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184. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Lamartine, Jocelyn (1836) »

Quand la sublime illusion cesse, quand l’amour a revolé aux cieux, tout le monde d’alentour reparaît, dans une ombre d’abord, mais bientôt tout s’éclaire comme d’une aube croissante ; l’humanité reprend sa place dans l’univers. […] Que de fleurs les brises commençantes vous apporteraient sous son ombre ! […] Le besoin de recueillir dans une œuvre définitive tant de force féconde et tant de richesses nées du cœur se fait sentir et devient le rêve qui, comme l’ombre, s’accroît avec les années. […] Et, ne pouvant pousser sa route plus avant, Les chênes l’abritaient du soleil et du vent ; Les tentes, aux rameaux enlaçant leurs cordages, Formaient autour des troncs des cités, des villages, Et les hommes épars sur des gazons épais  Mangeaient leur pain à l’ombre et conversaient en paix : Tout à coup, comme atteints d’une rage insensée, Ces hommes se levant à la même pensée  Portent la hache aux troncs, font crouler à leurs piés  Ces dômes où les nids s’étaient multipliés ; Et les brutes des bois sortant de leurs repaires, Et les oiseaux fuyant les cimes séculaires.  […] Ne comprenaient pas l’œuvre, et maudissaient du cœur  Cette race stupide acharnée à sa perte, Qui détruit jusqu’au ciel l’ombre qui l’a couverte !

185. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVIIe entretien. Poésie lyrique » pp. 161-223

Les temples, pleins de l’ombre de Dieu, sont aussi pleins du chant des hommes ; les cantiques sont l’encens des cœurs ; ils jaillissent des lèvres dès que l’homme se croit en présence de la Divinité. […] Des yeux rêveurs, une bouche pensive, des dents de lait, petites, rangées dans leurs alvéoles roses comme celles d’un agneau à sa première herbe ; un teint que l’ombre perpétuelle des feuilles dans ce pays de forêts conservait aussi blanc, mais moins délavé, que celui d’une enfant des villes ; une taille ferme, des bras ronds, des mains effilées, des pieds cambrés et délicats, qui brillaient comme deux pieds de marbre d’une statue quand elle les plongeait nus dans le courant de la source en lavant les toisons dans l’eau courante ; un caractère doux, sérieux avant l’âge ; des silences, des rougeurs, des timidités qui la faisaient aimer de toutes ses compagnes et respecter de tous ses compagnons de travail dans la maison et dans les champs, telle était la Jumelle. […] XVIII La gorge, profondément encaissée entre les rochers, est encore rétrécie par l’ombre des grands chênes qui descend du château dans la vallée d’Arcey. […] » XXI Tout le monde se taisait sous l’ombre des branches qui faisait une double nuit au-dessus de la roche coupée. « Est-ce bien lui ? […] Cette cloche présentait sa large gueule et sa lourde langue aux ouvertures du clocher comme pour jeter son cri de douleur aux nuages et se retirer d’horreur, après avoir crié, dans l’ombre des voûtes.

186. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVIe entretien. La passion désintéressée du beau dans la littérature et dans l’art. Phidias, par Louis de Ronchaud (1re partie) » pp. 177-240

Laissez-moi vous en parler à mon aise pendant cette matinée d’été, à l’ombre, où l’on n’a rien de mieux à faire qu’à causer en ouvrant nonchalamment son âme à toutes les brises qui traversent capricieusement le ciel, et qui font frissonner et miroiter les feuilles au-dessus de nos têtes. […] L’olivier de la Bresse, c’est le pâle saule qui ne verse que l’ombre légère aux vaches blanches des prairies, et qui, tondu tous les trois ans par la serpette de l’émondeur, penche son tronc chauve sur les mares ou sur les étangs. […] Ces montagnes, comme entassées confusément par la main du Créateur, sont en général arrondies en forme de dômes, les unes noires des forêts de pins qui les tapissent de leurs ombres, les autres vertes des pâturages qui les veloutent ; celles-ci nues et grisâtres parce que leur pente plus rapide en a laissé glisser l’humus, que le soleil du soir en s’y répercutant à nu les fait blanches à l’œil comme des falaises lointaines au bord de la mer ; quelques-unes, derrière les autres, sont tachées au nord de quelques flaques de neige, restes de l’hiver dernier qui attendent un autre hiver ; phares de montagnes que les bergers regardent s’allumer ou s’éteindre selon que le soleil levant les frappe, ou que le soleil couchant leur retire ses derniers rayons en descendant du ciel. […] XXXVI Telle était la vie de ce solitaire, se nourrissant à l’ombre du toit de Saint-Lupicin de sa propre substance admirative, et trouvant d’ineffables délices d’esprit dans cette contemplation savante de tout ce que l’homme a fait de grand ou de beau sur ce globe, afin de se donner à lui-même et de pouvoir donner un jour aux autres un sursum corda scientifique, capable d’élever l’âme de son siècle et de la soutenir, au-dessus du plain-pied de la vie vulgaire, à la hauteur des plus sublimes manifestations du beau dans la morale, dans la politique et dans l’art. […] Navarin délivra des pierres et des ombres.

187. (1902) Le culte des idoles pp. 9-94

On a raconté l’histoire de l’homme qui a perdu son ombre. […] Lisez par exemple la mort d’Emma Bovary : « Sur la fosse, entre les sapins, un enfant pleurait agenouillé, et sa poitrine, brisée par les sanglots, haletait dans l’ombre, sous la pression d’un regret immense, plus doux que la lune et plus insondable que la nuit. » Comme toutes ces scènes d’amour, de douleur et de mort, écrites dans le même style glacé, précis, méticuleux, symétrique, sont fatigantes ! Dans un paysage, même par le plus lumineux soleil, il y a des fonds vaporeux, il y a de l’ombre, si légère fût-elle, ombre d’arbre, ombre de nuage.

188. (1856) Cours familier de littérature. I « Ier entretien » pp. 5-78

Ils déposent le berceau de l’enfant endormi dans une charrière (petit sentier creux entre deux champs de vigne), à l’ombre des feuilles larges, étagées de nœuds en nœuds, sur les sarments nouveaux de l’année. […] « Au pied d’un cep qui l’a distillée l’automne précédent, une bouteille rafraîchie par l’ombre leur verse goutte à goutte la force et la joie. […] On apercevait quelquefois, assis au soleil ou à l’ombre sur cette galerie, un homme à cheveux blancs, dans un costume presque sordide, et deux demoiselles d’un âge moins avancé, mais à qui la négligence de leurs vêtements donnait prématurément les apparences de la vieillesse. […] L’ombre noire du clocher s’étendait de bonne heure le soir sur cet enclos et ajoutait une mélancolie un peu sinistre à cette demeure. […] La vie, dans ma situation, et après les épreuves que j’ai traversées ou que je traverse, ressemble à ces spectacles dont on sort le dernier et où l’on stationne malgré soi, en attendant que la foule s’écoule, quand la salle est déjà vide, que les lustres s’éteignent, que les lampes fument, que la scène se dénude avec un lugubre fracas de ses décorations, et que les ombres et les silences, réalités sinistres, rentrent sur cette scène tout à l’heure illuminée et retentissante d’illusions.

189. (1856) Cours familier de littérature. I « Ve entretien. [Le poème et drame de Sacountala] » pp. 321-398

Repose-toi, de grâce, quelques instants à son ombre. […] Honorable étranger, daignez au moins vous reposer à l’ombre sur ce siège recouvert de gazon, d’une admirable fraîcheur, et où vous ne tarderez pas à oublier votre lassitude. […] « Que les buffles », dit-il, « que les buffles agitent dans leurs jeux, en la battant violemment de leurs cornes, l’eau dans laquelle ils se seront abreuvés ; que les biches, réunies en troupe, ruminent tranquillement à l’ombre ; que les vieux sangliers broient sans crainte le jonc de leurs marais fangeux, et que mon arc se repose, la corde détendue !  […] Telle, au déclin du jour, l’ombre d’un grand arbre fuit au loin dans la plaine, quoique constamment fixé à sa racine. » Le bracelet de Sacountala tombe ; le héros le ramasse et le rattache. […] « Que son voyage soit heureux ; que l’ombre épaisse des grands arbres lui offre dans tout son trajet un abri impénétrable aux rayons du soleil ; qu’un doux zéphyr, rasant la surface limpide des lacs tout couverts des larges feuilles du lotus azuré, leur dérobe pour elle une rosée rafraîchissante, et qu’il endorme ses fatigues à son souffle caressant ; puissent ses pieds délicats ne fouler dans sa marche paisible que la poussière veloutée des fleurs ! 

190. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Souvenirs et correspondance tirés des papiers de Mme Récamier » pp. 303-319

Ce serait un vrai malheur qu’une si excellente créature ne passât que comme une ombre charmante. […] C’est vraiment incomparable : cette clarté qui meurt par degrés, ces ombres qui enveloppent peu à peu les merveilles de Michel-Ange ; tous ces cardinaux à genoux, ce nouveau pape prosterné lui-même au pied de l’autel où, quelques jours avant, j’avais vu son prédécesseur ; cet admirable chant de souffrance et de miséricorde, s’élevant par intervalles dans le silence et la nuit ; l’idée d’un Dieu mourant sur la croix pour expier les crimes et les faiblesses des hommes ; Rome et tous ses souvenirs sous les voûtes du Vatican : que n’étiez-vous là avec moi ! […] Ballanche, elle n’aura point passé comme une ombre charmante.

191. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « GLANES, PÖESIES PAR MADEMOISELLE LOUISE BERTIN. » pp. 307-327

Pour eux n’épargnez rien ; mettez à toute branche Et l’ombre de la feuille, et la fleur, et le fruit, Et l’ivresse à la coupe où leur lèvre se penche, Sans la tristesse qui la suit ! Nous, pour être abreuvés d’ineffables délices, Pour sentir sous vos mains nos cœurs se parfumer, Nos âmes s’abriter à des ombres propices, Il nous suffit de vous aimer ! […] on peut l’accorder ; assez d’échecs et d’ombres tempèrent son triomphe, et en doivent rendre le Te Deum modeste.

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