/ 1701
1566. (1907) Propos de théâtre. Quatrième série

C’est même pour cela qu’il me revient fort, étant pris dans cette moyenne de l’humanité que nous connaissons bien, et qui est la vraie matière de l’art dramatique, comme vous savez qu’Aristote le prouve très pertinemment. […] Il est possible ; mais à lire les Jumeaux, on dirait que c’est tout juste l’inverse, on dirait que Hugo commençait par écrire et finissait par composer ; qu’il se livrait d’abord, et plume en main, à toute sa verve, et qu’il jetait sur le papier tout ce que l’imagination la plus abandonnée lui suggérait, sauf plus tard, raccourcissant par-ci, élaguant et supprimant par-là, reliant les morceaux qu’il conservait par un fil continu aussi solide que possible, à faire un drame cohérent de toute la matière, ou d’une partie de la matière, énorme et confuse, qu’il avait entassée sur le métier. […] — Pour mon compte j’eusse aimé mieux, comme plus naturel, plus franc, plus vrai et plus commode aussi pour moi, public, et me tiraillant moins le cerveau, un coup de passion, violent et irrésistible, jetant Aubier aux bras de Judith ; les remords et les déceptions devant venir plus tard, tout aussi bien, sinon plus naturellement encore, qu’avec cette entrée en matière gauche ou du moins oblique. […] La vérité est sans doute que l’auteur aura entendu raconter cette histoire, qui est assez fréquente, qu’elle l’aura amusé, qu’il se sera dit : « J’en ferai une pièce », qu’il se sera aperçu qu’elle ne peut guère faire la matière d’une pièce et qu’il se sera dit : « Je l’utiliserai comme incident de pièce ».

1567. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre II. Le théâtre. » pp. 2-96

Une sorte de loi martiale, implantée par la conquête dans les matières civiles ; est entrée de là dans les matières ecclésiastiques21, et le régime économique lui-même a fini par s’y trouver asservi.

1568. (1933) De mon temps…

Il avait fréquenté toutes les célébrités de tous les pays et les avait même, pour la plupart photographiées, car il n’allait guère sans emporter avec lui son « appareil » dont l’objectif lui avait fourni d’innombrables clichés… L’un d’eux, dont il était fier, montrait le pape Léon XIII en promenade dans les jardins du Vatican ; mais les images ne lui suffisaient pas et il les complétait par de nombreuses notes prises sur le vif et qui eussent constitué la matière de très intéressants mémoires, si la paresse ne l’avait empêché de tirer parti. […] Maindron n’était pas seulement un connaisseur expert en toute matière concernant l’histoire des armes et des armures, leur fabrication et leur usage.

1569. (1894) La bataille littéraire. Sixième série (1891-1892) pp. 1-368

Abel Hermant est raconté rien que par ce que je viens d’en dire ; c’est que l’analyse des sentiments, analyse sans sécheresse, faite sur des êtres réellement vivants, y prend la grande part, et que, comme il ne s’agit guère que de choses entrevues, noyées dans la pénombre, l’écrivain est obligé d’y insister et de souligner nettement des traits à peine indiqués dans la nature ; dans ce cas, il faut dire et redire, épuiser la matière pour être bien compris. […] Comme ce sage d’un conte suédois, je n’ai pas besoin qu’on me dise : « Il y a un poisson dans ce sac, si je vois le sac remuer ; je n’ai pas besoin qu’on me dise : la cabane est habitée, si je vois la lumière par les fentes de ses murs. » Un amour idéal et réel à la fois, des observations fantaisistes et exactes des mœurs politiques de la province en matière d’élections, une étude profonde et légère à la fois des sentiments humains, voilà ce qu’il faudrait dire de ce livre, écrit parfois par un poète, souvent par un petit-fils de Voltaire et de Sterne. […] La ruine chaude tressaillait par moments ; un balcon s’abattait, un mur croulait, entraînait d’autres murs ; et de la poussière de charbon s’exhalait en haleine noire, dans une nouvelle poussée de fumée ravivée, plus épaisse, qui sentait le soufre et le salpêtre ; parfois aussi un grand trou se creusait dans les sous-sols crevés, formait entonnoir, attirait les matières superposées, avec un bruit d’avalanche souterraine ; l’immense cadavre se décomposait… Avenue Victoria des maisons flambaient encore ; les autres, déjà consumées penchaient leurs carcasses décharnées, déchiquetées, leurs vertèbres à jour, sur le front des passants. […] Une seule chose déparait sa beauté, a remarqué le général : elle portait toujours une grosse cravate, afin de cacher un goitre assez prononcé qui, à force d’être tourmenté par les médecins, s’était ouvert et répandait une matière purulente, surtout lorsque cette princesse dansait, ce qui était son divertissement de prédilection.

1570. (1894) La vie et les livres. Première série pp. -348

Pourquoi s’affligerait-il outre mesure des ruines amoncelées autour de lui par le renouvellement de la vile matière ? […] Il est des morts qui reviennent chez eux presque toutes les nuits, les uns pour labourer un bout de terre, les autres pour réclamer ce qui leur est dû, d’autres, comme Jozon Briand, de Kermarquer, pour fumer une pipe… Rien n’est plus amusant (j’hésite à écrire ce mot en pareille matière) que les métamorphoses des âmes. […] Les conquérants font un affreux gâchis de matières premières ; ils brûlent beaucoup de poudre aux moineaux ; il y a, dans leurs usines, un épouvantable déchet d’hommes, de bêtes, de charbon, de fer et de bois ; et pourtant ils laissent après eux un capital qui, pour n’être pas estimable en quantités chiffrées, ne mérite pas d’être dédaigné.

1571. (1924) Souvenirs de la vie littéraire. Nouvelle édition augmentée d’une préface-réponse

» Je me crois en ces matières aussi délicat qu’aucun de mes confrères ; et, j’avoue que, même après quatre années de réflexions, je n’aperçois pas encore très bien en quoi les drôleries, les charges, les criailleries et les amusants paradoxes que j’ai racontés peuvent obscurcir la glorieuse physionomie de Moréas. […] Chez les plus modestes poètes qui apprirent de Leconte de Lisle à travailler les vers et à transformer en matière poétique les découvertes de l’archéologie et de la philologie, un anthologue peut trouver le chef-d’œuvre qui sauve un nom et enrichit une littérature ». […] Il savait cependant mettre sa matière en valeur, y revenir au besoin et souvent même utiliser plusieurs fois les mêmes morceaux, comme on peut s’en convaincre en comparant les passages du volume Le Père Milon (p. 25 à 38 ; 69 à 80 ; 123 à 133) avec les passages du roman Une vie (p. 60 à 67 ; 235 à 255 ; 215 à 218). […] On sortait de là courbaturé autant par l’effort qu’exigeaient de si obscures matières par cette voix monotone qui parlait, parlait toujours, implacablement. […] Trouverez-vous dans tout cela matière à intéresser vos lecteurs, mon cher confrère ?

1572. (1924) Critiques et romanciers

En réalité, le darwinisme n’avait rien à faire avec les fluctuations journalières de notre vie politique et sociale ; et c’est par un étrange abus des mots que nous usons, en ces matières, du mot dévolution… » Et ailleurs, à propos du philosophe et historien Freeman, qui fut un des premiers à mettre en valeur la théorie évolutionniste de l’histoire, Filon se réserve : « Considérer le Witenagemot, — ancienne assemblée des Hommes libres et des Sages, — transformé en Curia Regis ou la Curia Regis transformée en Parlement comme l’histoire naturelle considère le ver à soie qui sort de son cocon, changé en papillon, ce serait confondre la méthode et les procédés de deux sciences fort différentes. ». […] Mais elle doit dominer sa matière, non la subir, et imposer à cette matière qui est à sa disposition l’esprit. […] Ce petit volume, Dingo, le dernier de ses ouvrages, et où un chien jette à l’univers sa philosophie et son invective, la matière en est déjà dans Montaigne et dans l’Apologie de Raimond Sebond, mais là en malice, en colère ici, là mesurée, ici déchaînée. […] « Il n’y a pas un pays hors d’Europe, pour croire que le nu soit une beauté » ; les indigènes africains trouvent le nu obscène et matière à plaisanterie : une femme nue est, à leurs yeux, une pauvresse ou une esclave de guerre.

1573. (1927) Les écrivains. Deuxième série (1895-1910)

Melchior de Voguë, en déposant la couronne qui le gênait sur un fauteuil… Il est d’une qualité supérieure, d’un mécanisme si parfaitement huilé, qu’il peut fonctionner sans arrêt pendant des mois et des mois… Tâtez, monsieur, je vous prie, la matière résistante de mon sublime… Toutes les râpes de l’envie, toutes les scies de la raillerie s’y sont usées les dents, à le vouloir mordre. […] En ce milieu que restreignent aux limites d’une prison les murs étouffants de la matière, où l’étude de la personnalité humaine se borne aux fouilles du scalpel dans le pus, dans le sang figé, dans les chairs verdies des charognes d’amphithéâtre ; où l’on voit des têtes graves interroger les cœurs morts et les veines taries ; où la Pensée s’explique par des mensurations de tailleur et de chemisier ; où l’Amour tient, tout entier, dans l’empirisme des anthropométries illusoires, il y gagna, du moins, avec le sujet d’un beau et terrible pamphlet, les futurs Morticoles, ces désenchantements de l’orgueil scientifique qui donneront à toutes ses œuvres, plus tard, ce goût si passionnément amer, ce caractère si douloureusement exalté, de l’idéal et de la foi. […] … Transformations secrètes de la matière, quel alchimiste, jamais, éclairera vos mystères ! […] … Quelle matière admirable pour exercer son ironie et son bon sens !

/ 1701