. — « Si je me trompe, eh bien nous mourrons ! nous ferons comme tant de nos vieux compagnons d’armes font tous les jours, mais nous mourrons après avoir sauvé notre honneur. » — Et à Fontainebleau, à la dernière heure, et quand son destin va se consommer : « Vous avez bien fait de ne rien signer. […] Nous sommes soldats, Caulaincourt ; qu’importe de mourir, si c’est pour une telle cause ? […] C’est le même sentiment d’honneur héroïque et royal, et du noble orgueil invincible qu’on n’en saurait séparer, qui faisait dire au grand Frédéric, au moment le plus désespéré de la guerre de Sept Ans et dans les heures terribles où il songeait à se donner la mort, plutôt que de signer son déshonneur et celui de sa patrie (juillet-octobre 1757) : J’ai cru qu’étant roi, il me convenait de penser en souverain, et j’ai pris pour principe que la réputation d’un prince devait lui être plus chère que la vie… Je suis très résolu de lutter encore contre l’infortune ; mais en même temps suis-je aussi résolu de ne pas signer ma honte et l’opprobre de ma maison… Si vous prenez la résolution que j’ai prise (la sœur généreuse à laquelle il écrit, la margrave de Baireuth, avait résolu de mourir en même temps que lui), nous finissons ensemble nos malheurs et notre infortune, et c’est à ceux qui restent au monde à pourvoir aux soins dont ils seront chargés, et à porter le poids que nous avons soutenu si longtemps.
Ce Chateaubriand dont nous parlions avait une sœur, qui avait de l’imagination, disait-il lui-même, sur un fonds de bêtise, ce qui devait approcher de l’extravagance pure ; — une autre, au contraire, divine (Lucile, l’Amélie de René), qui avait la sensibilité exquise, une sorte d’imagination tendre, mélancolique, sans rien de ce qui la corrigeait ou la distrayait chez lui : elle mourut folle et se tua. […] La sœur de Beaumarchais, Julie, que M. de Loménie nous a fait connaître, représente bien son frère par son tour de gaieté et de raillerie, son humeur libre et piquante, son irrésistible esprit de saillie ; elle le poussait jusqu’à l’extrême limite de la décence, quand elle n’allait pas au-delà ; cette aimable et gaillarde fille mourut presque la chanson à la bouche : c’était bien la sœur de Figaro, le même jet et la même sève5. […] Le professeur, dans sa chaire, ne distribue guère que la science morte ; l’esprit vivant, celui qui va constituer la vie intellectuelle d’un peuple et d’une époque, il est plutôt dans ces jeunes enthousiastes qui se réunissent pour échanger leurs découvertes, leurs pressentiments, leurs espérances7. » Je laisse les applications à faire en ce qui est de notre temps. […] En poésie, au théâtre, en tout comme à la guerre, les uns n’ont qu’un jour, une heure brillante, une victoire qui reste attachée à leur nom et à quoi le reste ne répond pas : c’est comme Augereau, qui aurait mieux fait de mourir le soir de Castiglione.
Si l’on savait mourir, on pourrait encore se risquer à l’espérance d’une si heureuse destinée, mais l’on abandonne son âme à des sentiments, qui décolorent le reste de l’existence ; on éprouve, pendant quelques instants, un bonheur sans aucun rapport avec l’état habituel de la vie, et l’on veut survivre à sa perte ; l’instinct de la conservation l’emporte sur le mouvement du désespoir, et l’on existe, sans qu’il puisse s’offrir dans l’avenir une chance de retrouver le passé, une raison même de ne pas cesser de souffrir, dans la carrière des passions, dans celle surtout d’un sentiment qui, prenant sa source dans tout ce qui est vrai, ne peut être consolé par la réflexion même : il n’y a que les hommes capables de la résolution de se tuer3, qui puissent, avec quelque ombre de sagesse, tenter cette grande route de bonheur : mais qui veut vivre et s’expose à rétrograder ; mais qui veut vivre et renonce, d’une manière quelconque à l’empire de soi-même, se voue comme un insensé au plus cruel des malheurs. […] C’est là mourir en effet, que n’affliger, ni punir, ni rattacher dans son souvenir, l’objet qui vous a trahi ; et le laisser à celle qu’il préfère, est une image de douleur qui se place au-delà du tombeau, comme si cette idée devait vous y suivre. […] Tout n’est pas amour dans la jalousie comme dans le regret de n’être plus aimé ; la jalousie inspire le besoin de la vengeance, le regret ne fait naître que le désir de mourir : la jalousie est une situation plus pénible, parce qu’elle se compose de sensations opposées, parce qu’elle est mécontente d’elle-même ; elle se repent, elle se dévore, et la douleur n’est supportable que lorsqu’elle jette dans l’abattement. […] À côté des malheurs, causés par le sentiment, c’est peu que les circonstances extérieures qui peuvent troubler l’union des cœurs ; quand on n’est séparé que par des obstacles étrangers au sentiment réciproque, on souffre, mais l’on peut et rêver et se plaindre : la douleur n’est point attachée à ce qu’il y a de plus intime dans la pensée, elle peut se prendre au-dehors de soi ; cependant des âmes d’une vertu sublime, ont trouvé dans elles-mêmes des combats insurmontables ; Clémentine peut se rencontrer dans la réalité, et mourir au lieu de triompher.
Petit, voûté, les yeux vifs, d’un bleu d’acier pâle, ce Breton vivait, reclus, en compagnie de sa femme, dans son domaine de Kéroman, où il mourut le 14 juillet 1885, au moment même où s’épanouissait l’idée symboliste qui, pour une part, relève de lui. […] « La seule pensée de mourir auparavant le révoltait comme une injustice, tant il avait conçu dans un abîme de prières l’assurance d’être le créancier de cet événement » (Léon Bloy). […] Une femme y est morte mystérieusement aux mains du rebouteur qui y logeait précédemment. […] S’il est vrai que l’expérience seule peut conduire à sa ruine l’aventurier téméraire de l’arcane, il n’en est pas moins vrai que la science transmise resterait lettre morte sans l’expérience.
Né vers 1034 dans la cité d’Aoste en Piémont, aux confins du Valais et de l’Italie, il mourut à Cantorbéry, le 21 avril 1109. […] L’âge des passions et des séductions le prenait insensiblement ; sa mère mourut, et avec, elle il perdit ce qui alors le retenait le plus : « Elle morte, dit le biographe primitif, tout aussitôt le vaisseau de son cœur, comme s’il avait perdu son ancre, se laissa aller presque entièrement au courant du siècle. » Mais Dieu qui avait sur lui des desseins, de peur qu’il ne s’abandonnât à une paix mortelle et trompeuse, lui suscita une guerre intestine pleine de troubles. […] Anselme, au retour de son second exil, réconcilié avec son roi Henri Ier, mourut et s’éteignit à Cantorbéry à l’âge de soixante et quinze ans.
Son père à lui, Sterne, officier, mourut des suites d’un coup d’épée, reçu pour une oie, qui n’était pas une femme, mais une vraie oie. […] Il mourut à cinquante-quatre ans. Il avait aimé toute sa vie, mais il n’avait jamais aimé assez longtemps pour être autre chose que le plus heureux des hommes… Cependant, voici la bande noire à l’étoffe rose : il mourut seul, dans un hôtel garni, je crois. […] Dans un de ces moments, sans doute, un prébendaire d’York put écrire d’une blanche main fatiguée, et qui se mourait de langueur, cette file de pâles chapitres qu’on nous donne pour du Sterne, mais Yorick, lui, n’y a point touché… On l’y cherche en vain.
La pauvre femme était morte de la peste en route, à Gibraltar ; le père et l’enfant, après mille traverses, exténués de misère et de besoin, arrivaient donc seuls ; ils furent reçus avec cordialité. […] Raynouard, nous dit le biographe, touché de tant d’infortunes et des grâces naïves du petit Sicilien, lui témoigna le plus vif intérêt, se plaisant à le faire babiller dans son idiome natal, auquel l’accent de sa voix enfantine prêtait encore plus de charme. » Après un temps de repos, les voyageurs partirentpour le Bugue, petite ville du Périgord, où était né le père qui bientôt y mourut.
si tout meurt avec nous, les soins du nom et de la postérité sont donc frivoles ; l’honneur qu’on rend à la mémoire des hommes illustres, une erreur puérile, puisqu’il est ridicule d’honorer ce qui n’est plus ; la religion des tombeaux, une illusion vulgaire ; les cendres de nos pères et de nos amis, une vile poussière qu’il faut jeter au vent, et qui n’appartient à personne ; les dernières intentions des mourants, si sacrées parmi les peuples les plus barbares, le dernier son d’une machine qui se dissout ; et, pour tout dire en un mot, si tout meurt avec nous, les lois sont donc une servitude insensée ; les rois et les souverains, des fantômes que la faiblesse des peuples a élevés ; la justice, une usurpation sur la liberté des hommes ; la loi des mariages, un vain scrupule ; la pudeur, un préjugé ; l’honneur et la probité, des chimères ; les incestes, les parricides, les perfidies noires, des jeux de la nature, et des noms que la politique des législateurs a inventés.