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27. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Doyen » pp. 178-191

Le père affligé a les yeux tournés vers le ciel, expectando… etc. . […] Il présente à l’imagination des cadavres, des yeux arrachés de la tête, des corneilles qui battent leurs ailes de joie. […] Il n’en est pas ainsi des yeux arrachés de la tête. […] Sur les yeux arrachés hors de la tête du cadavre ? […] On a de la peine à la suivre ; elle est quelquefois équivoque, ou elle s’arrête tout court, ou il faut bien de la complaisance à l’œil pour en poursuivre le chemin.

28. (1887) Journal des Goncourt. Tome II (1862-1865) « Année 1864 » pp. 173-235

Tout à l’heure, elle était vagante, ambulante, trottinante, fuyante à l’œil. […] Comment la lâcheté de son âme saute-t-elle aux yeux des plus bêtes ? […] De légères boucles de cheveux blonds, semées sur le haut du front, des yeux aux ombres profondes, au blanc bleuâtre, à la prunelle veloutée ; des yeux enfoncés et doucement lumineux entre la paupière du haut, vaguement éclairée comme d’une lueur de veilleuse, d’un reflet d’alcôve, et le dessous de l’œil tout enveloppé de nuit : des yeux qui semblent les yeux du Soir. […] En parlant, elle s’adresse de l’œil à la domestique qui sert. […] Comme tout, depuis l’attache du fruit jusqu’à l’enveloppe, charme l’œil !

29. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XIV, l’Orestie. — Agamemnon. »

En quittant la maison nuptiale, la femme aimée a éteint les yeux des statues qui la décoraient. […] Il sait que la pourpre irrite le regard des dieux autant que l’œil des taureaux, et que leur jalousie s’offusque des ostentations du triomphe humain. […] Ses yeux ont vu ce que les yeux humains ne reverront plus : des dieux combattant parmi les mortels, des déesses fuyant la mêlée, dans un nuage d’or, avec un guerrier blessé dans leurs bras. […] » Ses yeux se dilatent, ses cheveux se dressent, l’écume sibylline bouillonne sur ses lèvres ; le vertige précède le prodige. […] Que je ferme doucement les yeux » Elle va s’élancer vers la hache, le Chœur l’arrête : — « Ô malheureuse !

30. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1867 » pp. 99-182

* * * — Pourquoi une porte japonaise me charme-t-elle et m’amuse-t-elle l’œil, tandis que toutes les lignes architecturales grecques l’ennuient, mon œil ! […] La sévère et profonde beauté des yeux, qu’on sent plutôt qu’on ne perçoit dans leur cernure d’ombre. […] La plus désagréable impression de papier mal peint, que puisse donner la peinture à l’œil d’un peintre coloriste. […] Une dernière bande, arrachée de la figure, découvre soudainement un œil d’émail, où la prunelle a coulé dans le blanc, un œil à la fois vivant et malade, et qui fait un peu peur. […] Des yeux qui jamais ne regardent, un mélange de clowns et de bestiaux : des bêtes splendides et inquiétantes.

31. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 27, que les sujets ne sont pas épuisez pour les poëtes, qu’on peut encore trouver de nouveaux caracteres dans la comedie » pp. 227-236

D’ailleurs tous les sujets ne sont point à la portée des yeux d’un seul homme. […] Le visage des hommes est toujours composé des mêmes parties, de deux yeux, d’une bouche, et cependant tous les visages sont differens, parce qu’ils sont composez differemment. […] La nature féconde en bizarres portraits dans chaque ame est marquée à de differens traits, un geste la découvre, un rien la fait paroître, mais tout mortel n’a pas des yeux pour la connoître. […] Ils ont tous le même air, parce que ces peintres n’ont pas les yeux assez bons pour discerner l’air naturel qui est different dans chaque personne, et pour le donner à chaque personne dans son portrait. […] quàm multa vident pictores in umbris, et in eminentia, quae nos non videmus. combien de choses un peintre n’observe-t-il pas dans un incident de lumiere que nos yeux n’apperçoivent point, dit Ciceron.

32. (1860) Cours familier de littérature. IX « XLIXe entretien. Les salons littéraires. Souvenirs de madame Récamier » pp. 6-80

Que j’aurais voulu la voir alors, et qu’heureux sont les yeux qui se rafraîchirent et s’enivrèrent de son premier rayonnement ! […] M. de Chateaubriand était à ses yeux le premier de ces monuments vivants du siècle. […] M. de Chateaubriand était à ses yeux l’Esdras du vieux temple, temple reconstruit non en pierres, mais en images pour sa piété. […] Elle éblouit, dit-on, plus tard un maître du monde du même charme dont elle avait fasciné l’œil d’un enfant. […] Le sentiment d’avoir pu un jour être serviable à ceux qui furent si bons pour moi lors de mon début dans la vie surpasserait mille fois, à mes yeux, l’ambition d’un poste diplomatique quelconque.

33. (1857) Cours familier de littérature. III « XIVe entretien. Racine. — Athalie (suite) » pp. 81-159

Il ne cherchait à produire aucun effet : il était las d’en produire sur la scène ; il se reposait et il reposait les yeux dans sa maison. […] Elle était grande, maigre, pâle, très laide, avec quelques traces de sensibilité féminine dans les yeux et sur les joues. […] À chaque chef-d’œuvre de la scène il faut un chef-d’œuvre de la nature pour le personnifier aux yeux et à l’oreille d’un siècle. […] Lafon, qui avait le front noble, l’œil brave, le geste héroïque, l’accent martial, était très apte aux rôles de héros. […] Les plus beaux chants n’étaient, aux yeux du roi, que des séductions à l’erreur ou à la liberté d’esprit.

34. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre troisième. Le souvenir. Son rapport à l’appétit et au mouvement. — Chapitre quatrième. L’aperception et son influence sur la liaison des idées »

On persuade à une malade qu’il existe sur une table voisine un oiseau, puis, sans la prévenir, on interpose un prisme devant un de ses yeux : la malade s’étonne alors de voir deux oiseaux ; si on lui donne une lorgnette, l’oiseau imaginaire s’éloigne ou s’approche selon le bout par lequel elle regarde. Une jeune fille hystérique voyait la Vierge lui apparaître : en lui pressant l’œil, on dédoublait invariablement cette apparition miraculeuse, et on lui faisait voir deux Vierges. […] Le révérend Georges Henslaw, doué d’une faculté qu’avait déjà Gœthe, voit, quand il ferme les yeux et qu’il attend un moment, l’image claire de quelque objet : cet objet change de formes pendant aussi longtemps qu’il le regarde avec attention ; mais, en étudiant la série de formes qui se succèdent, on reconnaît que le passage de l’une à l’autre est fourni tantôt par des relations de contiguïté, tantôt par des relations de ressemblance réductibles elles-mêmes à la contiguïté. Ainsi, dans une de ses expériences, les images suivantes se présentèrent : un arc, une flèche, une personne tirant de l’arc et n’ayant que les mains visibles, un vol de flèches occupant complètement l’œil de la vision (contiguïté), des étoiles tombantes, de gros flocons de neige (ressemblance), une terre couverte d’un linceul de neige (contiguïté), une matinée de printemps avec un brillant soleil (contiguïté et contraste), une corbeille de tulipes, disparition de toutes les tulipes à l’exception d’une seule ; cette tulipe unique, de simple, devient double ; ses pétales tombent rapidement, il ne reste que le pistil, le pistil grossit, etc. […] Nous ne savons pas même sur lequel de nos yeux tombe une image, jusqu’à ce que nous ayons appris à discerner la sensation locale propre à chaque œil ; aussi peut-on, depuis des années, être aveugle d’un œil et ne pas le savoir.

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