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109. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Auguste de Chatillon. À la Grand’Pinte ! »

la douceur résignée, soit dans la joie, triste joie ! […] Nous, qui avons toujours accueilli avec joie et même avec tressaillement toute personnalité de poète qui a cherché à se dégager de la prose du temps, nous savons trop combien cette prose, qui monte toujours, a été puissante contre l’énergie des plus fiers instincts, révoltés pour lui échapper.

110. (1889) Essai sur les données immédiates de la conscience « Chapitre I. De l’intensité des états psychologiques »

Mais certains états de l’âme nous paraissent, à tort ou à raison, se suffire à eux-mêmes : telles sont les joies et les tristesses profondes, les passions réfléchies, les émotions esthétiques. […] Essayons de démêler en quoi consiste une intensité croissante de joie ou de tristesse, dans les cas exceptionnels où aucun symptôme physique n’intervient. La joie intérieure n’est pas plus que la passion un fait psychologique isolé qui occuperait d’abord un coin de l’âme et gagnerait peu à peu de la place. […] Ainsi, il y a plusieurs formes caractéristiques de la joie purement intérieure, autant d’étapes successives qui correspondent à des modifications qualitatives de la masse de nos états psychologiques. […] Il n’y a guère de passion ou de désir, de joie ou de tristesse, qui ne s’accompagne de symptômes physiques ; et, là où ces symptômes se présentent, ils nous servent vraisemblablement à quelque chose dans l’appréciation des intensités.

111. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Histoire de la maison royale de Saint-Cyr, par M. Théophile Lavallée. » pp. 473-494

Que sera-ce donc quand elle sera chez elle, dans sa fondation propre, dans sa ruche de prédilection, avec toute sa joie et son orgueil de reine abeille et de mère, ayant une fois réussi à produire le parfait idéal qui était en elle ? […] Cette réforme une fois opérée à Saint-Cyr, et l’impression triste qu’en reçurent d’abord celles même qui s’y soumirent étant à peu près effacée, tout fut dans l’ordre, et la joie eut place comme auparavant au milieu de la vie uniforme et occupée. […] À un moment ou à un autre, la joie qui n’est que l’épanouissement de l’âme reparaît, et elle ne cesse point de courir à travers les actions. […] Il se recommande à leurs prières, les jours de défaite comme les jours de victoire ; il sait que leur deuil est le sien, et que sa gloire est leur joie. […] Elle y était respectée, chérie, écoutée ; absente, ses lettres lues à la récréation faisaient l’orgueil de celle qui les avait reçues et la joie de toutes ; présente, on se concertait pour éveiller ses souvenirs, pour la ramener sur ses débuts et sur les incidents singuliers de sa fortune, pour la faire parler d’elle-même, ce sujet qui nous est toujours si reposant et si doux.

112. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — Analyse esthétique »

On ne se porte pas au secours du héros que l’on assassine au dernier chapitre, et, s’il se marie, la joie qu’on peut en ressentir est sans suites pratiques. […] De même les livres les plus joyeux, les plus comiques laissent plus d’excitation que de joie ; et à l’intensité près qui est plus forte pour les émotions esthétiques d’ordre pénible, celles-ci et les plus agréables se ressemblent extrêmement. […] Cette qualité essentielle des émotions esthétiques, — leur propriété de ne posséder qu’un faible indice de joie et de souffrance, la préférence accordée, de tout temps, à celles qui sont ainsi légèrement tristes, — n’a été aperçue clairement par aucun esthéticien ou psychologue. Sans vouloir nous étendre sur un problème qui ne fait pas partie intégrante de ce travail, nous croyons qu’il faudra à l’avenir distinguer dans l’émotion ordinaire (non plus esthétique) : d’une part, l’excitation, l’exaltation neutre qui la constitue, qui est son caractère propre et constant : de l’autre, un phénomène cérébral additionnel, qui est l’éveil d’un certain nombre d’images de plaisir ou de douleur, venant s’associer au forni originel, le colorer ou le timbrer pour ainsi dire, et produire la peine ou la joie proprement dites, quand elles comprennent le moi comme sujet souffrant et joyeux. […] Les émotions esthétiques sont en général comprises entre ces limites, avec une tendance cependant à se rapprocher de la joie, qui est une émotion d’excitation presque pure et sans images naissantes.

113. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre X. »

Mais, puisque le sable des mers échappe au calcul, qui pourrait dénombrer combien de joies cet homme a données aux autres hommes ?  […] Le poëte de Thèbes eut il supporter cette douleur, dans la joie publique de la victoire qui suivit bientôt l’immortelle défaite des Thermopyles. […] Pindare vient, au milieu des concitoyens et des amis, saluer le jeune vainqueur, dans la maison de son père, riche citoyen d’Égine ; et tout aussitôt la pensée du poëte s’élève à la joie du patriotisme commun, comme pour y perdre le souvenir de la faute et du malheur de Thèbes. […] Il faut seulement garder au cœur bonne espérance : il faut aussi que le nourrisson favori de Thèbes donne en tribut une fleur des grâces à la belle et vaillante Égine ; car Égine et Thèbes sont filles jumelles du même père113. » Je ne sais si ma passion de traducteur m’abuse en ce moment ; mais combien cette joie réservée du poëte, cette tristesse du Thébain mêlée au triomphe des Hellènes, sont patriotiques et touchantes ! […] Quel oubli de tout, hormis l’orgueil de la patrie commune et la joie de sa gloire, dans cette distraction du poëte qui met le mot de barbares à la bouche même des Perses, comme se reconnaissant une race inférieure et vaincue !

114. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XX. Le Dante, poëte lyrique. »

La poésie lyrique, cette Heur native de la vie humaine, tour à tour sauvage et cultivée, la poésie lyrique, couronne de la victoire et du cercueil, avait reparu, du jour où le rude guerrier de Limoux avait exhalé sa joie, aux approches du combat, plus doux à ses yeux qu’une journée de printemps, et bientôt après, avait répandu sa douleur, à la mort prématurée du jeune prince d’Angleterre. […] Des chefs de parti, des hommes mêlés aux factions de Florence, vainqueurs ou dans l’exil, chantaient les douleurs et les joies d’une passion qu’on pourrait souvent croire imaginaire, tant les expressions en sont discrètes jusqu’à l’obscurité. […] Avec une joie égale à celle des autres créatures du premier ordre, elle roule sa sphère et jouit de son bonheur. » Vous avez présent cet hymne d’Horace à la divinité d’Antium, à cette Fortune dont les Romains avaient cru sentir les puissantes faveurs, dans les calamités qu’eux-mêmes infligeaient aux vaincus. […] Qui pourrait dire quelles sont les joies de la paix suprême, là où s’élèvent des palais de vivantes escarboucles, des toits resplendissants de lames d’or, des salles rayonnantes ? […] L’une veillait aux soins du berceau, et, pour consoler l’enfant, usait de ce langage qui ravit de joie les pères et les mères.

115. (1853) Portraits littéraires. Tome I (3e éd.) pp. 1-363

Les élégies consacrées aux joies et aux souffrances de l’amour semblent dérobées tantôt à Properce, plus souvent encore à Tibulle. […] Condamnées par leur nature à une perpétuelle mobilité, elles prennent en dégoût la joie la plus pure, dès que cette joie est uniforme ; elles obéissent au premier caprice qui les aiguillonne, pour rompre la monotonie de leur bonheur. […] En vérité, nous aurions mauvaise grâce à le chagriner pour une joie qui ne fait de tort qu’à lui-même. […] La victime se fait bourreau avec une joie féroce. […] Sa joie n’est pas de longue durée.

116. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre quatrième »

Il remettait entre les mains de ce saint homme au cœur tout frémissant encore des passions vaincues de la veille ; et c’est peut-être sous l’impression des premières douceurs que la parole de M. de Sacy avait fait couler dans son âme, qu’il écrivait sur un parchemin, en manière de mémorial, ces mots si pathétiques : « Joie, joie, pleurs de joie ! […] Pascal emploie contre la résistance de la raison l’imagination et la sensibilité ; il y fait servir toutes les passions tour à tour, l’admiration, le désir, l’espérance, la joie, la tristesse, et, s’il le faut, la peur. […] Il porte au front cette tristesse où la philosophie chrétienne a reconnu le souvenir d’une chute, et qui suit nos joies de plus près que l’ombre ne suit le corps. Il a le premier parlé, dans notre pays, la langue de la mélancolie, cette passion dont le christianisme a enrichi la nature humaine, et qui est comme un certain détachement des joies et des plaisirs de la terre, par lequel nous sommes préparés doucement à la séparation irrévocable. […] C’est que cette chaleur de la polémique, cette joie de voir ses adversaires s’enferrer, ce pressentiment d’une facile victoire, c’est du répit, en attendant la tristesse non interrompue ou la moquerie sans gaieté des Pensées.

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