C’est là mourir en effet, que n’affliger, ni punir, ni rattacher dans son souvenir, l’objet qui vous a trahi ; et le laisser à celle qu’il préfère, est une image de douleur qui se place au-delà du tombeau, comme si cette idée devait vous y suivre. […] Il peut exister des femmes dont le cœur ait perdu sa délicatesse ; elles sont aussi étrangères à l’amour qu’à la vertu, mais il est encore pour celles qui méritent seules d’être comptées parmi leur sexe, il est encore une inégalité profonde dans leurs rapports avec les hommes, les affections de leur cœur se renouvellent rarement ; égarées dans la vie, quand leur guide les a trahi, elles ne savent ni renoncer à un sentiment qui ne laisse après lui que l’abîme du néant, ni renaître à l’amour dont leur âme est épouvantée. Une sorte de trouble sans fin, sans but, sans repos, s’empare de leur existence, les unes se dégradent, les autres sont plus près d’une dévotion exaltée que d’une vertu calme ; toutes au moins sont marquées du sceau fatal de la douleur : et pendant ce temps, les hommes commandent les armées, dirigent les Empires, et se rappellent à peine le nom de celles dont ils ont fait la destinée ; un seul mouvement d’amitié laisse plus de traces dans leur cœur que la passion la plus ardente ; toute leur vie est étrangère à cette époque, chaque instant y rattache le souvenir des femmes ; l’imagination des hommes a tout conquis en étant aimé ; le cœur des femmes est inépuisable en regrets, les hommes ont un but dans l’amour, la durée de ce sentiment est le seul bonheur des femmes.
Entre ces émotions particulières de l’individu et ces conditions essentielles de l’humanité, qui, réunies, forment l’objet du lyrisme romantique, restent l’intelligence avec la réflexion et les facultés discursives, et les vérités universelles d’ordre rationnel : deux choses que le romantisme laisse de côté. […] Il brisera les formes trop arrêtées, trop fixes, qui ne se laissent plus manier par la pensée de l’artiste, ces habitudes tyranniques de composition et de style qui filtrent pour ainsi dire l’inspiration et éliminent l’originalité : en brisant les genres, les règles, le goût, la langue, le vers, il remettait la littérature dans une heureuse indétermination, dans laquelle le génie des artistes et l’esprit du siècle chercheraient librement les lois d’une reconstitution des genres, des règles, du goût, de la langue, du vers. […] Il laisse ses amis guerroyer dans la Muse française et dans le Globe 723 .
Ainsi comprises, les études communes, poursuivies avec le même esprit dans tous les pays civilisés, forment au-dessus des nationalités restreintes, diverses et trop souvent hostiles, une grande patrie qu’aucune guerre ne souille, qu’aucun conquérant ne menace, et où les âmes trouvent le refuge et l’unité que la cité de Dieu leur a donnés en d’autres temps. » Et voici une autre page où cet amour de la vérité s’exprime comme ferait la foi jalouse d’un croyant, en laisse voir les scrupules, les délicatesses, les pieuses intransigeances : … Il y a au cœur de tout homme qui aime véritablement l’étude une secrète répugnance à donner à ses travaux une application immédiate : l’utilité de la science lui paraît surtout résider dans l’élévation et dans le détachement qu’elle impose à l’esprit qui s’y livre ; il a toujours comme une terreur secrète, en indiquant, au public les résultats pratiques qu’on peut tirer de ses recherches, de leur enlever quelque chose de ce que j’appellerai leur pureté. […] Il le fait tranquillement, n’esquivant rien, n’exagérant rien, avec un désintéressement, une impartialité, une indépendance de jugement telle, que cette sorte de sacrifice ou plutôt (car il n’avait point à la sacrifier) d’oubli provisoire de la piété filiale en face de la science qui prime tout, m’a rappelé, je ne sais comment, la hauteur d’âme des vieux Romains mettant tout naturellement l’intérêt de la patrie au-dessus des affections de famille… Puis, tout à coup, après ce long, tranquille et consciencieux exposé qui n’eût point été différent s’il se fût agi d’un étranger, la voix du professeur s’altère et laisse tomber ces mots : … Moi qui vous parle, moi qui seul sais le respect et la reconnaissance que je lui dois, j’ai dû m’abstenir de les exprimer comme je les sens, autant pour être fidèle à cette modération qu’il aimait à garder en toutes choses, autant pour ne rien rire ici qui ne dût être dit par tout autre à ma place, que pour ne pas m’exposer à être envahi par une émotion trop poignante qui ne m’aurait pas laissé la liberté et la force de rendre à cette mémoire si chère et encore si présente l’hommage public auquel elle a droit. […] Qui sait où nous serions parvenus, laissés à notre propre mouvement ?
Rochefort n’est pas de mine à se laisser demander trop directement des comptes. […] Mais aussi comment voulez-vous que ceux qui l’exercent ne finissent pas par s’y laisser prendre ? […] Rochefort est au fond très fier de sa noblesse, et de remonter à Louis le Gros, et qu’un jour, comme on lui rappelait que sa famille avait été alliée aux Talleyrand, il laissa entendre que tout l’honneur était pour eux.
Mais le geste particulier, le mouvement qui indique l’état d’âme d’un instant laissent croire qu’une action nouvelle suivra l’instant d’après, avec son geste et son mouvement nouveaux ; il y a en eux de l’inachevé et lorsqu’ils se montrent dans la sculpture surtout, ils contredisent l’essence de cet art en un rythme qui suppose le temps11. […] Encore qu’il ne s’arrête pas à la décrire, je connais peu de poètes qui l’aient mieux que lui devinée, et qui aient mieux laissé entendre sa voix grave d’aïeule. […] M. de Régnier recherche souvent les paysages aux lignes amples, et souvent les présences qu’il y évoque les laissent on dirait solitaires.
Car nul symptôme dans la montée démocratique ne laisse prédire une renaissance du goût public. […] La vérité est qu’il vous découvrira à son heure, soit dans quelque trente ans, aux prodromes de votre gâtisme ; vous trouverez alors que sa lenteur n’a été que sage défiance et vous vous laisserez voiturer vers les tièdes Académies. […] Et laissons dire.
Ces procédés du temps de la Ligue lui font horreur ; il les laisse aux Seize et aux ambitieux sanguinaires. […] Retz a beau avoir pour lui les lanternes, qui étaient les tribunes de ce temps-là, il a beau avoir les jeunes têtes du Parlement, le banc des Enquêtes qui est tout à sa dévotion : cette « sainte cohue », comme il l’appelle, qui sait si bien crier quand elle a le mot d’ordre, ne suffit pas, et le premier président Molé ne se laisse pas faire. […] Une plaisanterie qu’il laissa échapper contre la reine, et qui revint à celle-ci (il l’avait appelée Suissesse), irrita la femme, et contribua à la vengeance finale plus peut-être que ne l’auraient pu faire les seules infidélités politiques de Retz.
Mais ce qui n’y ajoute pas, en y ajoutant… Laissons cela ! […] Or, s’il est un nom significatif et qui précise dans l’esprit l’image d’une civilisation tout entière, n’est-ce pas ce nom si singulièrement choisi de Koran, que Mahomet — l’un des quatre hommes de l’Histoire qui ont le plus laissé leur empreinte dans les choses humaines — a consacré en l’écrivant, avec la pointe d’un cimeterre, sur le frontispice de sa Loi ? […] Il fallait donc laisser le livre du Koran dans une obscurité, pour cette fois-ci, méritée.