* * * Au vieux poète latin, notre contemporain s’apparente encore par cette insigne tendresse qui les incline l’un et l’autre vers la grâce féminine. […] À vrai dire, il est des temps, et nous en avons connus, dans lesquels il fallût de la hardiesse pour soutenir des idées simplement justes, et nous nous souvenons d’époques de désordre où les signes de modération semblaient ceux-là même de la révolte, il fallut, par exemple, voici quelque quinze ans, une véritable originalité d’esprit pour dire qu’en art il n’y a rien qui vaille que le sincère 94, ou bien pour défendre la cause dangereusement menacée des études latines, dont on sent bien cependant qu’elles sont la moelle de la culture française.
Le rejet de la loi de séparation par le pape, contre l’avis des évêques et des notabilités catholiques, la mise à néant de son contenu substantiel par le veto romain, la docilité avec laquelle ont été exécutées les décisions piodécimales et antigallicanes sur la prononciation du latin d’église ou la première communion à sept ans, ont permis à Rome de mesurer son pouvoir sur l’Église de France. […] Et Mistral, à travers sa finesse d’humaniste rural, de même que Jaurès à travers son puissant acquis de rhéteur romain, ce ne sont pas seulement des Latins qui conquièrent la Gaule, comme Numa Roumestan, c’est le Midi albigeois qui remonte, qui remonte au triple sens, des profondeurs, où la conquête l’a refoulé, vers la lumière du soleil — de l’inconscient vers le conscient — et du Sud au Nord.
Jean de La Mennais, voulut lui enseigner le latin ; mais le disciple indocile abandonna bientôt le professeur et entreprit d’achever seul ses humanités. […] En 1803, Guizot, qui savait à fond cinq langues : le grec, le latin, l’allemand, l’italien et l’anglais, commença sa philosophie, et ce fut cette étude qui lui révéla à lui-même la tournure de son esprit, une grande confiance dans l’autorité de la raison humaine, une ardeur de méditation et une fierté intellectuelle qui le disposent à ne rien admettre qu’après contrôle. […] Madame de Staël, dans un ouvrage publié près de quinze ans plus tôt, et sévèrement critiqué par Fontanes63, avait entrevu, avec l’inexpérience de la jeunesse et la confusion que jetaient dans ses jugements des études incomplètes et insuffisantes, qu’il y avait dans les littératures des peuples de l’Europe deux sources d’inspiration : le génie de la civilisation classique, c’est-à-dire, les Grecs, les Latins étudiés dans les monuments immortels de leurs langues, et le génie de cette civilisation plus moderne que le catholicisme avait apportée au monde en greffant ses immortelles vérités sur les mœurs, les tendances et les idées des peuples vainqueurs de l’empire romain ; elle était arrivée dans son livre De l’Allemagne à une expression plus nette et moins exagérée d’une théorie dans laquelle il y avait un fond de vérité caché sous un grand nombre d’erreurs […] Dans les langues et les littératures antiques, en dehors des caractères particuliers propres aux temps et aux pays, il y a des beautés générales et éternelles dont on pourrait dire qu’elles ne sont ni grecques ni latines, mais plutôt humaines, par ce qu’elles ont de conforme aux types gravés par le Créateur dans les intelligences créées ; et c’est bien là le cas de dire, avec Térence, que rien de ce qui est humain ne saurait nous être étranger.
Hrotswitha composa des comédies qu’elle jouait sans doute avec ses sœurs ; et ces pièces, écrites dans un latin un peu mièvre et court, assez joli, sont bien les plus gracieuses curiosités dont puisse s’amuser aujourd’hui un esprit ouvert aux souffles, aux parfums, aux ombres du passé. […] Il se plaît à des allitérations puériles : « Au son de ma musette mesuray les musarderies des musards. » Lui, si bon artisan du parler maternel, lui, dont la langue a la saveur de la terre natale, tout à coup il se met à parler grec et latin en français, comme l’écolier limousin qu’il avait raillé tout en l’admirant peut-être en secret, car c’est un des caractères de ce grand railleur de chérir ce dont il se moque. […] Paul Arène, qui parle si bien de sa belle province, « la gueuse parfumée », fréquente dans le quartier Latin, où tout le monde le connaît de vue.
Une leçon de latin, un passage de soldats, un voyage en croupe, deviennent des événements importants que la distance embellit ; on jouit de son plaisir si paisible et si intime, et l’on éprouve comme lui une douceur très-grande à voir renaître avec tant d’aisance, et dans une lumière si pleine, les fantômes familiers du passé.
On a destiné au poëme dramatique les vers alexandrins comme plus voisins de la prose ; et on l’a fait dans le même esprit que les grecs et les latins avoient choisi le vers ïamble pour le theatre. […] Il étoit grand poëte lui-même dans le plus beau sens de ce terme : il étoit infiniment sensible à l’harmonie des vers grecs et latins qu’il citoit fréquemment d’abondance de goût : il avoit une connoissance délicate de nôtre langue ; et d’ailleurs il avoit lû et relû nos grands versificateurs, les Corneilles, les Despreaux et les Racines : en un mot, il n’avoit aucun des défauts qui pourroient faire recuser un témoin sur le dégoût des vers.
Moi, je suis un Latin de Paris82 » Certes, cela n’est pas très clair et on imagine qu’il y eût moyen de s’exprimer plus simplement. […] C’est un Latin. […] … Le mouvement inusité des affaires, les spéculations hardies, les coups du sort, plus fréquents au lendemain d’une révolution, ont porté au premier rang de la société un flot nouveau de bourgeoisie, dont la fortune a été prompte, dont l’éducation sera lente, qui a voulu néanmoins, par droit de fortune, se donner les jouissances de l’esprit, avant d’avoir l’esprit cultivé ; les chemins de fer, influant d’une façon bizarre sur l’état intellectuel de la société comme sur son état économique, versent chaque jour dans ce Paris, juge souverain des questions d’art, une masse mobile mais serrée, continue, de provinciaux affairés, à peine munis d’un peu d’orthographe et de latin, n’ayant fait que des lectures sans choix… ; de la sorte, les décisions suprêmes en matière de littérature sont soumises à un public sans expérience, pour qui tout est prodige et nouveauté.
Cette question du style dans le récit est d’ailleurs de celles dont il faut dire le : et adhuc sub judice lis est , du latin. […] Elle est si malaisée à bien manier, notre langue française, avec l’embarras de ses qui, de ses que, la surcharge de ses verbes faire et avoir, son absence d’inversions, ses vocables usés par plusieurs siècles d’usage et de plus en plus éloignés de leur origine latine ! […] Vous vous rendez compte que ce petit coin de frontière a comme affronté deux variétés du type latin, toutes voisines et cependant irréductibles l’une à l’autre.