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259. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Patru. Éloge d’Olivier Patru, par M. P. Péronne, avocat. (1851.) » pp. 275-293

Patru est un nom plus qu’un auteur ; on ne le lit plus, et je ne viens pas ici conseiller de le lire ; mais de loin, et par tradition, on l’estime ; on se rappelle qu’au barreau et à l’Académie, en son temps, il a été une autorité, un oracle ; que Boileau, qui voyait si peu de maîtres en matière de langue et de goût, s’inclinait tout d’abord devant lui, qu’il a placé son nom en plus d’un vers devenu proverbe, et que, par un acte noble et délicat de reconnaissance, il l’a secouru pauvre dans sa vieillesse. […] Patru à l’origine, non pas l’austère Patru, comme je vois que quelqu’un de ce temps-ci l’a appelé, mais l’aimable Patru, bien doué, beau parleur, ayant un bon jugement dans ce qu’il traitait, et y mettant de l’esprit et un noble choix de termes, nous apparaît, par nature et par éducation, un peu paresseux. […] On y voit Patru partagé alors entre la volupté et la gloire, s’occupant du choix d’un genre de vie et du problème de la destinée, travaillé d’agitations, de nobles inquiétudes, de ces « divines maladies » qui sont également inconnues aux courtisans et au peuple ; plein surtout d’un beau feu pour l’éloquence, se met tant aux champs dès qu’on n’en parle pas à son gré, critique déjà en ce point, très docile sur tout le reste. […] Voilà de quoi nous égayer si nous voulions ; mais respectons plutôt ces soins innocents et ces scrupules qui préparaient la plus noble des langues.

260. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre V. Seconde partie. Des mœurs et des opinions » pp. 114-142

Nous fûmes, en effet, dès l’origine, ce que nous sommes à présent, vains, frondeurs, impatients, habiles à saisir le côté faible ou ridicule de toutes choses, prompts à l’exécution, peu dociles au conseil, susceptibles d’entraînement plutôt que d’exaltation ; mais nous fûmes aussi, dès l’origine, et nous serons jusqu’à la fin, nobles et généreux, accessibles à la pitié, compatissants au malheur. […] Le culte des femmes, chez nos premiers aïeux, se transformera en galanterie sous Louis XIV, et subira une bien autre métamorphose sous la Régence ; mais ne craignez jamais que chez nous les femmes soient considérées autrement que comme la noble compagne de l’homme. […] Les hommes, devenus tout à coup désoccupés de grands intérêts et de nobles travaux, étaient descendus à une décadence honteuse, dans laquelle ils voulurent entraîner les femmes. […] Dans les gouvernements anciens, tous les hommes libres comptaient pour l’exercice des droits et des devoirs de la cité ; chez les Égyptiens tous étaient nobles : la roture, c’était l’esclavage.

261. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — La banqueroute du préraphaélisme »

Il est déplorable pour ce siècle et pour les siècles qu’une aussi riche nature, qu’un aussi noble esprit ait fait fausse route.‌ […] Les « intentions » et les idées en peinture ne dénotent que l’avortement d’une œuvre, car la grandeur et la noblesse sont dans la réalité elle-même, et ne peuvent en aucun cas résulter de l’idée de faire noble ou grand.‌ […] C’est un art enfin qui trouve dans la réalité et dans la vie, mille fois plus de beauté que dans la fiction et dans le rêve avec leur morale, leurs artifices et leurs évangiles, mille fois plus d’éclat, de variété, d’unité, d’harmonie, de grandeur, de méthode, de liberté, de fantaisie, de noblesse, et pour lequel il n’y a pas de sujets nobles ou ignobles, dignes ou indignes, mais seulement des artistes dignes ou indignes de les créer. […] Et nous estimons que Ruskin fut mauvais prophète, lorsqu’il affirma que les préraphaélites « jetteraient en Angleterre les fondations de l’école d’art la plus noble qu’on ait vue depuis trois cents ans38 ».‌

262. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre II. Dryden. »

Il s’en faut de tout un monde, car il faut tout un monde pour former des âmes nobles. […] Là, un amant, pour vanter les beautés de sa maîtresse, dit que « des cœurs sanglants gisent palpitants dans sa main722. » À chaque page, des mots crus ou bas viennent salir la régularité du style noble. […] Ils croient couvrir toutes ces crudités sous de bonnes métaphores correctes, sous des périodes poétiques nettement terminées, sous un appareil de phrases harmonieuses et d’expressions nobles. […] My love’s a noble madness, Which shows the cause deserved it. […] I might find in France a living Horace and a Juvenal in the person of the admirable Boileau, whose numbers are excellent, whose expressions are noble, whose thoughts are just, whose language is pure, whose satire is pointed, and whose sense is close.

263. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre IV. L’âge moderne. — Chapitre II. Lord Byron. » pp. 334-423

Les plus nobles passages sont défigurés par des apostrophes de collége, et la prétendue diction poétique vient y étaler sa friperie usée et ses ornements convenus1274. […] Et pourtant c’est un noble spectacle que de voir l’homme debout, la contenance calme jusque sous leur attouchement. […] Ce qui était grossier devient noble ; même dans cette aventure nocturne du sérail qui semble digne de Faublas, la poésie embellit la licence. […] Jusqu’ici, dans nos jugements sur l’homme, nous avons pris pour maîtres les révélateurs et les poëtes, et comme eux nous avons reçu pour des vérités certaines les nobles songes de notre imagination et les suggestions impérieuses de notre cœur. […] Vice ought to be a little more modest, and it must require impudence almost equal to the noble lord’s other powers, to claim sympathy gravely for the ennui arising from his being tired of his wassailers and his paramours.

264. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 4, objection contre la proposition précedente, et réponse à l’objection » pp. 35-43

Supposé qu’un pere soit assez dénué de toute protection, pour être hors d’état de procurer l’éducation convenable à son enfant, qui témoigne une inclination plus noble que celle de ses pareils, un autre en prend soin. […] N’avons-nous pas vû deux poëtes se former dans les boutiques de deux métiers, qui ne sont pas certainement des plus nobles : le fameux menuisier de Nevers, et le cordonnier, reparateur des brodequins d’Apollon  ?

265. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre V. Première partie. Les idées anciennes devenues inintelligibles » pp. 106-113

Noble terre de la gloire et des beaux-arts, terre des héros, non, tu ne périras point ; j’en jure et tes trophées et tes revers : j’en jure et les plaines de la Massoure, et les sables de l’Afrique, et les jardins de la Touraine, et les murs de Pavie, et les bocages de la Vendée, et deux fois les champs de Fleurus. Noble terre de ma patrie, la Providence a trop fait pour toi ; elle n’abandonnera point son ouvrage, et tu resteras le beau pays de France.

266. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Froissart. — II. (Fin.) » pp. 98-121

Tandis que le bon cardinal se démène ainsi tout le dimanche et perd ses peines, le preux chevalier messire Jean Chandos, l’ami et le conseiller du prince de Galles, gentil et noble de cœur, et de « sens imaginatif », profite de la trêve pour côtoyer l’armée des Français ; et de même fait du bord opposé messire Jean de Clermont, maréchal de France, et, se rencontrant, ils se prennent de paroles comme deux héros d’Homère. […] Ce dernier, messire Jacques, noble figure, se détache entre tous par son vœu chevaleresque, par la manière héroïque dont il le tient, par son touchant retour (navré et blessé qu’il est) à la fin de l’action, par sa noblesse de désintéressement après la victoire. […] La noble permission est accordée, et messire Jacques d’Audelée, joyeux, va se mettre au premier front de toute la ligne, accompagné seulement de quatre vaillants et fidèles écuyers, et, durant toute l’action, il ne songe qu’à combattre, à frapper, à aller toujours en avant sans vouloir faire aucun prisonnier (ce qui le retarderait et le forcerait de quitter le premier rang). […] Mais au même instant, le chevalier, tout grand et robuste qu’il est, a fort à faire pour défendre sa noble capture ; car, Anglais et Gascons, c’est à qui se ruera à l’entour du roi en criant à tue-tête : « Je l’ai pris ! […] Toute cette scène de l’amenée du noble vaincu, de la cohue et du touillement qui se passe autour de sa personne est bien naturellement racontée ; on y assiste, on se sent dans la foule et en danger d’étouffer avec lui.

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