/ 2234
402. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre VIII. De l’invasion des peuples du Nord, de l’établissement de la religion chrétienne, et de la renaissance des lettres » pp. 188-214

Il fallait que d’abord la lumière partit d’un point brillant, d’un pays de peu d’étendue, comme la Grèce ; il fallait que, peu de siècles après, un peuple de guerriers réunît sous les mêmes lois une partie du monde pour la civiliser en la conquérant. […] Les dogmes de la religion chrétienne, l’esprit exalté de ses premiers sectaires, favorisaient et dirigeaient la tristesse passionnée des habitants d’un climat nébuleux : quelques-unes de leurs vertus, la vérité, la chasteté, la fidélité dans les promesses, étaient consacrées par des lois divines. […] Les erreurs du fanatisme pervertirent souvent ces principes ; mais des hommes, jadis indomptables, reconnurent cependant une puissance au-dessus d’eux, des devoirs pour lois, des terreurs religieuses pour frein. […] Les hommes de la classe du peuple, au contraire, n’avaient encore qu’une civilisation grossière, et des mœurs que les lois contenaient, mais que la licence devait rendre à leur férocité naturelle. […] Le droit de vie et de mort souvent accordé à l’autorité paternelle, les communs exemples du crime de l’exposition des enfants, le pouvoir des époux assimilé, sous beaucoup de rapports, à celui des pères, toutes les lois civiles enfin avaient quelque analogie avec le code abominable qui livrait l’homme à l’homme, et créait entre les humains deux classes, dont l’une ne se croyait aucun devoir envers l’autre.

403. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Conclusion. »

Considérant, comme je l’ai dit ailleurs, le crime et ses effets comme un fléau de la nature qui dépravait tellement l’homme, que ce n’était plus par la philosophie, mais par la force réprimante des lois qu’il devait être arrêté ; je n’ai examiné dans les passions que leur influence sur celui même qu’elles dominent. […] On n’obéit pas longtemps aux lois trop sévères ; mais l’état qui les maintient, sans pouvoir les faire exécuter, a tous les inconvénients de la rigueur et de la faiblesse. […] C’est dans la crise d’une révolution qu’on entend répéter sans cesse, que la pitié est un sentiment puérile, qui s’oppose à toute action nécessaire, à l’intérêt général, et qu’il faut la reléguer avec les affections efféminées, indignes des hommes d’état ou des chefs de parti ; c’est au contraire au milieu d’une révolution que la pitié, ce mouvement involontaire dans toute autre circonstance, devrait être une règle de conduite ; tous les liens qui retenaient sont déliés, l’intérêt de parti devient pour tous les hommes le but par excellence : ce but, étant censé renfermer et la véritable vertu et le seul bonheur général, prend momentanément la place de toute autre espèce de loi : hors dans un temps où la passion s’est mise dans le raisonnement, il n’y a qu’une sensation, c’est-à-dire, quelque chose qui est un peu de la nature de la passion même, qu’il soit possible de lui opposer avec succès ; lorsque la justice est reconnue, on peut se passer de pitié ; mais une révolution, quel que soit son but, suspend l’état social, et il faut remonter à la source de toutes les lois, dans un moment où ce qu’on appelle un pouvoir légal, est un nom qui n’a plus de sens. […] 5 J’aurais pu traiter la générosité, la pitié ; la plupart des questions agitées dans cet ouvrage, sous le simple rapport de la morale qui en fait une loi, mais je crois la vraie morale tellement d’accord avec l’intérêt général, qu’il me semble toujours que l’idée du devoir a été trouvée, pour abréger l’exposé des principes de conduite qu’on aurait pu développer à l’homme d’après ses avantages personnels ; et comme, dans les premières années de la vie, on défend ce qui fait mal, dans l’enfance de la nature humaine, on lui commande encore ce qu’il serait toujours possible de lui prouver.

404. (1861) La Fontaine et ses fables « Troisième partie — Chapitre III. Théorie de la fable poétique »

La philosophie omet les détails de l’objet complexe, et ainsi le change en chose abstraite ; elle ne prend dans l’objet particulier que ce qu’il a de commun avec les autres, et ainsi le change en un être général ; elle ne l’observe complexe et particulier que pour l’apercevoir général et abstrait ; elle n’agit que pour altérer, dénaturer, transformer ; elle est un raisonnement continu, où les faits ne comptent que parce qu’ils prouvent des lois, où les êtres n’entrent que pour se résoudre en qualités, où les événements ne sont reçus que pour se fondre en formules ; elle ne part de la connaissance primitive que pour s’en écarter. […] Que doit-elle être pour se transformer dès l’abord en loi générale et en règle abstraite ? […] « Tel est le fertile rejeton d’un olivier, qu’un homme nourrit dans un champ solitaire, où jaillit une eau abondante, beau, verdoyant, que balancent les souffles de tous les vents, et qui se couvre de fleurs blanches. »207 Ainsi, le poëte n’observe la cause primitive que, dans ses effets dérivés, la loi unique que dans son action multiple, la force intime que dans sa vie extérieure. […] C’est une source fécondante où les lois n’entrent que pour se transformer en événements, où les idées ne sont admises que pour se condenser en objets, où les forces ne sont reçues que pour être déployées en actions. […] Quand nous voyons un noble chêne, dont les racines s’enfoncent dans le sol comme des pieds d’athlète, étendre ses branches noires chargées de feuilles sonores, et dresser son tronc serré par l’écorce comme par des muscles tendus, nous l’imaginons plus grand et plus fort encore ; nous élargissons sa voûte, nous tordons son écorce, nous raidissons ses bras, nous couvrons sa masse sombre d’une plus riche lumière, et il nous semble alors que la nature n’a pu accomplir son dessein, que ses lois ont entravé son action, que son oeuvre n’est pas égale à son génie.

405. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre IX. Inquiets et mystiques » pp. 111-135

Il veut que nous prenions parti : « Il y a un irréductible désaccord qu’il faut voir… La justice et l’amour sont-ils le bien sûr, la loi sûre, et le port sauveur, ou bien sont-ils de possibles illusions, des vanités probables ? […] Desjardins a oublié de nous dire qu’il ne donnait aucun sens plus solide aux termes justice, amour, bien, loi, illusion, vanité, destinée, idéal, but, précédemment avancés.) […] Lazare repousse cette définition : « Un miracle est tout phénomène qui sort des lois que nous connaissons actuellement », parce qu’elle donnerait un caractère surnaturel à, par exemple, la production par Franklin de phénomènes électriques. […] Ils reconnaissent aussi que tout phénomène justifie une loi, ce que M.  […] Toute la différence de son point de vue à celui du savant et même du vulgaire est que où l’on reconnaît : 1º des faits inexpliqués expérimentalement perçus ; 2º des lois qu’on peut dégager de l’apparence de ces faits, — le symboliste, intervertissant, discerne : 1º les vérités intuitivement sues ; 2º les faits, expressions concrètes de ces vérités, ou symboles.

406. (1853) Portraits littéraires. Tome I (3e éd.) pp. 1-363

Si l’image pouvait avoir par elle-même une valeur indépendante, il faudrait rayer de la mémoire humaine toutes les lois de la pensée, toutes les lois de la parole. […] Si la loi est mauvaise, c’est la loi qu’il faut attaquer et non la magistrature, qui ne l’a pas faite, et qui l’applique selon la mesure de ses lumières. […] Mais il a négligé les lois qui président au maniement du vocabulaire, parce que la connaissance et l’application de ces lois avaient à peine un rôle à jouer dans la peinture de la pierre et de l’étoffe. […] Ne les jugeons pas d’après des lois qu’ils n’ont jamais étudiées. […] Quoique je ne songe pas à confondre la loi morale et la loi poétique, je ne puis m’empêcher de signaler cette coïncidence et d’en relever toute la valeur.

407. (1856) Réalisme, numéros 1-2 pp. 1-32

Elle est jolie, sa loi ! […] Cette loi n’a point d’effet rétroactif. — Article 3. […] La loi de l’intelligence humaine est le progrès indéfini. Pourquoi se gendarmer contre une loi fatale ? […] Elle est jolie, sa loi !

408. (1903) Hommes et idées du XIXe siècle

C’est une loi de la nature qu’elle ne procède jamais par innovations brusques. […] Monter plus haut, toujours plus haut, c’est la loi et la fatalité de sa nature. […] Il n’est de péché que contre lui ; mais vouloir se soustraire à ses lois, voilà le péché, voilà le crime ! […] Elle n’y laisse tomber qu’une goutte de sa rosée ; mais cette goutte est l’amour. » Loi cruelle, c’est la loi : il faut que l’extase s’achève en sanglots. […] Encore la loi sociale peut-elle attribuer une « excuse » au meurtrier ; la loi morale ne lui en connaît pas.

409. (1894) Dégénérescence. Fin de siècle, le mysticisme. L’égotisme, le réalisme, le vingtième siècle

La transparence du travail thématique des maîtres classiques, leur observation consciencieuse des lois du contre-point, passent pour plates et ennuyeuses. […] Pour eux n’existe aucune loi, aucune convenance, aucune pudeur. […] L’enchaînement des aperceptions est au contraire soumis à des lois que Wundt, notamment, a bien résumées. […] Mais dans tous les exemples apportés par l’éminent psychologue anglais, on peut démontrer aisément l’existence d’une ou de plusieurs des lois de Wundt. […] L’imbécile mystique, au contraire, pense uniquement d’après les lois mécaniques de l’association d’idées, sans attention à un fil conducteur.

/ 2234