Jusqu’à la fin presque du XVIIIesiècle nos écrivains n’ont guère demandé aux auteurs classiques, aux Italiens, que des conseils techniques, des préceptes et des modèles ; ce que l’exemple des Espagnols a inspiré de rodomontades à Corneille, l’exemple des historiens latins de rhétorique et de grandeur austère, fut en somme minime et provenait d’ancêtres et de parents de notre race.
On connaît la Sainte couchée entre les pages, longues comme ses mains, de l’Idéalisme de M. de Gourmont, et les deux têtes, Christ et Vierge, enluminure du Latin Mystique. — Le Jugement dernier s’élabore, mais il faudrait presque qu’il ne fût point fini, car le prétexte sera lors mort de créer des faces d’anges ou de damnés, chevelues de flammes ou de rayons ; et nous n’aimerons plus, forcés, au changement, l’image — où Georgin couche la lame sonore de son verset sur la tête de mort en bois, sonnant à tous les champignons : noirs subitement germés des dalles : Levez-vous, morts, et venez au Jugement. — En attendant l’étonnement de la trompe finale, ce mois : Sainte-Cécile et son violon : sur le ciel bleu d’arrosoir d’or et l’arche-cadre des croix ornementales, le bras : de la Sainte où le sexe hésite, peut-être main de l’ange mêlée à la sienne, union ou communion.
On joua une petite pièce de lui, intitulée le Bourgeois de Rome, qui succomba devant une bourrasque d’étudiants telle qu’il en éclate parfois dans ce parterre, bruyante province du pays latin. […] Certes, s’il était prouvé qu’ils ont pris dans une sietche, village de l’Ukraine ou des bords du Don, un petit Cosaque bien sauvage, bien barbare, et qu’en dix ans ils en ont fait un aventurier de génie, digne de supporter le poids d’un grand nom, excellant dans tous les exercices du corps, bon soldat, hardi cavalier, doux, humain, chevaleresque et sachant le latin par-dessus le marché, cet élève-là leur ferait encore plus d’honneur que Voltaire n’en a fait au père Porée. […] Qu’importe maintenant qu’Héloïse cite du grec et du latin, invoque à l’appui de son opinion les philosophes païens et les Pères de l’Église, appelle son fils Astrolabe, et mêle sans cesse ses souvenirs de savante à ses sentiments d’héroïne ? […] Duviquet, le Mentor un peu arriéré de la littérature dramatique : à la quatrième ligne, nous reconnûmes une autre main ; à la dixième, un cri de joie éclata dans les rangs de notre petite troupe, composée de rhétoriciens honteux d’avoir été forts en thème, et pressés de perdre leur latin. […] Il faut vous dire qu’un très savant et très vénérable théatin, le père Caffaro, avait publié dans son temps une dissertation métaphysique et latine sur la Comédie, et que cette dissertation avait été, au grand étonnement du bon père, traduite en français et mise en tête d’une comédie de Boursault.
Nous sommes descendus jusqu’au dernier degré de la spirale, jusqu’à la fœmina simplex du satirique latin. […] Sa langue, vigoureuse et pittoresque, a presque le charme du latin.
C’en est fait de la culture classique ; il n’y aura pas une seconde renaissance ; nous ne ferons pas renaître une seconde fois les Grecs et les Latins, puisqu’à la fin on nous en a délivrés, et c’est pourquoi il n’y aura pas non plus de renaissance française, pas plus pour Hugo et son école que pour Voltaire et Rousseau, pas plus pour Rousseau et Voltaire que pour Fénelon et Bossuet. […] Vers 1869 encore, il n’y avait guère de conversation entre honnêtes gens, — sérieuse ou frivole, savante ou mondaine —, qui ne fût semée et pailletée de citations grecques ou latines, de bribes de l’Écriture, de souvenirs mythologiques, de sentences tirées de l’histoire ancienne ; toutes choses devenues avec le temps si usuelles ; si communes et si banales que personne ne se fût demandé d’où cela pouvait venir dans la conversation présente. […] Il existe d’autres journaux qui élisent plus volontiers domicile dans la Chaussée-d’Antin ou le quartier Vivienne que sur la montagne latine. […] Les entretiens, qu’il est censé rapporter, tournent d’abord au discours ; on y sent l’imitation forcée des oraisons latines.
Enfin, il trouva un éditeur plus audacieux que les autres, ou peut-être qui avait moins à risquer : il s’appelait Nicole, et ce nom, pour un éditeur de vers, sonnait d’une manière un peu comique : et il dirigeait une librairie grecque, latine, allemande, ce qui alors devenait tout à fait funambulesque. […] Mais, d’ailleurs, peu importe : Lamartine aima les poésies d’Ossian, d’abord parce qu’elles l’aidaient à se débarrasser de la mythologie des Grecs et des Latins ; puis, il aima les poésies d’Ossian à cause de leur tristesse, à cause du paysage où l’auteur place ses personnages, du paysage de rêve, où les fantômes des êtres que nous avons aimés, aiment, passent, où une lumière vague se répand sur les brouillards, sur les bruyères.
Or la vérité n’est pas toute d’origine latine ; elle peut vivre ailleurs que sur notre sol, et la France, quoi qu’on en dise, offre une hospitalité plus large aux personnes qu’aux idées étrangères. […] Ses attaches avec l’antiquité classique grecque ou latine, et même avec le classicisme français du xviie siècle, sont si frêles qu’elles semblent n’avoir jamais été nouées. […] Nous leur avions appris les règles de l’art et les lois de la beauté : ils introduisirent parmi nous des facteurs hostiles aux saines traditions de la culture latine.
. — Même incurie et même désordre pour l’éducation des enfants ; sitôt qu’on les a destinés à l’épée, on ne leur enseigne plus le latin ni l’histoire ; on ne les fait pas voyager ; ils n’apprennent pas même à faire des armes ni à monter à cheval ; il n’y a point d’académie à Madrid pour les exercices de corps. […] Il lie ses idées ; il redouble ses expressions ; il mesure et prolonge les crescendo ; il construit les périodes ; il équilibre sa phrase ; il atteint naturellement au rythme et à l’ampleur ; il est orateur dans le vrai et noble sens du mot ; car il démontre et il explique, et quoiqu’on le considère le plus souvent comme un esprit foncièrement moderne et foncièrement coloriste, j’ose dire que par la logique naturelle, par le développement progressif, par les symétries involontaires de ses idées et de son style, il est Latin, Italien, Français si l’on veut, en tout cas partisan et admirateur involontaire de cette grande école de rhétorique et d’éloquence qui, née à Athènes et à Rome, s’est transmise à travers le xviie siècle jusqu’à nous. […] Pensez à tant de jeunes gens qui, dans une mansarde du quartier latin, regardent, étudient, s’inquiètent, frémissent au contact des tentations, livrent leur esprit et leurs sens à la contagion et au tumulte des espérances infinies et des convoitises multipliées. […] Il possédait six langues, avec leur littérature et leur histoire, l’italien, le grec, le latin, l’anglais, l’espagnol et le russe ; je crois qu’en outre il lisait l’allemand. […] « Mais le procédé était si simple, si facile, que j’en vins à douter du mérite de la couleur locale elle-même, et que je pardonnai à Racine d’avoir policé les sauvages héros « de Sophocle et d’Euripide. » — Vers la fin de sa vie, il évitait de parti pris toutes les théories ; à ses yeux, elles n’étaient bonnes qu’à duper des philosophes ou à nourrir des professeurs : il n’acceptait et n’échangeait que des anecdotes, de petits faits d’observation, par exemple, en philologie, la date précise où l’on cesse de rencontrer dans le vieux français les deux cas survivants de la déclinaison latine.