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143. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre I. Le broyeur de lin  (1876) »

Je ne peux pas dire que le bon saint Yves ait merveilleusement géré nos affaires, ni surtout qu’il m’ait donné une remarquable entente de mes intérêts ; mais je lui dois mieux que cela ; il m’a donné contentement qui passe richesse et une bonne humeur naturelle qui m’a tenu en joie jusqu’à ce jour. […] Le prêtre devient pour elles un frère sûr, qui a dépouillé à cause d’elles son sexe et ses joies. […] Quelle joie qu’une telle pensée ! […] Sa joie fut grande. […] Assister à la messe encore une dernière fois, quoique morte ; entendre ces paroles consolantes, ces chants qui sauvent ; être là sous le drap mortuaire, au milieu de l’assemblée des fidèles, famille qu’elle avait tant aimée, tout entendre sans être vue, pendant que tous penseraient à elle, prieraient pour elle, seraient occupés d’elle ; communier encore une fois avec les personnes pieuses avant de descendre sous la terre, quelle joie !

144. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « La princesse Mathilde » pp. 389-400

La physionomie entière exprime noblesse, dignité, et, dès qu’elle s’anime, la grâce unie à la force, la joie qui naît d’une nature saine, la franchise et la bonté, parfois aussi le feu et l’ardeur. […] Elle en avait éprouvé une vive et douce surprise, une joie sensible, visible, et qu’elle ne pouvait contenir. Je ne sais de pendant à cette joie que celle dont le hasard me rendit témoin, un jour que la princesse recevait la nouvelle qu’une médaille venait de lui être accordée par un jury de province pour l’exposition de quelques-uns de ses dessins et tableaux72.

145. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre VIII. Quelques étrangères »

Il est capable d’ailleurs de quelque diversité de joies et il ne rêve pas uniquement aux bravos de la foule. […] Tout comme Néron chante dans sa joie délirante de vers qu’il n’a point faits et déshonore Homère de sa bave impériale, Annunzio clame, bacchant écumant, des images volées à Shelley, des chansons cambriolées dans Maeterlinck, des « pensées » prises à tous, à ceux qui pensent et à ceux qui ne pensent pas. […] Sa joie de faire souffrir, son amour pour les bêtes de proie qui lui ressemblent, s’exprime en « belles cadences » émues dans l’éloge de Gog le lévrier, « celui qui, d’un seul coup de ses mâchoires, cassait les reins du lièvre » ; celui qui « possédait toutes les vertus de la grande race », depuis la rapidité à la course jusqu’au « désir constant de tuer la proie ».

146. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre II. Mademoiselle Mars a été toute la comédie de son temps » pp. 93-102

« Oui, en effet, elle se souvient, ainsi vaincue par une force irrésistible, de ses jours tout-puissants de triomphe et de victoire ; elle se souvient de l’enthousiasme universel, elle se souvient de ses créations splendides, quand elle faisait, de rien quelque chose : une comédie d’un vaudeville, un membre de l’Institut de quelque faiseur de mauvais vers ; elle se souvient de la joie, de la bonne humeur, de l’applaudissement du parterre ; elle se rappelle tous les triomphes entassés là, à ses pieds : ce théâtre glorifié, cette scène agrandie, et les vrais Dieux venant au-devant d’elle, les mains chargées de couronnes. […] ce fut justement à ce moment-là de son triomphe (derniers moments du bonheur poétique, moments sacrés de cette pure joie des beaux-arts ; pour ces moments-là le dernier bandit des Abruzzes aurait de l’enthousiasme et du respect), qu’un homme caché, perdu dans la foule, attendait mademoiselle Mars, le poignard à la main. […] Le rire et les larmes, la douleur et la joie, et le bravo !

147. (1859) Cours familier de littérature. VII « XLIe entretien. Littérature dramatique de l’Allemagne. Troisième partie de Goethe. — Schiller » pp. 313-392

Que le mélange soit pur d’écume, afin que la voix du métal poli retentisse pleine et sonore ; car la cloche salue avec l’accent solennel de la joie l’enfant bien-aimé à son entrée dans la vie, lorsqu’il arrive plongé dans le sommeil. […] Quand la lumière des étoiles brille, le jeune ouvrier, libre de tout souci, entend sonner l’heure de la joie ; mais le maître n’a pas de repos. […] Elle s’émeut, elle s’ébranle ; elle annonce la joie à cette ville. […] Elle ne riait pas haut ; c’était plutôt un doux roucoulement sourd, dans lequel la joie et la sérénité s’exprimaient parfaitement. […] Elle entrouvrit sa robe et me montra une place sur son beau sein ; ses yeux resplendissaient de joie.

148. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre III. Le roman » pp. 135-201

C’est une disposition égale et soudaine à la tristesse comme à la joie ; mais la joie est souvent mélancolique et la tristesse s’échappe en des gestes bouffons et rassurants. […] Le même écrivain flétrira rigoureusement les cruautés banales de l’existence, puis se complaira avec indulgence et sans arrière-pensée aux joies faciles de chaque jour. […] L’optimisme, la joie saine et franche, c’est ce que Marius-Ary Leblond veulent réaliser dans le roman contemporain qu’ils ont raison de trouver trop triste. […] Toute l’Espagne moderne avec son aspect bigarré, ses joies bruyantes et populaires, ses haines tragiques, revit ici. […] Chair-Mystique, la Beauté, Versailles aux Fantômes, la Joie sont des romans d’une intrigue simplifiée, mais d’une volupté absorbante et complexe.

149. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Bossuet. Lettres sur Bossuet à un homme d’État, par M. Poujoulat, 1854. — Portrait de Bossuet, par M. de Lamartine, dans Le Civilisateur, 1854. — II. (Fin.) » pp. 198-216

Pour donner une forte idée des plaisirs véritables dont jouissent les bienheureux, l’orateur se dit ainsi qu’à ses auditeurs : « Philosophons un peu avant toutes choses sur la nature des joies du monde. » Et il va tâcher de faire sentir par ce qui manque à nos joies ce qui doit entrer dans celles d’une condition meilleure : « Car c’est une erreur de croire qu’il faille indifféremment recevoir la joie de quelque côté qu’elle naisse, quelque main qui nous la présente. De toutes les passions, la plus pleine d’illusion, c’est la joie. » Demandons-nous toujours : D’où nous vient-elle et quel en est le sujet ?

150. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sylvain Bailly. — II. (Fin.) » pp. 361-379

Lorsque, après bien des retards, des difficultés et des périls, la réunion des ordres est opérée tant bien que mal le samedi 27 juin, Bailly en profite pour accorder à lui et à ses collègues quelques jours de congé et de fête ; il part aussitôt, il court pour se reposer quelques instants à sa maison de Chaillot, où il n’était pas allé depuis qu’il était président à l’Assembléel : Je partis sur-le-champ pour Chaillot, et j’emportai cette joie (de la réunion des trois ordres) que je voulus répandre tout le long de mon chemin. […] Joie naïve d’un président d’ailleurs digne et énergique ! Arrivé à Chaillot, où il passait les étés depuis trente ans, Bailly s’y voit l’objet d’une ovation, ou plutôt d’une fête patriarcale et champêtre, « fête sans faste, dont la décente gaieté et les fleurs firent tous les frais », et qu’on lui donne chez lui, dans les différentes pièces de sa maison et de son jardin : Je ne dis rien de trop en disant que je fus embarrassé par cette foule presque entière, qui se pressait autour de moi avec les plus vives expressions de l’amour et de l’estime, une joie pure et douce, une paix qui annonçait l’innocence : cette fête était vraiment patriarcale ; elle m’a donné les plus délicieuses émotions, et m’a laissé le plus doux souvenir. […] Au milieu des pages fort mélangées que lui a consacrées son ami Mérard de Saint-Just, il en est une qui me paraît rendre avec réalité et sans complaisance sa figure, sa physionomie finale, et les qualités qui s’y dévoilaient peu à peu aux yeux de l’amitié : Grand et maigre, est-il dit, le visage long, des yeux petits et un peu couverts, la vue extrêmement basse, un nez d’une longueur presque démesurée, le teint assez brun, tout cet ensemble ne lui donnait pas une figure aimable : il l’avait sérieuse ; mais son air imposant, même un peu sévère, loin d’avoir rien d’austère ni de sombre, laissait paraître assez à découvert ce fonds de joie sage et durable qui est le fruit d’une raison épurée et d’une conscience tranquille.

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