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22. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 38, que les peintres du temps de Raphaël n’avoient point d’avantage sur ceux d’aujourd’hui. Des peintres de l’antiquité » pp. 351-386

Nous ne sçavons pas assez distinctement les détails de la mécanique de la peinture antique, pour en faire un paralelle avec la mécanique de la peinture moderne. […] Or je n’entendis jamais prononcer en faveur des sculpteurs modernes. […] Les écrivains modernes qui ont traité de la peinture antique, nous rendent plus sçavans sans nous rendre plus capables de juger la question de la superiorité des peintres de l’antiquité sur les peintres modernes. […] Supposé que les anciens n’aïent fait rien de mieux dans ce genre que les bas reliefs, les médailles et les peintures qui nous sont demeurées, ils n’ont pas égalé les modernes. […] L’énigme n’étoit pas bien difficile à comprendre, et il seroit à souhaiter que les peintres modernes n’eussent jamais inventé d’allegorie plus obscure.

23. (1915) La philosophie française « I »

Tout l’idéalisme moderne est sorti de là, en particulier l’idéalisme allemand. […] À Descartes remontent donc les principales doctrines de la philosophie moderne. […] Mais à côté ou plutôt au-dessous de la tendance rationaliste, recouvert, et souvent dissimulé par elle, il y a un autre courant qui traverse la philosophie moderne. […] Bornons-nous à constater que Descartes et Pascal sont les grands représentants des deux formes ou méthodes de pensée entre lesquelles se partage l’esprit moderne. […] Ils ont fourni trois types de doctrines que nous rencontrons dans les temps modernes.

24. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 230-234

Nous ne parlerons pas de ses Opuscules poétiques, non plus que de ses petites Productions en prose, qui ne paroissent être que le fruit de ses délassemens, & annoncent néanmoins l’homme sage & l’esprit cultivé : nous nous arrêterons avec plaisir à son Ouvrage principal, qui a pour titre : Recherches sur l’origine des découvertes attribuées aux Modernes. […] En voyant cet Auteur remonter à la source de tous les systêmes, développer la progression des idées humaines, produire, si l’on peut s’exprimer de la sorte, la généalogie des vérités & des erreurs, on ne peut s’empêcher de convenir que la Philosophie moderne n’a fait que répéter ce qui avoit été dit & redit dans tous les siecles & presque chez tous les peuples. […] Toutes ces sciences sont suivies, examinées dans leurs différens progrès ; & cette seule exposition suffit pour prouver que les Modernes ont réellement ajouté peu de lumieres à ces divers objets de la curiosité humaine. Cet Ouvrage, composé avec autant de méthode que de clarté, écrit avec autant de simplicité que de précision, est précédé d’une Préface, où l’Auteur expose ses idées sur le mérite des Anciens & des Modernes, avec une impartialité & une modestie qui donnent du poids à sa critique. […] Recueillir, mettre en ordre, corriger, éclaircir ; telle a été la tâche que son zele infatigable a remplie ; &, ne fût-il connu que par cette seule édition, c’en seroit assez pour lui concilier la reconnoissance de tous les Savans : ajoutons que son respect pour la Religion lui a mérité l’estime des honnêtes gens, &, ce qui n’est pas moins honorable, les injures du Garasse * de la moderne Philosophie.

25. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Deuxième partie — Chapitre IV. L’unification des sociétés »

Tous les grands manieurs de peuples s’efforcent en effet de reconstituer l’État romain, et c’est son souvenir qui, revivifié par la Renaissance, vient présider à la genèse de l’État moderne. […] N’est-ce pas, au contraire, un signe des temps modernes que le progrès de la centralisation ? […] Tous ceux qui sont effrayés des empiètements de l’État moderne invoquent l’exemple de la Grande-Bretagne : voyez comme les autorités locales y sont puissantes, comme les grands corps collectifs y sont vivants ! […] Si donc la constitution des États modernes devait y entraîner la suppression de toute espèce d’association partielle, il est vraisemblable qu’ils formeraient en effet des sociétés exclusives et oppressives. […] En fait, ne savons-nous pas déjà que dans ces mêmes sociétés modernes où tant de fonctions sont centralisées, se multiplient aussi les associations volontaires ?

26. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « La Grèce antique »

En sortant d’une étude si consommée des faits, Lerminier, son œuvre achevée, s’est mis à conclure, les yeux sur son siècle, et sa conclusion, qui va du monde ancien au monde moderne, atteint le monde moderne et lui montre cruellement ses fautes. […] L’histoire de Lerminier, plus qu’aucun autre document, parce qu’il est le plus sûr de tous, prouve au contraire à quel point entre nous, modernes, et la Grèce antique, la différence est profonde, et par conséquent toute imitation insensée. […] Le mot n’est pas de nous, il est de Lerminier, mais, dans sa hauteur intellectuelle de généralité sereine, ce mot vrai exprime une chose atroce, qui fera bondir l’âme de tout moderne chez lequel le sentiment moral n’aura pas été tué. […] Partout, sur ce sol fragmenté par des institutions diverses, vous chercheriez en vain la famille, la famille comme nous la comprenons et qui est l’âme de la vie moderne. […] D’ici longtemps encore, les démocrates modernes continueront à vanter la Grèce.

27. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Les Femmes et la société au temps d’Auguste » pp. 293-307

Ces élégants ou fastueux traîneurs de robes et de toges, ces dandys à la ceinture lâche, qui comprenaient probablement l’histoire comme Blaze de Bury, étaient trop artistes, trop préoccupés de l’effet esthétique dans leurs œuvres, pour se perdre en ces chicanes minutieuses où s’usent des milliers d’yeux et d’esprits modernes… La Critique historique, telle que l’esprit moderne la conçoit et l’exige, était inconnue au temps de Tacite et de Suétone, qui se tirent de toute chose douteuse avec un mot ou deux : Rumor ou ut referunt, dits de très haut, et passent… Esprits superbes, qui n’insistent pas, qui ne s’attachent pas à un texte. […] Pour eux, on peut dire justement que l’Histoire est un art… Mais l’Histoire, comprise par les Modernes, dont les besoins de vérité et de moralité sont bien supérieurs à ceux des Anciens, l’Histoire a la noble ambition d’être une science indépendante de l’historien, et d’arriver à l’objet de toute Science, qui est la Certitude, quel que soit le talent ou l’art de celui qui s’est donné fonction de l’écrire. […] Distinction importante et nécessaire, et qu’il fallait faire, entre l’histoire ancienne et l’histoire moderne, pour culbuter, dès qu’elle se serait montrée, le système historique de Blaze de Bury, si brillamment qu’il l’eût pavoisé ! […] Blaze de Bury est un esprit profondément moderne, et qui reste partout moderne. […] c’est un moderne, qui se jette et tombe dans son sujet avec son armature moderne, — et c’est d’une originalité et d’une sensation surprenantes que cette langue moderne, hardie, familière, pittoresque, cette langue que nous parlons tous dans le plain-pied de notre vie : à souper, entre les portants de deux coulisses, partout ; la langue du monde et non de la littérature, qui touche presque à l’argot et au néologisme, qui ne craint ni le mot plaisant, ni le mot débraillé, ni le mot cru, ni le mot nu, et que voici parlée comme les chroniqueurs de notre temps la parleraient dans un journal de notre temps, et appliquée hardiment aux plus hauts sujets et aux plus majestueuses figures, avec une aisance, un sans-façon et un brio dignes de Fervacques et de Bachaumont dans des chroniques d’hier !

28. (1890) L’avenir de la science « III » pp. 129-135

Kepler, Newton, Descartes et la plupart des fondateurs de la science moderne étaient des croyants. […] La cause de la critique, c’est la cause du rationalisme, et la cause du rationalisme, c’est la cause même de l’esprit moderne. […] L’esprit moderne, c’est l’intelligence réfléchie. […] J’aime et j’admire le grand scepticisme désespérant, dont l’expression a enrichi la littérature moderne de tant d’œuvres admirables. […] Nous croyons à l’œuvre des temps modernes, à sa sainteté, à son avenir, et vous la maudissez.

29. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « II — L’inter-nationalisme »

La pensée moderne a dissocié les deux termes autrefois confondus. […] L’élargissement des contacts de toute nature au sein de l’humanité est peut-être ce qui différencie le plus profondément la « cité moderne » de la « cité antique ».‌ […] De cet élargissement progressif de sa vision, l’homme moderne est certes conscient. […] Pour moi, la vie intérieure et la vie extérieure de la nation moderne, loin de se combattre réciproquement, s’harmonisent dans une profonde unité. […] Notons tout d’abord que l’existence, chez tout peuple civilisé d’un Foreign Office, ou Ministère des Affaires étrangères, est une confirmation du fait de l’inter-dépendance des corps sociaux modernes.

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