurs auteurs ? […] Plusieurs hommes, je ne l’ignore pas, ont déjà prononcé des phrases semblables, Carlyle, par exemple, et Victor Hugo répètent la même chose dans tous leurs ouvrages.

231. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le capitaine d’Arpentigny »

Les écrivains au-dessus du métier, les écrivains de phrase apprise, ne sont pas déjà si communs au xixe  siècle pour qu’on oublie de signaler un homme qui a un style à lui, brillant et solide. […] Artiste en mots, qui sait donner à sa phrase tous les assouplissements et tous les enrichissements d’une étude patiente et inspirée, peut-être a-t-il voulu couvrir d’or l’éclair de l’acier ? […] « C’est à ce mouvement qu’on dut en partie la victoire… » Maintenant, qu’il déclame tant qu’il voudra contre la guerre et s’enniaise de philosophie moderne, l’homme qui a écrit cette espèce de strophe, cette phrase presque plastique, ce tableau d’un si rapide mouvement et d’une si héroïque couleur, est, avant de se donner pour un Lavater de la main, un peintre militaire indestructible qui va se trouver partout : — il n’y a qu’un moment dans l’idéal, tout à l’heure dans la réalité.

232. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Le termite »

Rosny, quelques-uns des passages qui nous peignent les labeurs de Servaise : « … Les soirs de lampe, les rudes soirs où la volonté terrible l’entraînait au jeu des phrases, les sorties où les œuvres grouillaient dans son crâne comme l’obsession dans l’âme d’un fou… » « … Dans le désarroi idéen, c’est à ce mot « travail » que Servaise toujours revenait, comme à la divinité mystérieuse, à l’entéléchie dont l’adoration l’avait dû conduire à la gloire. […] Ils se rassemblent pour déchirer les absents pendant la première heure et pour se déchirer entre eux le reste du temps  en phrases brèves, bizarres, violentes et obscures.

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