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359. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Parny poète élégiaque. » pp. 285-300

Les Poésies érotiques (vilain titre, à cause du sens trop marqué qui s’attache au mot érotique ; je préférerais Élégies), les Élégies de Parny, donc, parurent pour la première fois en 1778, et devinrent à l’instant une fête de l’esprit et du cœur pour toute la jeunesse du règne de Louis XVI. […] Laissons aux folies de la jeunesse, dès qu’elles ont jailli et que la coupe circule, la mousse pétillante et rosée dont elles se couronnent. […] Que devenir en effet, que faire, en avançant dans la vie, quand on a mis toute son âme dans la fleur de la jeunesse et dans le parfum de l’amour ?

360. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « MADAME TASTU (Poésies nouvelles.) » pp. 158-176

Le talent qui, dans le premier et bel hyménée de la jeunesse, ne fait qu’un d’ordinaire avec les sentiments dont une âme est possédée, s’il est fort, abondant, de trempe durable, s’en sépare bientôt, et devient jusqu’à un certain point distinct du fond même de l’âme. […] Ces désabusements, avouons-le, lui sont venus surtout de l’excès des impatiences et des appels menaçants à la force ; dans la pièce de La Fayette, son vœu et sa prière s’adressent à cette trop vive jeunesse que, dans son inquiétude de mère, elle prend à tâche de modérer. […] Bien qu’il nous reporte vers un passé plus brillant, bien qu’il s’élève moins haut que la poétique apparition de la jeunesse, il vient dignement après, et honore le talent en même temps que la vie de celle qui peut si fermement se résigner et si délicatement se plaindre.

361. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « M. Rodolphe Topffer »

Avoir vécu, dès l’enfance et durant la jeunesse, de la vie de famille, de la vie de devoir, de la vie naturelle ; avoir eu des années pénibles et contrariées sans doute, comme il en est dans toute existence humaine, mais avoir souffert sans les irritations factices et les sèches amertumes ; puis s’être assis de bonne heure dans la félicité domestique à côté d’une compagne qui ne vous quittera plus, et qui partagera même vos courses hardies et vos généreux plaisirs à travers l’immense nature ; ne pas se douter qu’on est artiste, ou du moins se résigner en se disant qu’on ne peut pas l’être, qu’on ne l’est plus ; mais le soir, et les devoirs remplis, dans le cercle du foyer, entouré d’enfants et d’écoliers joyeux, laisser aller son crayon comme au hasard, au gré de l’observation du moment ou du souvenir ; les amuser tous, s’amuser avec eux ; se sentir l’esprit toujours dispos, toujours en verve ; lancer mille saillies originales comme d’une source perpétuelle ; n’avoir jamais besoin de solitude pour s’appliquer à cette chose qu’on appelle un art ; et, après des années ainsi passées, apprendre un matin que ces cahiers échappés de vos mains et qu’on croyait perdus sont allés réjouir la vieillesse de Goëthe, qu’il en réclame d’autres de vous, et qu’aussi, en lisant quelques-unes de vos pages, l’humble Xavier de Maistre se fait votre parrain et vous désigne pour son héritier : voilà quelle fut la première, la plus grande moitié de l’existence de Topffer. […] Quand on est moraliste et qu’on n’observe que des hommes faits, on court risque de tourner au La Rochefoucauld et au La Bruyère ; si le regard se reporte au contraire sur une jeunesse honnête et chaque jour renouvelée, on garde la fraîcheur du cœur jusque dans la connaissance du fond, la consolation dans les mécomptes, une vue plus juste de la nature morale dans ses ressources et dans son ensemble. […] Ses yeux, qui s’étaient opposés dès sa jeunesse à ce qu’il continuât, il n’avait plus à les ménager désormais, et il leur demandait comme une dernière sensation d’artiste ce jeu, cette harmonie des couleurs vers laquelle il se sentait irrésistiblement appelé ; il s’enivrait d’un dernier rayon.

362. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « « L’amour » selon Michelet » pp. 47-66

Et si ce traitement ne sert à rien, il gardera sa femme, même coupable. « Quoi qu’il advienne, et quand même elle faiblirait, ne quittez jamais la chère femme de votre jeunesse. […] Formée par l’homme dans sa première jeunesse, à son tour elle agit sur lui. […] » Il pose cet axiome qu’« il n’y a point de vieille femme », et le développe en un chapitre dont le sommaire tout seul est déjà bien joli : « … Le visage vieillit bien avant le corps. — L’ampleur des formes est favorable à l’expression de la bonté. — Une génération qui n’aimerait que la première jeunesse et ne serait pas policée par le commerce des dames resterait grossière. — Une femme qui aime et qui est bonne peut, à tout âge, donner le bonheur, douer le jeune homme. » Il vous apparaîtra de nouveau, si vous pesez les mots de cette dernière phrase et si vous en cherchez le commentaire dans le texte du chapitre, que le naturisme de Michelet n’est pas précisément le naturisme de Molière.

363. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Chefs-d’œuvre de la littérature française (Collection Didot). Hamilton. » pp. 92-107

Nous en serions restés là avec lui si, déjà vieux, en 1704, il ne s’était avisé, pour divertir le comte de Grammont âgé de plus de quatre-vingts ans et toujours aimable, d’écrire les aventures de jeunesse de celui qui était alors le chevalier de Grammont, et de se faire son Quinte-Curce et son Plutarque en badinant. […] Quel contraste ironique de cette vie de jeunesse avec l’expiation finale à Saint-Germain ! […] Avec sa causticité malicieuse et cette lèvre fine qu’on lui connaît, il avait besoin qu’on fît silence autour de lui, et quand Caylus le vit chez sa mère, il y avait sans doute un peu trop de bruit et de jeunesse ce jour-là.

364. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre VI : Règles relatives à l’administration de la preuve »

En effet, l’état où se trouve une société jeune n’est pas le simple prolongement de l’état où étaient parvenues à la fin de leur carrière, les sociétés qu’elle remplace, mais provient en partie de cette jeunesse même qui empêche les produits des expériences faites par les peuples antérieurs d’être tous immédiatement assimilables et utilisables. […] Ainsi, pour savoir dans quel sens évolue un phénomène social, on comparera ce qu’il est pendant la jeunesse de chaque espèce avec ce qu’il devient pendant la jeunesse de l’espèce suivante, et suivant que, de l’une de ces étapes à l’autre, il présentera plus, moins ou autant d’intensité, on dira qu’il progresse, recule ou se maintient.

365. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Jules Janin » pp. 137-154

J’ai vu dans ma jeunesse des professeurs de rhétorique — des Cuvillier-Fleury du temps — traiter de germanico-savoyard le style romain du grand de Maistre, — en retard de gloire, ce grand homme, parce que, de génie, il avançait trop ! […] Cet homme, heureux dès sa jeunesse, qui n’eut jamais, comme les bohèmes de son temps — qui fut le temps de la Bohème — de déchirure à son coude, n’eut pas non plus pour s’en venger le luxe momentané de Balzac, aux boutons d’or pur, chez la princesse de Belgiojoso… Il ne se sentait aucun goût pour ces somptuosités d’artiste, — quoique pourtant il en fût un ! […] … Tel il était, Janin, dans sa verte jeunesse.

366. (1858) Cours familier de littérature. V « XXXe entretien. La musique de Mozart (2e partie) » pp. 361-440

Pendant que nous écrivions ces pages sur Mozart, et que nous regrettions vivement de ne pas pouvoir nous rafraîchir l’oreille dans l’audition de ces délicieuses mélodies entendues autrefois et restées en tronçons dans notre mémoire comme des échos de jeunesse et d’Italie, voilà que nous lisons par hasard, sur une affiche de théâtre, Les Noces de Figaro, au Théâtre-Lyrique, sur le boulevard de Paris ; et pour comble d’étonnement et de bonne fortune, voilà que nous recevons, sans nous y attendre, du spirituel et savant directeur de ce théâtre, M.  […] Ces Mémoires sont de vrais préludes de Don Juan, dans la jeunesse dissipée et voluptueuse d’un fils des Lagunes. […] Enfant, Mozart étonne le monde musical par les prodiges de son talent d’exécution ; homme mûr, il tient et surpasse tout ce qu’avait promis sa jeunesse. […] Mais, à peine le bruit de mon départ avec eux se fut-il répandu dans la ville, que toute la jeunesse de l’endroit se pressa autour de la porte pour attendre que je sortisse de la maison. […] C’est à l’âge de soixante-seize ans qu’il écrit sur les brumes de New-York ces pages ivres encore d’adolescence, d’amour et de gloire ; la jeunesse de ces hommes est dans leurs adversités.

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