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13. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Catulle Mendès »

Dans ce roman, le meilleur de son œuvre, Victor Hugo mêle la critique d’art au drame, comme dans ses autres romans il mêle à son drame la critique sociale, avec cette brouillonnerie indifférente et ce mépris de l’unité qu’il a en tout, ce majestueux Monsieur Sans-Gêne, qui se croit souverain et qui, tout en proclamant l’art pour l’art, a toujours fait de la littérature la servante de ses idées et de ses ambitions. […] Amarillys, Henri Cardoz, Sébastien de Villaudric, sont des monstres de dévouement incroyables, inexplicables, inexpliqués, comme le clown Aladin en est un de bassesse, de convoitise et de cruauté, comme mademoiselle Arabelle de Villaudric en est un autre de débauche hystérique, en attendant qu’elle en devienne un de génie et de pureté sublime, sortant tout à coup de cette vulve de louve dans les bois, et sans qu’aucun Dieu ne s’en mêle ; car Dieu ne se mêle de rien dans le livre de M. 

14. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre quatrième. Du cours que suit l’histoire des nations — Chapitre VI. Autres preuves tirées de la manière dont chaque forme de la société se combine avec la précédente. — Réfutation de Bodin » pp. 334-341

Une quatrième forme, dit Tacite, soit distincte, soit mêlée des trois, est plus désirable que possible, et si elle se rencontre, elle n’est point durable. […] Les cités furent donc dans l’origine des aristocraties mêlées à la monarchie domestique des pères de famille. […] à des solitaires, qui, tels que le Polyphème d’Homère, se tenaient dans leurs cavernes avec leur famille, sans se mêler des affaires d’autrui ?

15. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXVI. Des oraisons funèbres et des éloges dans les premiers temps de la littérature française, depuis François Ier jusqu’à la fin du règne de Henri IV. »

Ses malheurs même et la bataille de Pavie, où, à des fautes trop réelles, il mêla de la grandeur de caractère, durent ajouter à sa célébrité, en fixant sur lui les yeux de l’Europe, et devaient surtout intéresser un peuple qui pardonne tout pour le courage, et se rallie toujours au mot de l’honneur. […] La mort d’une femme et d’une reine sur l’échafaud, tant de beauté jointe à tant d’infortune, la pitié si naturelle pour le malheur, l’attachement des Français pour une princesse élevée parmi eux, et qui avait été l’épouse d’un de leurs rois ; l’intérêt qu’on prend peut-être malgré soi à des malheurs causés par l’amour ; le nom même de la religion, car elle fut mêlée à ce grand événement ; et l’Europe, agitée alors de fanatisme, regardait presque la querelle de deux reines rivales, comme la querelle des catholiques contre les protestants : tout contribua au grand succès de cet éloge funèbre. […] Dans ces temps où la superstition se mêlait à la fureur, on voyait d’un côté des empoisonnements, des assassinats, et les crimes de la plus flétrissante volupté ; de l’autre, des processions, des confréries et des pénitents blancs et noirs ; comme si des cérémonies, sans le remords et la vertu, pouvaient expier les crimes ; comme si elles n’étaient pas un nouvel outrage pour la divinité, qu’on faisait semblant d’apaiser en la déshonorant. […] La nation en l’admirant, aimait à se persuader qu’on peut mêler la galanterie à la grandeur et que le caractère d’un Français fut en tout temps d’allier la valeur et les plaisirs. […] Celle d’Auguste fut la bonté d’un politique qui n’a plus d’intérêts à commettre des crimes ; celle de Vespasien fut souillée par l’avarice et par des meurtres ; celle de Titus est plus connue par un mot à jamais célèbre, que par des actions ; celle des Antonins fut sublime et tendre, mais une certaine austérité de philosophie qui s’y mêlait, lui ôta peut-être ces grâces si douces auxquelles on aime à la reconnaître ; parmi nous, celle de Louis XII, à jamais respectée, manque pourtant un peu de la dignité des talents et des grandes actions : car, il faut en convenir, nous sommes bien plus touchés de la bonté d’un grand homme que de celle d’un prince qui a de mauvais succès et des fautes à se faire pardonner.

16. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XV. »

Quelle sanction sublime auraient reçue les fragments de vérité, les éclairs de sentiment moral, les premiers cris de justice et d’humanité mêlés souvent aux erreurs de sa philosophie et aux pernicieux exemples de son siècle corrompu ! […] Ce qui manquait si fort, nous le voyons, au premier grand poëte de Rome, ce qui glaçait pour lui l’enthousiasme lyrique, pouvons-nous le trouver dans d’autres génies du même temps, nourris au milieu des mêmes corruptions, et n’ayant pas peut-être cette mélancolie mêlée de pitié qui rend si éloquent même le scepticisme de Lucrèce ? […] » Dans d’autres occasions, Catulle nous rend l’image de cette poésie grecque mêlée si souvent aux fêtes de la vie privée, au luxe de la richesse. […] Nul doute cependant que, formé par l’étude de plusieurs âges de la poésie grecque, Catulle n’en ait retrouvé et mêlé habilement les couleurs dans une autre œuvre de son art, dans un autre souvenir qu’Hésiode lui-même179 avait chanté, l’épithalame de Thétis et de Pélée. […] « Nul héros ne pourra se comparer à lui dans la mêlée, quand les fleuves de Phrygie déborderont de sang troyen, et que, sous les coups d’une guerre lointaine, le troisième héritier du parjure Pélops ravagera les murs de Troie.

17. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XIII » pp. 109-125

Après 1645, quand la société de Rambouillet commença à se dissoudre, comme nous l’avons vu, il s’en forma de nouvelles de l’élite des personnes qui la composaient ; il s’en forma de son rebut, il s’en forma de mêlées ; il s’en forma même des partis opposés de la cour et de la ville ; la pruderie et la galanterie se mêlèrent. […] En nommant Chapelain, Cottin, Ménage entre les amis qui demeurèrent attachés à la marquise octogénaire, je ne m’inquiète guère pour sa mémoire, des satires de Boileau contre les deux premiers, et je suis fort rassuré sur leur compte par les éloges que Boileau lui-même a mêlés à ses épigrammes, par restitue de Montausier, par celle de Voltaire, et surtout par leurs œuvres. […] On n’y trouva une des lettres d’amour, parmi lesquelles étaient celles de madame de Sévigné. « Le roi prit un grand plaisir à les lire, parce qu’elles contrastaient avec les douceurs fades des autres lettres. » Le Tellier, qui les avait lues avec le roi, dit que le surintendant avait mal à propos mêlé l’amour et l’amitié42.

18. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Fanny. Étude, par M. Ernest Feydeau » pp. 163-178

Pour nous, si nous nous risquons à en parler, c’est que nous ne nous guérirons jamais de cette vieille habitude d’aller à ce qui est vivant, de nous arrêter à chaque vaillant début d’un talent neuf et vigoureux, et de lui payer publiquement ce premier et bien légitime hommage, — l’attention, — dussions-nous mêler aux éloges quelques remarques critiques et quelques observations morales. […] Une terreur mêlée d’affection se peignit sur sa figure. […] J’essayai donc de mille manières de fixer son attention : je ramenai la conversation sur des sujets que je savais l’intéresser ; nos voisins s’y mêlèrent : j’étais inspiré par sa présence ; je parvins à me faire écouter d’elle ; je la vis bientôt sourire : j’en ressentis une telle joie, mes regards exprimèrent tant de reconnaissance, qu’elle ne put s’empêcher d’en être touchée. […] de fumets pénétrants auxquels se mêlaient l’odeur des vins et le goût des fleurs, je ne regardais pas Fanny, je ne l’écoutais même pas parler. […] Ne mêlons point l’Évangile en un tel sujet ; c’est bien assez de Salomon.

19. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre troisième »

Bon nombre de fables se mêlaient à ces récits, et les poëtes chroniqueurs puisaient aux mêmes sources que les auteurs de romans. […] Les poëtes y mêlaient des inventions pour dissimuler l’aridité du genre. […] Dans la religion, dans la guerre, dans l’amour, le merveilleux se mêle à la réalité, ou s’y substitue entièrement. […] Est-ce à l’abondance et à la mêlée des événements ? […] Je ne nomme pas Rabelais parce que le libertinage factice de l’imagination y est trop souvent mêlé à celui de la raison.

20. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Madame Dacier. — I. » pp. 473-493

Ceci nous mène à Mme Dacier vers laquelle j’arrive et je m’achemine, on peut s’en apercevoir, avec toutes sortes de précautions ; car j’ai pour elle une haute estime, un profond respect que je voudrais voir partagé de tous, sauf par moments le léger et indispensable sourire que, sous peine de n’être plus Français, nous devons mêler à toutes choses. […] On a dit que tous ceux qui se mêlent d’enseigner les humanités devraient savoir ce livret par cœur, et je serais de cet avis si j’avais à en exprimer un en de telles matières. […] Il tient la jeune intelligence constamment en éveil et en haleine, et mêle aux leçons de la gaieté et de l’intérêt ; il pratique le conseil de Charron et de Montaigne : « Je ne veux pas que le précepteur invente et parle seul, je veux qu’il écoute son disciple parler à son tour. » Il fait commencer le grec dans le même temps et sur le même pied que le latin. […] Dans ce cours d’études de Tanneguy Le Fèvre, il se mêle de la gaieté, une sorte de plaisir qui réjouit le maître et anime l’enfant : « Car ôtez le plaisir des études, je suis fort persuadé qu’un enfant ne saurait les aimer. » C’est ainsi qu’à la lecture d’Homère, de Térence, même d’Aristophane (en y mettant du choix), il jouit de voir la jeune intelligence prendre et se divertir comme à une chose naturelle, et tirer d’elle-même plus d’une conclusion avant qu’on ait besoin de la lui montrer : « On m’a dit souvent, et je l’ai lu aussi, qu’il y a beaucoup de plaisir à voir croître un jeune arbre ; mais je crois qu’il y a plus de plaisir encore à voir croître un bel esprit. » C’est pendant qu’on élevait de la sorte l’un ou l’autre de ses frères que Mme Dacier enfant, et à laquelle on ne songeait pas, écoutait, profitait en silence ; et un jour que son frère interrogé ne répondait pas à une question, elle, sans lever la tête de son ouvrage, lui souffla ce qu’il devait répondre. […] S’agissait-il d’Anacréon, il savait bien discerner dans le recueil d’Odes, qui porte le nom de ce vieux poète, ce qui était de l’antique Ionien et tout ce qu’on y avait mêlé de plus moderne et d’anacréontique plus ou moins délicat ou médiocre.

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