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1108. (1814) Cours de littérature dramatique. Tome II

Mais avec quelle adresse il rejette ces horribles excès sur l’ivresse de la fureur et du carnage dans une ville prise d’assaut au milieu de la nuit, après un siège de dix ans ! […] On lit, dans les Mille et une Nuits, qu’un magicien venait prendre chez un négociant des marchandises qu’il payait en belles pièces d’or ; le négociant les mettait à part. […] Le roi d’Ithaque et Diomède vont la nuit à la découverte, pour savoir ce qui se passe dans le camp des Troyens : ils rencontrent un certain Dolon qui, dans le même dessein, s’acheminait vers le camp des Grecs ; ils l’arrêtent, et lui promettent la vie s’il leur fait un rapport fidèle de l’état des choses chez les Troyens. […] Il ne cessait de prendre des leçons de cithare du virtuose Terpnus, et l’écoutait jusque bien avant dans la nuit, avec le plus vif enthousiasme. […] Hippolyte répond qu’il n’aime pas les déesses dont les œuvres ne brillent que la nuit : l’esclave veut insister ; mais Hippolyte annonce qu’il a un appétit de chasseur, et qu’il va se mettre à table ; il ordonne en sortant qu’on panse bien ses chevaux.

1109. (1920) Impressions de théâtre. Onzième série

Vivès raconte l’histoire de jeunes femmes qui, faisant le guet, la nuit, en défiance de leur mari, furent dévorées par des chiens. […] Ils se rencontrent, la nuit, dans une maison écartée. […] Ce dégoût qui le fait fuir à travers champs, dans la nuit, implique une « vision » dont il est affreusement hanté. […] Mélisande reconnaît le navire qui l’a amenée. « Il aura mauvaise mer, cette nuit », dit Pelléas. « Pourquoi s’en va-t-il cette nuit ? […] Ce n’est pas le chemin de l’étable… Où vont-ils dormir cette nuit ? 

1110. (1895) Nos maîtres : études et portraits littéraires pp. -360

Mais bientôt sa souffrance s’apaise : car il a vu, au lieu de la cheminée sans flammes, dans la nuit du dehors et de son cœur, surgir, — brillant, oh ! […] … Ne sens-tu pas ton être impérissable briller au-delà de toutes les nuits ? […] Et il a édifié une prose d’harmonie hautaine ou bien délicate, gardant l’impérissable caractère d’une solennité aristocratique, mais se modifiant, sous la continuité du ton général, en des strophes désolées, cruelles, et puis en d’autres qui sont pareilles à des vols légers, par quelque nuit chaude. […] Elle signifia durement son congé au prince Tchernowied, qui depuis longtemps lui faisait la cour : et jour et nuit elle pleurait, dans sa haute tourelle, dédiant au jeune berger ses aimables larmes toutes parfumées. […] Toute la nuit il entendit d’extraordinaires musiques : « il y eut même un moment où la mélodie se fit tellement pénétrante et douce que, si les musiciens invisibles eussent donné un coup d’archet de plus, l’âme du malade se serait envolée de son corps ».

1111. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE STAEL » pp. 81-164

Elle se promenait chaque soir et une partie de la nuit à la clarté de la lune, n’osant sortir de jour. […] Sur cette terre en vain, splendidement servie, Le même astre immortel règne sans se couvrir ; En vain, depuis les nuits des hautes origines, Un ciel inaltérable y luit d’un fixe azur, Et, comme un dais sans plis au front des Sept Collines, S’étend des monts Sabins jusqu’à la tour d’Astur : Un esprit de tristesse immuable et profonde Habite dans ces lieux et conduit pas à pas ; Hors l’écho du passé, pas de voix qui réponde ; Le souvenir vous gagne, et le présent n’est pas. […] le monde vieillit, les nuits se font obscures…, Et nous venus si tard, et pour tout voir finir, Nous, rêveurs d’un moment, qui voulons des asiles Sans plus nous émouvoir des spectacles amers, Dans la Ville éternelle il nous siérait, tranquilles, Au bout de son déclin, d’attendre l’Univers. […] Mais quand la nuit bientôt s’allume et nous appelle Avec ses yeux sans nombre ardents et plus profonde, L’esprit se reconnaît, sentinelle fidèle, Et fait signe à son char aux lointains horizons. C’est ainsi que ton œil, ô ma noble Compagne, Beau comme ceux des nuits, à temps m’a rencontré ; Et je reçois de Toi, quand le doute me gagne, Vérité, sentiment, en un rayon sacré.

1112. (1926) La poésie pure. Éclaircissements pp. 9-166

On part dans la nuit, sans bagages, parfois sans boussole. à la rime d’intervenir en cas de famine, à d’autres hasards de fixer le terme du voyage. […] La définition napoléonienne de l’inspiration, par exemple : elle dit ce que l’inspiration nous apporte-la solution soudaine d’un problème — mais sur l’inspiration elle-même, elle nous laisse dans la nuit. […] Il ne s’imagine pas « très conscient… en son tréfonds », et il se met au centre de l’expérience : assis au milieu du jardin, devant ce ciel et ce feuillage, face à face avec l’amour ou avec la mort, sous cette nuit étoilée, face à face avec Dieu ; si j’écarte un instant toute pensée, et si je me recueille en silence, je sens se mêler à moi tout un monde confus de formes, de couleurs, de sons, de parfums, de présences ; … etc : qu’ajouter à ces admirables commentaires ? […] -" roi, dans les nuits d’hiver, alors qu’autour d’un grand feu, toi et tes compagnons vous êtes attablés, il arrive parfois qu’un passereau égaré, entre par une ouverture, traverse la table et ressort à l’autre bout. […] Et quand il est sorti dans la nuit, et la tempête, que devient-il ?

1113. (1923) Critique et conférences (Œuvres posthumes II)

Tels vers de Kahn, conçus dans les formes jusqu’ici reconnues (il remarquera que je dis : Jusqu’ici reconnues, ne voulant rien préjuger, me rangeant au nombre des purs spectateurs bien plutôt sympathiques) me plaisent et plairont à d’aucuns davantage par ce fait même ; et je me vois, et vous vous voyez peut-être tentés de regretter que toute la pièce intitulée Eventails, qui est sa dernière production lyrique, ne soit pas écrite comme ceci : La nuit a des douceurs de brise dans les voiles Et sur les rois perdus de douceurs inconnues La blondeur de la nuit défaille en flot d’étoiles. […] Je ne connais d’analogue à ce livre dans notre littérature que le Gaspard de la nuit de cet à jamais regrettable Aloysius Bertrand. […] Ce sont des rois, ce sont des reines, Assis au milieu de leur cour ; Ce sont des villes si sereines Que dans la nuit il y fait jour. […] Quant à ma pauvreté qui n’est pas sordide, quant à mon domicile qui n’est pas l’hôpital, mais bien une modeste chambre que je paye encore assez cher, et exactement ; quant aux « bouges », où l’on avale vite et où l’on couche à la nuit (ceci est presque de mon vieux camarade Lepelletier), et qui se réduisent à de très convenables hôtels garnis où il est peut-être permis de boire un verre en croquant un croissant, le matin, rien n’y concerne ces messieurs de la chronique et du reportage.

1114. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. THIERS. » pp. 62-124

Lorsqu’ils furent pris au mot, ils n’en voulurent plus ; ils refusèrent le doublement du tiers état et le vote par tête ; ils ne consentirent à l’égalite des charges que lorsqu’ils se virent exposés à tout perure par un refus ; ils n’abandonnèrent leurs priviléges que par un mouvement de pudeur excité dans la nuit du 4 août. […] Examinant sérieusement la chose, nous nous sommes dit qu’il n’y avait plus de Bastille à prendre, plus de trois ordres à confondre, plus de nuit du 4 août à faire, plus rien qu’une Charte à exécuter avec franchise, et des ministres à renverser en vertu de cette Charte. […] Il ne vit M. le duc d’Orléans pour la première fois que dans la nuit du vendredi au samedi 31 juillet 1830.

1115. (1813) Réflexions sur le suicide

Curtius se précipitant au fond de l’abîme pour le combler, Caton se poignardant pour apprendre au monde qu’il existait encore une âme libre sous l’empire de César, de tels hommes ne se sont pas tués pour échapper à la douleur : mais l’un a voulu sauver sa patrie, et l’autre offrir à l’univers un exemple dont l’ascendant subsiste encore : Caton passa la nuit qui précéda sa mort à lire le Phédon de Socrate, et le Phédon condamne formellement le Suicide, mais ce grand citoyen savait qu’il s’immolait non à lui-même, mais à la cause de la liberté ; et selon les circonstances cette cause peut exiger d’attendre la mort comme Socrate ou de se la donner comme Caton. […] Les Allemands sont doués des qualités les plus excellentes et des lumières les plus étendues ; mais c’est par les livres que la plupart d’entre eux ont été formés, et il en résulte une habitude d’analyse et de sophisme, une certaine recherche de l’ingénieux qui nuit à la mâle décision de la conduite. […] Si c’est l’appel d’un Dieu sous ce voile de ténèbres, sans doute alors le jour est derrière cette nuit, et le ciel ne nous est caché que par de vains fantômes. 

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