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1337. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — H — Hugo, Victor (1802-1885) »

Qu’il rouvre les voiles du temple, et que, soutenue du redoutable esprit qui l’anime, sa muse combatte longtemps encore les penchants égoïstes et les révoltes intérieures de l’homme demeuré seul avec ses passions ! […] Chacun de ses ouvrages signale un perfectionnement très sensible dans l’instrument littéraire ; mais tous, pourtant, sont empreints d’un commun caractère : ils procèdent plutôt de la pensée solitaire et recueillie, écoutant au-dedans d’elle-même les voies confuses de la rêverie et de l’imagination, que d’un besoin logique de systématiser sous la forme épique et dramatique les développements d’une passion observée dans la vie sociale ou d’une anecdote compliquée d’incidents variés. […] En se comparant à une passion semblable, elle se sent à la fois rapetissée et grandie. […] Il a su transmuter la substance de tout en substance poétique, ce qui est la condition expresse et première de l’art, l’unique moyen d’échapper au didactisme rimé, cette négation absolue de toute poésie ; il a forgé, soixante années durant, des vers d’or sur une enclume d’airain ; sa vie entière a été un chant multiple et sonore où toutes les passions, toutes les tendresses, toutes les sensations, toutes les colères généreuses qui ont agité, ému, traversé l’âme humaine dans le cours de ce siècle, ont trouvé une expression souveraine.

1338. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 mai 1886. »

Delacroix fut le lyriste des violentes passions, un peu vulgaires dans leur romantisme. […] Félicien Rops qui disent, amèrement, les vicieuses passions d’une époque perverse. […] Cette scène pourrait être considérée par les esprits qui goûtent le symbolisme, comme la peinture d’une de ces luttes intestines, qui déchirent les poitrines humaines, durant lesquelles l’âme s’entretient avec elle-même, divisée qu’elle est par un parallélisme de velléités, dissemblables de formes et identiques d’essence, cependant ; ceux-là, au lieu de personnages différents, croiraient écouter les contraires discours des passions, se choquant dans un dialogue emporté, dont nul ne saurait prévoir l’issue, fatale ou miraculeuse. — Tannhœuser se dégage violemment des bras qui l’enserrent, s’éloigne de la Déesse, et dans une invocation de fiévreuse infélicité, il met son salut dans la Vierge Marie ! […] Même absorption dans le bonheur présent, même chaste abandon, même aveu simple et entier d’une passion profonde, même reprise d’un thème toujours varié et toujours identique, d’un thème d’amour si heureux qu’on le croirait, écho des célestes liesses, ne pouvoir jamais être interrompu ou brisé !

1339. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 novembre 1886. »

L’héroïque loyauté de Tristan, chargé d’amener la princesse Iseult au vieux roi Marke, et qui, sentant gronder en son cœur une ardente passion, se tient loin d’elle, à l’arrière du navire, et se refuse à l’aborder quand elle l’envoie quérir ; — la colère et le dépit d’Iseult, confuse de l’invincible amour qui la pousse vers le chevalier qui a tué son premier fiancé, Morold ; irritée de ne rencontrer que muette indifférence en cet orgueilleux vainqueur et résolue à l’empoisonner pour venger Morold ; — à côté d’eux, le dévouement complet, absolu, représenté par l’écuyer Kurwenal et l’aimable Brangœne ; — les sages conseils de ceux-ci, tantôt ironiques, tantôt affectueux ; la réserve obstinée de Tristan, la passion croissante d’Iseult et sa soif de vengeance ; l’irrésistible élan qui les jette dans les bras l’un de l’autre après qu’ils ont bu le philtre amoureux, servi par Brangœne, au lieu du breuvage de mort qu’Iseult croyait verser à Tristan ; — leur enivrante extase et leur douloureux réveil lorsque le navire aborde et que les cris des matelots saluent le roi Marke attendant sa fiancée au rivage : — voilà pour les épisodes du premier acte, que l’auteur a traduits avec une vérité et une variété dont on ne peut avoir aucune idée, à moins de l’entendre. […] Les appels douloureux de Tristan, son retour attendri sur sa jeunesse, alors que le chalumeau du pâtre fait entendre le même chant plaintif qu’au jour où mourut son père ; et les rudes consolations de Kurwenal, et l’affolement d’amour, les sursauts terribles de passion qui secouent le malheureux dès qu’on signale en merle vaisseau qui ramène Iseult ; et son dernier cri d’amour en la voyant, et la transfiguration d’Iseult, « se fondant dans les grandes ondes de l’océan de délices, dans la sonore harmonie des vagues de parfums, dans l’haleine infinie de l’âme universelle » ; de ces divers éléments réunis, Wagner a su former un tout poétique et musical d’une profondeur d’accent et d’une force d’étreinte incomparables. […] Il ne suffit pas d’être rompu à la science et de se faire obéir ; il faut être artiste, et cette dispersion de la vie centrale, de l’expression générale dans toutes les parties ce l’édifice commun, ne se fait pas sans un sentiment profond de la vérité et de la passion, où l’âme éclate et rayonne. » En un mot, c’est le génie, et le génie dans ce qu’il a de plus spontané et de plus humain.

1340. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Proudhon » pp. 29-79

C’est là un livre éphémère comme un journal, dont il a les passions violentes et rapides. […] X Elle est là toute, en effet, dans ces pages : instincts, passions, habitudes, double empreinte de l’esprit et de la volonté, puissances et impuissances ! […] Dans un temps de curiosité personnelle, où l’on veut savoir avec passion comment tout ce qui a pour deux liards de célébrité met son bonnet de nuit et ses pantoufles, la Correspondance de Proudhon, du fameux auteur des Contradictions économiques et de la Justice dans la Révolution, doit exciter au plus haut point l’intérêt de qui tient à ces pantoufles et à ce bonnet de nuit. […] Dieu lui avait épargné les passions, et ne lui avait accordé d’imagination que ce qu’il en faut pour donner de l’éclat et de la couleur à du style.

1341. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gui Patin. — II. (Fin.) » pp. 110-133

J’ai aussi une passion particulière pour Scaliger, des œuvres duquel j’aime et chéris les Épîtres et les Poèmes particulièrement ; j’honore aussi extrêmement ses autres œuvres, mais je ne les entends point… Ici se décèle plus naïvement qu’on n’aurait pu l’attendre la part de superstition et de croyance sur parole qui se mêlait à ces cultes et à ces admirations ultra-classiques de Gui Patin. […] Si, sur ces entrefaites, son ami l’incomparable M. de Saumaise écrit « en faveur du roi d’Angleterre contre les Anglais qui lui ont coupé la tête », Gui Patin en parle comme ferait un pur et un fidèle : « Pour les Anglais, si vous en exceptez un petit nombre d’honnêtes gens, je leur souhaite autant de mal qu’ils en ont fait à leur roi. » Si son autre ami, et bien plus intime, Gabriel Naudé, écrit en faveur de Mazarin son volume dit Le Mascurat, il prend sur lui de ne point blâmer le livre, mais il fait aussitôt ses réserves en ajoutant : « C’est un parti duquel je ne puis être ni ne serai jamais. » La première Fronde, même après qu’elle est terminée et manquée, a tout son assentiment et son éloge : « Ceux qui décrient le parti de Paris en parlent avec passion et ignorance : c’est un mystère que peu de monde comprend. […] Ici toutes les passions de Gui Patin sont en jeu.

1342. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Roederer. — II. (Suite.) » pp. 346-370

C’était le moment où Mme de Staël publiait son livre De l’influence des passions sur le bonheur. […] Pour qui ne l’approchait pas et n’était pas à même d’apprécier son activité originale et sa gaieté naturelle, il semblait que son enveloppe un peu âpre, son profil accentué, sa figure maigre, anguleuse, d’une coupe tranchante, exprimassent d’autres passions que celles qui animaient son esprit fertile et son cœur honnête. […] Il faudrait voir, en bien d’autres détails, comme il était réellement épris et enthousiaste de la gloire, de la vertu du premier consul à cette époque, comme il luttait de toutes ses forces et avec passion contre l’influence de Fouché en laquelle il dénonçait un danger, et, qui pis est, une souillure pour la réputation immaculée du jeune chef d’empire.

1343. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Journal et Mémoires, de Mathieu Marais, publiés, par M. De Lescure  »

Je leur montrerai bien qu’il faut nécessairement avoir des spectacles dans un État pour purger les passions. […] Les objections de Bayle sont disséminées ; on est libre avec lui, comme avec Montaigne, de ne pas les ramasser et, selon l’heureuse expression de Marais, de ne pas « mettre en corps cette armée-là. » Bayle fait la part des nécessités de la société, des infirmités des hommes, et de ce qu’il faut accorder aux impressions machinales qu’excitent les passions. […] Aux pages 387 et 388 du premier volume, Gabrielle d’Estrées est non seulement nommée, mais présentée comme agissant sur les intérêts politiques par la passion qu’elle a inspirée au roi, et laissant par sa mort le champ libre au divorce et au second mariage de ce prince.

1344. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Chateaubriand — Chateaubriand, Vie de Rancé »

Souvent, après avoir chassé le matin dans quelque belle terre, il venait en poste, de douze ou quinze lieues, prêcher en Sorbonne à l’heure dite, comme si de rien n’était : « Sa parole, dit M. de Chateaubriand, avait du torrent, comme plus tard celle de Bourdaloue ; mais il touchait davantage et parlait moins vite. » Sa violence de passion, en tout temps, se recouvrait d’une parfaite politesse.  […] « Voici qu’un matin quelque chose de presque insensible se glisse sur la beauté de cette passion, comme une première ride sur le front d’une femme adorée. […] On est obligé de reconnaître que les sentiments de l’homme sont exposés à l’effet d’un travail caché ; fièvre du temps qui produit la lassitude, dissipe l’illusion, mine nos passions, fane nos amours et change nos cœurs, comme elle change nos cheveux et nos années.

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