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319. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Victor Hugo » pp. 106-155

Hugo conçoit comme des êtres nus et simples, qui manifestent leur passion ou leur nature par la répétition d’actes semblables. […] L’Homme qui Rit est fait du contraste de la passion idéale et de la passion voluptueuse ; les Misérables sont la lutte de l’individu contre la société, les Travailleurs de la Mer, celle de l’homme contre les éléments. […] Cette simple mécanique intellectuelle, résumée en un conflit de deux natures, de deux passions, de deux mobiles, est la plus complexe que M.  […] Tous les incidents sont des catastrophes, toutes les entreprises héroïques, les passions et les émotions intenses, les intrigues ténébreuses, et les vertus angéliques. […] Le faux Lord Chancharlie est historiquement vraisemblable, et de toutes les héroïnes de théâtre, la reine Marie Tudor, se distingue par des passions humaines conçues en termes vrais.

320. (1707) Discours sur la poésie pp. 13-60

Le nombre et la cadence chatouillent l’oreille ; la fiction flate l’imagination ; et les passions sont excitées par les figures. […] Au lieu de songer à réformer les fausses idées des hommes, ils y ont la plûpart accommodé leurs fictions ; et sur ce principe ils ont donné souvent de grands vices pour des vertus, contens de décrier les penchans les plus honteux et les passions les plus grossiéres. […] Comme ils ne font point parler des poëtes, mais des hommes ordinaires, ils ne doivent qu’exprimer les sentimens qui conviennent à leurs acteurs ; et prendre pour cela les tours et les termes que la passion offre le plus naturellement. […] On le doit passer quelquefois par la même raison aux poëtes de théatre, qui peuvent encore par ce moyen prolonger des mouvemens et des passions agréables. […] C’est ainsi que je tâche de ressembler à Anacréon : j’ai imité même jusqu’à sa morale et à ses passions que je désavoüe.

321. (1887) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Troisième série pp. 1-326

Les passions cependant sont des cordes qui ont besoin de la main d’un grand maître pour être touchées. […] Quand les passions de l’amour ne seraient pas en quelque manière chargées de pourvoir à la conservation de l’humanité même, elles demeureraient encore le principe subtil dont la présence inaperçue donne aux autres passions leur force et leur profondeur. […] Quels cris de passion vraie ! […] Leur passion les plonge dans « une mer d’infortunes », d’où ils essayent vainement de se sauver. […] Car, si des Grieux n’est plus la passion toute pure, la passion libérée de tous les liens qui la brident, la passion élevée par sa propre puissance au-dessus de tout ce que la morale, et l’honneur, et les lois ont inventé pour la contenir, il n’est plus qu’un gredin de bas étage, indigne de tout intérêt, de toute sympathie, de toute pitié même ; et qui ne voit que c’est comme si je disais en deux mots qu’il n’est plus des Grieux ?

322. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « George Sand — George Sand, Indiana (1832) »

Mais dès qu’en ouvrant le livre on s’est vu introduit dans un monde vrai, vivant, nôtre, à cent lieues des scènes historiques et des lambeaux de moyen âge, dont tant de faiseurs nous ont repus jusqu’à satiété ; quand on a trouvé des mœurs, des personnages comme il en existe autour de nous, un langage naturel, des scènes d’un encadrement familier, des passions violentes, non communes, mais sincèrement éprouvées ou observées, telles qu’il s’en développe encore dans bien des cœurs sous l’uniformité apparente et la régularité frivole de notre vie ; quand Indiana, Noun, Raymon de Ramière, la mère de Raymon, M. […] Je conçois bien qu’à l’âge d’Indiana, et malgré la blessure d’une si furieuse passion, on s’adoucisse, on vive, on oublie un peu, et qu’après un intervalle assez long, on finisse même par aimer ailleurs ; mais ici le passage est brusque, la guérison magique ; sir Ralph joue le rôle d’un véritable Deus ex machina, qui, déguisé jusqu’alors en quelque rustre, et demeuré témoin insignifiant du drame, se révèle soudain, reprend sa haute beauté et ravit à lui l’Ariane : l’histoire réelle finit comme un poëme mythologique.  […] La vanité, le caprice, les sens, le besoin de succès et de plaisir à tout prix, deviennent en ces sortes d’âmes des passions moins nobles, mais non moins acharnées, qui gravent aussi leurs rides au front et en arrachent les cheveux. […] L’auteur d’Indiana, depuis son roman, a donné à une Revue une nouvelle intitulée Melchior, où se retrouvent dans un moindre espace les mérites d’observation et de passion que nous venons de signaler.

323. (1874) Premiers lundis. Tome II « Poésie — George Sand. Cosima. »

Il y avait une attente immense ; il y avait autre chose que de l’attente encore, c’est-à-dire bien des petites passions en jeu. […] Mais, s’il n’y avait pas de grosses passions en garde à la soirée de Cosima, il n’y avait que plus de menus sentiments. […] L’idée de Cosima est très simple et très autorisée : c’est la lutte de la passion et du devoir au sein d’un cœur pur qui va cesser de l’être ; c’est l’antique et éternel sujet du drame depuis Phèdre jusqu’à nous. […] Ainsi, au premier acte, Cosima, qui n’entend parler depuis quelques jours, et à son oncle le chanoine, et à sa soubrette, que de son honneur à elle qu’Alvise son mari doit défendre, Cosima, ennuyée, excédée de cette surveillance qui la froisse comme femme de bien, et qui la tente comme toute fille d’Ève, s’écrie avec un sentiment douloureux d’oppression et en se dirigeant vers la fenêtre où elle apercevra peut-être l’ombre d’Ordonio ; « L’air qu’on respire ici depuis quelque temps est chargé d’idées blessantes et de paroles odieuses. » Si on murmure à une telle phrase au lieu d’applaudir, il faut renoncer, j’en demande pardon aux puristes du parterre, à faire parler la passion moderne au théâtre et à y traduire la pensée en d’énergiques images.

324. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XI. De la littérature du Nord » pp. 256-269

C’est à tort, ce me semble, qu’on a dit que les passions étaient plus violentes dans le Midi que dans le Nord. On y voit plus d’intérêts divers, mais moins d’intensité dans une même pensée ; or c’est la fixité qui produit les miracles de la passion et de la volonté. […] C’est cette disposition de l’âme, source de toutes les passions généreuses, comme de toutes les idées philosophiques, qu’inspire particulièrement la poésie du Nord. […] La perfection de quelques-unes de ces poésies prouve, sans doute, le génie de leurs auteurs ; mais il n’en est pas moins certain qu’en Italie les mêmes hommes n’auraient pas composé les mêmes écrits, quand ils auraient ressenti la même passion ; tant il est vrai que les ouvrages littéraires ayant le succès pour but, l’on y retrouve communément moins de traces du caractère personnel de l’écrivain, que de l’esprit général de sa nation et de son siècle.

325. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XVI. De l’éloquence et de la philosophie des Anglais » pp. 324-337

Ils ont développé d’une manière supérieure la théorie métaphysique des facultés de l’homme ; mais ils connaissent et étudient moins les caractères et les passions. […] La révolution anglaise, qui devait mettre en mouvement toutes les passions populaires, s’est faite par les querelles théologiques. […] Les deux partis qui ont divisé le parlement ne luttaient point comme les plébéiens et les patriciens, avec toutes les passions de l’homme ; c’était presque toujours quelques rivalités individuelles, contenues par l’ambition même, qui les excitaient ; c’étaient des débats dans lesquels l’opposition voulant donner au roi un ministre de son parti, gardait toujours, dans sa résistance même, les égards nécessaires pour arriver à ce but. […] La langue de la prose étant beaucoup plus perfectionnée chez les Français, ce que nous avons eu, ce que nous pourrions avoir d’hommes vraiment éloquents, remuerait plus fortement les passions humaines ; ils sauraient réunir dans un même discours plus de talents divers.

326. (1889) La littérature de Tout à l’heure pp. -383

On a inventé de jouer à froid la grande passion. […] — mais le sujet de Fortunio offrait ce hasard qu’ayant à traiter, là, de passion et de passion très violente, Gautier « extériorise » cette passion elle-même, la rend par des tons et des sons, des couleurs et des gestes. […] L’idée de la passion, plus que la passion même, le captive. […] Là, il a fait de la Curiosité une passion extraordinaire. […] Ses passions dépassent l’humanité.

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