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264. (1813) Réflexions sur le suicide

Il faut qu’il se mêle de l’irritation dans ce qu’on éprouve pour qu’on se livre à la colère contre le destin et qu’on veuille ou s’en affranchir ou s’en venger, comme d’un oppresseur. […] Une femme d’esprit a dit que l’ennui se mêlait à toutes les peines , et cette réflexion est pleine de profondeur. […] Que la pitié, la plus profonde pitié soit accordée à celui qui le commet, mais que du moins l’orgueil humain ne s’y mêle pas ! […] Cette doctrine est une de celles, d’après laquelle on peut le mieux motiver le Suicide, et elle met en évidence le genre d’égoïsme qui se mêle, ainsi que je l’ai dit, à l’acte même par lequel on veut s’anéantir. […] Il s’y mêlait, assure-t-on, la plus parfaite innocence.

265. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « M. Ampère »

Ce goût, cette science des poëtes se mêla passionnément à sa botanique, et devint comme un chant perpétuel avec lequel il accompagnait ses courses vagabondes. […] Celui qui, à dix-huit ans, avait lu la Mécanique analytique de Lagrange, récitait donc à vingt ans les poëtes, se berçait du rhythme latin, y mêlait l’idiome toscan, et s’essayait même à composer des vers dans cette dernière langue. […] Madame Des Houlières et madame de Sévigné, et Richelieu, on vient de le voir, s’y mêlent agréablement ; les chansons galantes vont leur train : la trigonométrie n’est pas oubliée. […] Dès l’abord, dans la psychologie de ceux-ci, on distingue sensibilité, raison, activité libre, et on suit chacune séparément, toujours occupé, en quelque sorte, de préserver l’une de ces facultés du contact des autres, de peur qu’on ne les croie mêlées en nature et qu’on ne les confonde. […] A partir de 1816, la petite société philosophique qui se réunissait chez M., de Biran avait pris plus de suite, et l’émulation s’en mêlait.

266. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Gustave Flaubert. Étude analytique » pp. 2-68

A force d’avoir versé sa douleur dans ses lettres, de l’avoir mêlée à seslectures, promenée dans la campagne et partout épandue, il l’avait presque tarie ; si bien que Mme Arnoux était pour lui comme une morte dont il s’étonnait de ne pas connaître le tombeau, tant cette affection était devenue tranquille et résignée. » En cette forme de style Flaubert s’exprime dans ses romans, quand apparaît une scène ou un personnage qui l’émeuvent ; dans Salammbô et la Tentation, quand l’exaltation lyrique succède au récit. […] L’art de ne révéler d’un paysage, d’une physionomie et d’une âme qu’un petit nombre d’aspects saillants, cette concision choisie et savante, ressortent encore des tableaux d’ensemble où se mêlent les péripéties et les descriptions. […] Ainsi mêlées en des alliages où chaque élément prédomine alternativement, les deux passions de Flaubert, la beauté exaltée jusqu’au mystère, et la vérité suivie de pessimisme, composent les livres que nous analysons. […] Mais le prodige qu’il lui fallait accomplir pour imposer au réel ce reflet de beauté, le visible effort avec lequel ses phrases plus grandes s’élèvent au-dessus des paragraphes qu’elles ornent, l’âcre dégoût sans doute mêlé d’ironie, de devoir ensuite se remettre à noter en mots impassibles les turpitudes d’une foule déniais, tout le supplice volontaire d’un artiste s’astreignant à une besogne vengeresse mais répugnante, faisaient se détourner Flaubert avec joie du roman, écrire après Madame Bovary, l’épopée de Salammbô, refaire après l’Éducation ce poème mi-didactique, mi-fantastique, la Tentation, et préluder par la Légende et Hérodias à son entreprise la plus abêtissante de toutes, Bouvard et Pécuchet. […] La suite des visions n’est pas clairement symbolique ; chacune d’elles est non de fantaisie, mais extraite de livres et condense en quelques lignes tout un ordre de renseignements positifs ; enfin elles sont choisies aussi pour leur beauté et leur mystère ; à tel point que l’on peut tour à tour considérer la Tentation soit comme un poème didactique, soit comme un tableau des époques antiques jusqu’au bas-empire, soit comme un admirable et précieux ballet où se mêlent la fantaisie et les magnificences.

267. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE RÉMUSAT » pp. 458-491

Pourtant, des idées et même des pratiques religieuses positives (nous en avons la preuve et nous y reviendrons) s’y mêlèrent en avançant, et agirent beaucoup plus que le monde et peut-être les amis ne l’auraient cru, mais peut-être aussi un peu moins que Mme de Rémusat ne se le disait à elle-même. […] Dans un cahier de souvenirs, dans un de ces albums alors plus rares qu’aujourd’hui et plus intimes, où on lit inscrits les noms des amis, et où l’on recherche de chacun d’eux, avec une curiosité mêlée de tristesse, quelques témoignages particuliers et déjà lointains, je saisis avec bonheur et je dérobe une page toute lumineuse signée du nom de Chateaubriand. […] » En avançant, l’idée s’est agrandie et transformée : le jeune amoureux se trouve mêlé aux grandes affaires ; le ministre, père d’Inès, de celle qu’il faudrait aimer, a pris plus de place, et la peinture de son caractère a envahi le premier plan. […] Une inspiration particulière s’y mêle, on le sent, et en est comme la muse secrète. […] Les éloges dont je l’avais accompagné, et qu’on vient de lire, ce grand nom même d’Homère que j’y avais mêlé à dessein et par précaution, n’avaient pu conjurer un accès de mauvaise humeur et de vive contrariété dans l’homme de parti et de coterie dont se compliquait en lui l’homme supérieur.

268. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre I. Décomposition du Moyen âge — Chapitre I. Le quatorzième siècle (1328-1420) »

Plus on va, plus la décomposition s’avance et s’étale aux yeux les moins clairvoyants ; la façade, qui longtemps se maintient, ne cache plus l’effondrement interne ; mais plus aussi l’avenir mêle ses lueurs aux reflets du passé : et cependant rien ne se fonde, et le xve  siècle se clôt, en laissant l’impression d’un monde qui finit, d’un avortement irrémédiable et désastreux95. […] Ne lui demandons ni idées, ni sentiments, ni personnalité intellectuelle et morale d’aucune sorte : mais s’il s’agit de montrer un chevalier en armes, une armée en bataille, le travail sanglant d’une mêlée, ou bien une entrée de reine, l’éclat des tournois, noces et curoles, c’est notre homme. […] D’autres le virent à Avignon, la ville du schisme, qui sous ses papes d’abord, puis ses légats, demeure du xive au xvie  siècle une porte ouverte à la civilisation italienne sur la France encore brute et grossière : au xive surtout, pendant le schisme, Avignon mit en contact et mêla Français du Nord et du Midi, Florentins, Romains, venus les uns pour en arracher le pape, d’autres pour l’y maintenir, d’autres pour toutes les sollicitations, intrigues ou marchandages publics et privés : nos Français, pour peu qu’ils fussent lettrés, ne tirent jamais le voyage pour rien, quand même ils se laissaient jouer ou battre. […] Cela, sans doute, est encore bien mêlé et bien confus : les constructions légères, familières, à la française, les tours plus graves, compassés, à la manière des orateurs romains, se coudoient, se mêlent, se choquent chez nos novices écrivains.

269. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « De l’influence récente des littératures du nord »

S’il est vrai que la littérature septentrionale de ces derniers temps reproduise à la fois l’idéalisme sentimental et inquiet de nos romantiques et le réalisme minutieux et impassible, d’intention ou d’apparence, qui date de l’année 1855, tout ce qu’on peut dire, c’est donc que ces écrivains du Nord nous offrent intimement mêlé ce qui fut, chez nous, successif et séparé (ou à peu près) et qu’ainsi ils abordent la peinture des hommes et des choses avec une âme et un esprit entiers, non mutilés, non resserrés dans un point de vue ou restreints à une attitude. […] Charles Bovary, après la mort d’Emma et ses tristes découvertes, dit exactement ce que dirait à sa place le moujick de Tolstoï : « C’est la faute de la fatalité. » Le moujick mêlerait peut-être à cela l’idée et le nom de Dieu. […] Et je doute même que, en dépit de leur grandeur extérieure, les événements publics  mêlés aux comédies et aux drames privés  que nous raconte Tolstoï, dépassent en intérêt et en importance ceux dont Flaubert nous offre le vaste et minutieux tableau. […] Chez les peuples protestants, où le fidèle ne relève que de sa conscience et n’admet pas d’intermédiaire entre lui et Dieu, les habitudes universelles de discussion et de méditation qui suivent de là font que le sentiment et le souci religieux sont mêlés à toute la littérature, même profane, et que les écrivains incroyants conservent du moins l’allure et le ton des croyants. […] Nos deux littératures ne se mêlent point, et la laïque y perd un peu.

270. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « De la tradition en littérature et dans quel sens il la faut entendre. Leçon d’ouverture à l’École normale » pp. 356-382

Mais l’atticisme, mais l’urbanité, mais le principe de sens et de raison qui s’y mêle à la grâce, ne nous en séparons pas. […] Il y eut un jour où la grandeur biblique et la beauté hellénique se rencontrèrent, se fondirent et se mêlèrent d’esprit et de forme dans une haute simplicité ; et quand nous parlons aujourd’hui de la tradition et de ce qui ferait faute, si elle avait manqué, de ce qui serait absent dans les fonds les plus suaves, dans les plus nobles fresques de la mémoire humaine, nous avons le droit de dire, à des titres également incontestables : Quoi ? […] Et n’est-ce pas chez lui qu’on doit aller chercher le mot le plus expressif pour rendre la douceur même (the milk of human kindness), cette qualité que je demande toujours aux talents énergiques de mêler à leur force pour qu’ils ne tombent point dans la dureté et dans la brutale offense, de même qu’aux beaux talents qui inclinent à être trop doux, je demanderai, pour se sauver de la fadeur, qu’il s’y ajoute un peu de ce que Pline et Lucien appellent amertume, ce sel de la force ; car c’est ainsi que les talents se complètent ; et Shakespeare, à sa manière (et sauf les défauts de son temps), a été complet. […] C’est un travers très général, très prononcé, qui s’est mêlé à une chose utile.

271. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Journal et Mémoires, de Mathieu Marais, publiés, par M. De Lescure »

Il a l’esprit satirique, est mêlé avec les gens de la Cour, fait des couplets et a été mis à la Bastille pendant quelque temps, soupçonné d’avoir fait des chansons contre le Régent. […] Mais, comme nous dit Marais, « le pauvre Fontenelle n’avait-il pas bien affaire d’être mêlé là dedans ? […] Chargé sur ces entrefaites de recevoir à l’Académie Mirabaud, le traducteur du Tasse, et secrétaire du duc d’Orléans, il fit selon ses habitudes et mêla à son compliment une note de cette douce faconde dont on le raillait. […] J’accepte, monsieur, cette nomination, qui me vaut une élection dans les formes, et comme la plus grande joie que j’aurais serait d’être d’un corps dont vous êtes, j’en suis dès que vous m’avez nommé, et cet in petto me plaît plus que la chose même… Vos lettres ne manqueront pas de faire du bruit ; mon nom sera mêlé avec le vôtre ; on dira que vous m’avez jugé digne d’être un jour académicien : n’en est-ce pas plus cent fois que je ne mérite ?

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