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9. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Correspondance de Louis XV et du maréchal de Noailles, publiée par M. Camille Rousset, historiographe du ministère de la guerre »

Aujourd’hui il a tenu à justifier au plus tôt le choix de M. le maréchal ministre en publiant par son ordre une Correspondance de Louis XV et du maréchal de Noailles, laquelle nous montre ce roi si décrié sous un jour un peu plus avantageux qu’on n’est accoutumé de le voir ; on y surprend non seulement des jugements justes, mais d’honorables velléités et des désirs de bien faire ; on y saisit l’instant remarquable et fugitif où Louis XV fut tenté d’être quelqu’un dans son gouvernement et où il faillit devenir roi. […] L’éditeur lui est favorable, c’est tout simple : devoir et rôle d’éditeur d’abord, et puis le maréchal de Noailles se montre, dans cette publication, par ses meilleurs et ses plus spécieux côtés. […] Celui-ci se montre à visage découvert ; l’autre n’est qu’un masque. » Un tel résumé est tout à fait partial, incomplet, et provoque la contradiction. […] Mais combien il y a plus de vrai toutefois et plus de vie dans un quart de ce Noailles d’après Saint-Simon, que dans presque tout l’abbé Millot, dans cet autre Noailles de montre et de convention, qui, au moment d’entrer au Conseil des finances sous la Régence, et d’y exercer toute l’autorité qu’il y pourra prendre, écrit à Mme de Maintenon, en se faisant tout petit et modeste : « Monseigneur le duc d’Orléans exige de moi absolument d’entrer dans le Conseil des finances qu’il a formé. […] Depuis qu’il ne sert plus en qualité de général, il se montre au Conseil grand Autrichien… » Quand on lit ces portraits, il faut faire la part des antipathies.

10. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Vicq d’Azyr. — II. (Fin.) » pp. 296-311

Dans son Éloge de Gaubius, médecin et professeur de Leyde, il nous le montre survivant à ses autres collègues contemporains, et, jusque dans les chaires voisines de la sienne, n’étant plus entouré que de disciples, réunissant enfin toutes les jouissances d’une vieillesse robuste, savante et respectée ; et il continue par cette réflexion pleine de charme : Il est donc dans les différents âges de la vie des consolations et des récompenses pour ces hommes courageux qui se dévouent tout entiers au travail et à l’étude. […] Dans l’Éloge de Lieutaud, de ce docteur peu avenant qui fait contraste aux grâces de Lorry, et qui avait gardé même à la Cour un reste d’esprit professorial, il le montre néanmoins habile. […] Ce qui manque pourtant à ce discours, c’est l’originalité ; Vicq d’Azyr s’y montre ouvert à tous les courants d’opinions et de jugements de son siècle. […] Ceux qui parlent ainsi n’avaient pas présent au souvenir le remarquable passage où Vicq d’Azyr commente ce mot de Buffon : « Voilà ce que j’aperçois par la vue de l’esprit », et où il le montre dans ses diverses théories faisant en effet tout ce qu’on peut attendre de l’esprit, devançant l’observation, et arrivant au but sans avoir passé par les sentiers pénibles de l’expérience. […] Je donnerai ici l’une de ces versions, qui montre à quel point ces grands mots tout chargés de foudre cachent souvent de timides pensées ; plus l’auteur tremble, et plus il grossit sa voix : Citoyens représentants, écrivait Vicq d’Azyr, vous avez dit un mot, et le sol de la liberté, labouré d’une manière nouvelle, produit une abondante moisson de salpêtre.

11. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Mémoires du cardinal de Retz. (Collection Michaud et Poujoulat, édition Champollion.) 1837 » pp. 40-61

Dans une des premières scènes de la Fronde, au Parlement (11 janvier 1649), racontant la manière dont il fait enlever le commandement des troupes au duc d’Elbeuf pour le faire décerner au prince de Conti, il montre M. de Longueville, puis M. de Bouillon, puis le maréchal de La Mothe, entrant chacun l’un après l’autre dans la salle, et recommençant, chaque fois, à déclarer leur adhésion au choix du prince de Conti et à y donner les mains en ce qui les regardait : « Nous avions concerté, dit-il, de ne faire paraître sur le théâtre ces personnages que l’un après l’autre, parce que nous avions considéré que rien ne touche et n’émeut tant les peuples, et même les compagnies, qui tiennent toujours beaucoup du peuple, que la variété des spectacles. » Dans tous ces passages, Retz se montre ouvertement dans ses récits comme un auteur ou un impresario habile, qui monte sa pièce. […] Le second livre des Mémoires de Retz est celui qui nous le montre le plus à son avantage, dans l’élévation de sa pensée politique et dans tous les agréments de ses peintures. […] Ce sage et juste milieu qui, en France, a toujours été plutôt à l’état de vœu, de regret ou d’espérance, qu’à l’état de pratique réelle, avait pourtant quelque ombre d’effet et de coutume dans le pouvoir attribué au Parlement, et Retz montre tous les rois sages, saint Louis, Charles V, Louis XII, Henri IV, empressés à se modérer eux-mêmes et à s’environner d’une limite de justice. […] Il dit en toute rencontre assez de mal de lui pour qu’on croie à sa sincérité quand il se montre sous un autre jour. […] C’est à ce moment aussi qu’en artiste qu’il est la plume à la main, se considérant comme sorti du préambule et du vestibule de son sujet, il se donne carrière, et, tandis qu’il n’avait dessiné jusque-là les personnages que de profil, il les montre en face et en pied, comme dans une galerie ; il ne fait pas moins de dix-sept portraits de suite, tous admirables de vie, d’éclat, de finesse, de ressemblance, car l’impartialité s’y trouve même quand il peint des ennemis.

12. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Essai sur la littérature merveilleuse des noirs. — Chapitre IV. Personnages des fables. »

Une fable le montre pris au piège (un piège grossier)105 mais on ne le garde pas longtemps (V. […] Je l’ai dit, il ne montre pas une ardeur immodérée pour le travail. […] Quand au courage, elle montre une prudence excessive qui ressemble à tel point à la couardise qu’il est aisé de la confondre avec ce sentiment.

13. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Correspondance diplomatique du comte Joseph de Maistre, recueillie et publiée par M. Albert Blanc » pp. 67-83

Seul, sans mission réelle, jeté avec ce titre de ministre à l’extrême Nord par une royauté qui s’est réfugiée à Cagliari et qui se soucie très peu de lui, n’en recevant ni instructions ni directions, et à peine quelque traitement, n’ayant pas toujours de quoi prendre une voiture, n’ayant pas même de quoi payer un secrétaire, il a su par la noblesse de son attitude, par sa dignité naturelle, par sa probité parfaite, par l’éclat et les lumières de sa parole sitôt qu’il se montre, se faire estimer, considérer au plus haut point, pénétrer dans l’intimité des premiers personnages de l’empire, y compris l’empereur lui-même qui le goûte, qui l’écoute, qui lui demande des mémoires et des notes, et qui certainement a dû penser un moment à se l’acquérir. […] On souffre involontairement de voir un homme qui parle un si beau français exprimer des sentiments qui sont si peu nôtres ; mais enfin, pour peu qu’on y réfléchisse, il est dans son rôle, il est bien lui, le représentant d’un souverain à demi dépouillé, l’homme de l’ancien droit divin et l’ennemi de la Révolution, sous quelque forme qu’elle se montre. […] Qu’on le montre à jamais comme l’une des cimes de son austère pays, une de ces dents de rocher taillées en acier. […] Barbey d’Aurevilly qui a pris soin lui-même de relever mon omission dans un article inséré dans le journal Le Pays (décembre 1860), et il l’a fait en auteur qui se montre fort piqué qu’on ne garde pas souvenir de ses paroles et de ses phrases. […] Quant au fond de ses idées, on en tient peu compte avec lui, qui est un homme de parti pris, un écrivain tout de montre et de parade, et qui nous offre le plus singulier assemblage de toutes les prétentions et de toutes les boîtes à onguent de style mêlées on ne sait comment à d’heureuses et très heureuses finesses qu’on en voudrait détacher.

14. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre quatrième. Les conditions physiques des événements moraux — Chapitre III. La personne humaine et l’individu physiologique » pp. 337-356

Il ne reste de nous que nos événements, sensations, images, souvenirs, idées, résolutions : ce sont eux qui constituent notre être ; et l’analyse de nos jugements les plus élémentaires montre, en effet, que notre moi n’a pas d’autres éléments. […] Or l’analyse qui montre dans la substance et dans la force des entités verbales s’applique à la matière aussi bien qu’à l’esprit. […] En effet, l’anatomie montre qu’une colonne vertébrale, comme un annelé, est composée de segments protecteurs et de segments médullaires distincts, que le crâne lui-même est composé de vertèbres élargies et soudées, et que le cerveau n’est qu’un prolongement et un développement de la moelle. […] Enfin, au plus bas degré de l’échelle animale, dans les zoophytes pair exemple, où nul système nerveux ne se montre et où là matière nerveuse n’existe probablement qu’à l’état diffus, la pluralité et la division sont plus grandes encore ; car on peut couper un polype en tous sens et même le hacher ; Chaque fragment se recomplète et fournit un animal qui a toutes les facultés et tous les instincts de l’animal primitif. […] Landry, Des paralysies, 47 : « Chaque segment de la moelle est un véritable centre d’innervation… On peut considérer le cordon médullaire comme constitué par une série de centres nerveux à propriétés identiques, mais pourtant affectés à des fonctions différentes, suivant les organes auxquels sont affectés les nerfs qui en proviennent… La physiologie en cela serait d’accord avec l’anatomie comparée, qui montre la moelle se segmentant peu à peu, à mesure qu’on descend des mammifères aux poissons et de ceux-ci à des animaux plus inférieur encore, les crustacés par exemple. » 172.

15. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre III. Le Bovarysme des individus »

L’Avare nous montre avec son mal une hypertrophie du pouvoir de préférer aux jouissances positives des jouissances irréelles, apprêtées par l’esprit, et Le Malade imaginaire nous fait voir la physiologie même asservie à ce pouvoir d’imaginer. […] Ce pouvoir montre ici ce qu’il a d’essentiellement humain par généralité et par la prépondérance avec laquelle il s’exerce. […] D’autres fois, c’est la constitution physique de l’adulte qui se montre en désaccord avec la présomption du premier âge : celui que la gloire d’Annibal ou de Napoléon enflamma pour le métier des armes, se révèle de complexion délicate. […] Le Bovarysme existe, a-t-on dit, dès que l’ordre hiérarchique des énergies se montre interverti dans l’esprit et dans l’appréciation de celui qui possède ces énergies, dès qu’il préféra une énergie moins forte, à une plus forte. […] Molière a merveilleusement fait voir cette puérilité du moyen lorsqu’il le montre dans ses Précieuses employé du premier coup avec succès par des laquais : Mascarille et Jodelet ont à peine prononcé quelques phrases de charabia que Cathos et Madelon les reconnaissent comme des leurs, tiennent pour de grands esprits ces faux petits-maîtres et prennent meilleure opinion d’elles-mêmes parce qu’elles ont su leur plaire.

16. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sénac de Meilhan. — II. (Fin.) » pp. 109-130

Par dédain pour les qualités tempérées qui suffisent aux conditions d’une société vieillie, il disait : « Mêlez un peu d’orgueil qui empêche d’oublier ce qu’on se doit, de sensibilité qui empêche d’oublier ce qu’on doit aux autres, et vous ferez de la vertu dans les temps modernes. » Mais pour les anciens, tout en sachant en quoi nous les surpassons, il les montre bien supérieurs en énergie, en déploiement de facultés de tout genre : forcés par la forme de leur gouvernement de s’occuper de la chose publique d’en remplir presque indifféremment tous les emplois de paix et de guerre, de s’y rendre propres et de s’y tenir prêts à tout instant, de parler devant des multitudes vives, spirituelles, mobiles et passionnées : Quelle devait être, dit-il, l’explosion des talents animés, stimulés par d’aussi puissants motifs ! […] Il montre à quoi se réduisent pour l’homme naturel et grossier, commandé par le besoin, par la faim de chaque jour, tous ces sentiments compliqués et souvent enchanteurs que l’homme civilisé prolonge et orne à plaisir de rêveries, de souvenirs ou d’espérances. […] Parcourant rapidement l’histoire de la dernière moitié du xviiie  siècle, il montre comment une révolution s’est préparée et est devenue possible en France ; il démêle un à un les fils du câble qui a fini par se rompre : il insiste toutefois sur cette conviction que le câble pouvait résister à la tempête, pourvu qu’il y eût à bord un bon pilote. […] M. de Meilhan montre très bien ce duel engagé entre un monarque armé, qui se tient sur la défensive, et des agresseurs à outrance, pour qui tous les moyens sont bons : « Dans cette lutte sanglante de la royauté et de la démocratie, on croit voir, dit-il ingénieusement, deux combattants, dont l’un, bien supérieur en force, se contente de parer, et ménageant sans cesse la vie de son adversaire, finit par tomber sous les coups qu’il aurait pu prévenir. » Revenant sur sa distinction entre ce qui a été véritablement principe, cause, ou occasion, M. de Meilhan (et ceci est chez lui une vue originale) insiste sur cette idée favorite, qu’on a exagéré l’influence directe des écrivains sur la Révolution française. […] Il le montre jaloux de son autorité, sentant le danger de la laisser attaquer, et capable, à cette seule idée, de violents mouvements de colère qui avaient des suites ; il cite une lettre vigoureuse de ce roi au duc de Richelieu sur les envahissements de pouvoir du Parlement : Cette lettre, dit-il, doit prouver que Louis XV aurait employé la force pour arrêter, dès les premiers moments, les entreprises des révolutionnaires.

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