/ 3692
1630. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Charles Nodier »

A la mort du chevalier, il ne se ressouvint plus que de ses mérites dans un article nécrologique détaillé et touchant. […] Pascal, à l’article V, demeure hautement accusé d’avoir pillé Montaigne ; son plagiat est même proclamé le plus évident et le plus manifestement intentionnel que l’on connaisse, et l’on oublie que Pascal, mort depuis plusieurs années lorsqu’on recueillit et qu’on publia ses Pensées, ne peut répondre des petits papiers qu’on y inséra et qui, pour lui, n’étaient que des notes dont il se réservait l’usage. […] Il aime, il caresse d’imagination les proscrits, les brigands héroïques, les grands destins avortés, les lutins invisibles, les livres anonymes qui ont besoin d’une clef, les auteurs illustres cachés sous l’anagramme, les patois persistants à l’encontre des langues souveraines, tous les recoins poudreux ou sanglants de raretés et de mystères, bien des rogatons de prix, bien des paradoxes ingénieux et qui sont des échancrures de vérités, la liberté de la presse d’avant Louis XIV, la publicité littéraire d’avant l’imprimerie, l’orthographe surtout d’avant Voltaire : il fera une guerre à mort aux a des imparfaits. […] Au moment où cette réimpression (1844) s’achève, la mort, qui se hâte, nous permet d’y faire entrer ces pages, qui ne sont plus consacrées à un vivant : inter Divos habitus. — (Seulement, pour éviter la disproportion entre les volumes, on a mis à la fin du tome premier ce que l’ordre naturel eût fait placer à la fin du second.) […] Depuis sa mort, on a fait un tout petit volume d’une dernière nouvelle de lui, intitulée Franciscus Columna, où il se retrouve tout entier sous sa double forme ; c’est un coin de roman logé dans un cadre de bibliographie, une fleur toute fraîche conservée entre les feuillets d’un vieux livre.

1631. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXVe entretien. J.-J. Rousseau. Son faux Contrat social et le vrai contrat social (1re partie) » pp. 337-416

VI Aussi le plus immortel de ses livres, ce sont les Confessions ; tous les autres de ses ouvrages sont déjà à moitié morts, à l’exception des Confessions, vivantes par le charme, et du Contrat social, vivant par ses conséquences, qui se déroulent encore dans les faits européens. […] Quarante ans après l’avoir perdue, il est mort dans les bras d’une seconde femme, mais le nom de la première dans la bouche et son image au fond du cœur. […] À son retour à Chambéry, il n’y trouve plus madame de Warens. « Quant à ma désertion, dit-il, du pauvre maître de musique, je ne la trouvais pas si coupable. » Plus tard, cependant, il se la reproche ; mais le maître, à qui on avait volé jusqu’à ses instruments, sa musique et son gagne-pain, était mort de cet abandon. […] L’attachement de Thérèse pour Rousseau subsista jusqu’à sa mort, sans fidélité du côté de Rousseau. […] Incapable d’activité dans la foule, incapable de repos dans la solitude, recueilli par la famille de Girardin, à Ermenonville, dans un dernier ermitage, il y meurt d’une mort problématique, naturelle selon les uns, volontaire selon les autres : le mystère après la folie. — Le moins raisonnable et le plus grand des écrivains des idées des temps modernes repose, jeté par le hasard, sous des peupliers, dans une petite île d’un jardin anglais, aux portes d’une capitale, lui qui, dans sa mort comme dans sa vie, sembla le plus misanthrope des hommes en société, et le plus incapable de se passer de leur enthousiasme.

1632. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVIIe entretien. Balzac et ses œuvres (2e partie) » pp. 353-431

Il fait venir un de ses confidents de Saumur, le charge d’aller à Paris négocier un accommodement avec les créanciers de son frère mort. […] Elles firent tout pour distraire le père Grandet, tout fut inutile. « Pour Charles, se disait Eugénie, je souffrirais mille morts ! […] Tu devrais me baiser sur les yeux pour te dire ainsi des secrets et des mystères de vie et de mort pour les écus. […] « La consultation finie, il déclara positivement à Grandet que sa femme était bien mal, mais qu’un grand calme d’esprit, un régime doux et des soins minutieux pourraient reculer l’époque de sa mort vers la fin de l’automne. […] Le chagrin est entré chez moi avec la mort de mon frère, pour lequel je dépense, à Paris, des sommes… les yeux de la tête, enfin !

1633. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XVI. La littérature et l’éducation publique. Les académies, les cénacles. » pp. 407-442

On érigeait en dogme intangible l’opinion de quelque mort illustre ; Aristote devint sacré, comme s’il eût été, lui aussi, inspiré de l’Esprit saint. […] Les effets ne sont pas les mêmes, selon que, dans l’étude des langues mortes, dominent les auteurs profanes ou les auteurs sacrés, selon que le latin tire à lui presque toute l’attention ou que le grec obtient une recrudescence de faveur. […] La philosophie, si elle accepte une consigne, si elle approuve ou réfute sur commande, ne mérite pas et n’obtient pas l’ascendant qu’elle a le droit d’espérer, quand elle est un libre essai de réponse aux questions que nous posent la vie et la mort. […] A plus forte raison en est-il ainsi pour une Compagnie, où l’on entre déjà mûr et d’où l’on ne sort que par la mort. […] Quand Victor Hugo se présente, on lui préfère Dupaty, un de ces immortels comme il y en a tant, morts de leur vivant.

1634. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 juin 1885. »

Chroniquebe Richard Wagner et Victor Hugo Le 22 mai, Victor Hugo est mort, — le 22 mai, un jour que nous voulions célébrer joyeusement, le soixante-douzième anniversaire de la naissance de Richard Wagner… Et cette coïncidence nous invite à une comparaison des deux Maîtres ; un sens nous apparaît en ce hasard ; l’association, mystérieuse, de cette mort et de cette naissance se révèle, hautement symbolique. […] Donc, si nous vivions dans un temps moins soucieux des chronologies et plus amoureux du rêve, — dans un temps tel que le temps où les historiens unissaient à la mort de Lucrèce la naissance de Virgile, — cette vraie légende eût pu être dite, et les hommes, plus tard, sous la différence, apparente et fausse, des années, auraient vu la coïncidence, seule réelle, des jours : Richard Wagner naissant en l’heure même où mourait Victor Hugo, en cette date authentique, deux fois glorieuse, du vingt-deux mai. […] C’est alors que plusieurs Wagnéristes prirent l’initiative, sous la direction du comte de Sporck, de convoquer, quelques semaines après la mort du Maître, au printemps de 1885, une grande assemblée Wagnérienne à Nuremberg. […] À Wagner, il a pris le sujet, les railleries émues des ondines, cependant que s’éloigne Siegfried, vers sa Mort. […] Victor Hugo est mort le 22 mai 1885 et cette chronique est datée du 8 juin 1885, peu de temps après cette période de célébration.

1635. (1894) Propos de littérature « Chapitre IV » pp. 69-110

Voici un autre fragment exceptionnellement parfait ; sur une basse continue de syllabes sombres et nasales très habilement conduites, des notes longues et graves s’entrelacent, étoilées çà et là d’un point clair : Des faces mortes sont au fond de nos silences… De grandes ailes ont plané sur les eaux. […] En ce bel hymne, œuvre la plus parfaite je crois au point de vue de la forme, se trouvent des passages mélodieux comme celui-ci : Je t’aimai d’un amour de musique Au luth enguirlandé de jasmin, D’un amour de fidèle et de prêtre Qui s’éperd en cantique Dès hier jusqu’en demain ; Et tant je t’ai doucement nommée Que d’un amour un autre vint à naître, Que mon amour et toi n’étiez qu’un être Et la chanson d’amour se fit l’aimée ; J’ai péché pour t’avoir trop doucement nommée… Il s’accumule en nos mémoires mornes Trop de verbeuses, vaines chansons mortes : Nous avons lu la route à trop de bornes, Demandé le chemin à trop de portes ; Je veux la rose, ô Reine dont tu t’ornes, Je veux le lys, que dans ta main tu portes. […] Les Parnassiens ont accusé ceux d’aujourd’hui (vraiment ce fut un réquisitoire complet) de souhaiter la mort du vieil alexandrin qui depuis Lambert le Tort s’obstinait à garder le pouvoir absolu. […] Printanière, dans l’aube éternelle du rêve Et dans l’aurore assise, Elle tisse en rêvant Des choses qu’Elle sait, et sourit ; et, devant Elle, au gré de sa main agile, court sans trêve La navette laborieuse, et le doux vent D’avril emmêle ses cheveux qu’Elle soulève Et rejette sur son épaule ; et, relevant La tête, Elle fredonne un air qu’Elle n’achève… De l’ombre, Elle apparaît, comme en un cadre d’or : Derrière Elle l’azur et des plaines qu’arrose Un fleuve ; et, sur sa tête, un rameau de laurose Étend ses fleurs contre l’azur clair ; — et l’effort Du métier, comme un chant monotone et morose Se plaint très doucement : — on envierait le sort De celui qui baiserait la main qu’Elle pose Négligemment, parfois, et lasse de l’effort… Mais moi, la voyant rire en rappelant sans doute Quelque doux jour mort de sa joie un soir de mai, Je songeai que, peut-être, pour avoir aimé Son rire, d’autres ont repris la lente route Tristes d’un souvenir et le cœur affamé D’un mets où nulle lèvre impunément ne goûte. […] On en trouve des exemples typiques : Voici ma pensée : Si la flèche Que mon arc lance aux étoiles Retombe et blesse Ma main qui l’a lancée Vers les étoiles ; Et si le cri d’opprobre Que je jette à l’écho des bois — Bavard ou de réponse sobre, Selon ma voix- Se retourne comme une insulte Qui brûle mon cœur en moi ; Ainsi tout vieux rêve vers toi, Tout vieil émoi (Qu’un nouveau rire, croit-il, achève) Surgit encore comme un tumulte, Hélène, Et tout vieux rêve Me pèse jour et nuit en honte vaine Comme un remords : Tel l’espoir d’une aube qui jamais ne se lève, Tel que mon jour est las de porter mes jours morts.

1636. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre cinquième »

On le croyait mort. […] Elle le voit ; il l’exhorte avec l’autorité du sang, des cheveux blancs, de la mort qui s’approche, à confesser la foi chrétienne. […] Quand Polyphonte la force de choisir entre sa main et la mort d’Égisthe, je regrette qu’elle n’ait rien de l’innocente habileté d’Andromaque, faisant servir au salut de son fils la passion qu’elle inspire à Pyrrhus. […] Cela flattait sa vanité de faire dire qu’en trois mois il avait composé la Mort de César et Eriphyle, et achevé l’Histoire de Charles XII. […] Elle ferait une place honorable à l’auteur d’une ou deux scènes de l’Iphigénie en Tauride, Guymond de la Touche, mort trop tôt peut-être.

1637. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre premier. Des principes — Chapitre II. Axiomes » pp. 24-74

Ainsi sont exclus de l’école de la nouvelle science les Stoïciens qui veulent la mort des sens, et les Épicuriens qui font des sens la règle de l’homme ; ceux-là s’enchaînant au destin, ceux-ci s’abandonnant au hasard et faisant mourir l’âme avec le corps ; les uns et les autres niant la Providence. […] Nous le voyons dans les proverbes ; ces maximes de la sagesse vulgaire, sont entendues dans le même sens par toutes les nations anciennes et modernes, quoique dans l’expression elles aient suivi la diversité des manières de voir. — Cette langue appartient à la science nouvelle ; guidés par elle, les philologues pourront se faire un vocabulaire intellectuel commun à toutes les langues mortes et vivantes. […] Ce droit monarchique fut conservé par la loi des douze tables dans tous les âges de l’ancienne Rome : Patri familias jus vitæ et necis in liberos esto , le père de famille a sur ses enfants droit de vie et de mort ; principe d’où résulte le suivant, quidquid filius acquirit, patri acquirit , tout ce que le fils acquiert, il l’acquiert à son père. […] Au contraire, on appela gentes minores, les maisons nobles nouvelles fondées après les cités, telles que celles des Pères, dont Junius Brutus, après avoir chassé les rois, remplit le sénat, devenu presque désert par la mort des sénateurs que Tarquin le Superbe avait fait périr. […] Telle fut aussi la division des dieux : dii majorum gentium, ou dieux consacrés par les familles avant la fondation des cités ; et dii minorum gentium, ou dieux consacrés par les peuples, comme Romulus, que le peuple romain appela après sa mort Dius Quirinus.

/ 3692