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248. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Charles Nodier »

Je me représente Nodier à ces heures de jeunesse, lorsque, superbe et puissant d’espérance, ou, ce qui revient au même, prodigue de désespoir, il partit pour Paris du pied de sa montagne comme pour une conquête. […] Remarquez pourtant comme le premier pli se garde toujours, comme le trait marquant qui s’est prononcé à nu dans la jeunesse se transforme, se déguise, s’arrange, mais se reproduit inévitable au fond et ne se corrige jamais. […] Ces années ne furent donc pas absolument malheureuses, les sentiments consolants de la jeunesse les embellissaient, et de fréquentes tournées au village de Quintigny, qui recélait pour son cœur une espérance charmante, lui décoraient l’avenir. […] La jeunesse, quand elle se prolonge, est toujours embarrassante à finir ; rien n’est pénible à démêler comme les confins des âges (Lucanus an Appulus, anceps) ; il faut souvent que quelque chose vienne du dehors et coupe court. […] Toutes les fois qu’il reproduit des souvenirs ou des songes de sa jeunesse, Nodier écrivain reprend une sève plus montante et plus colorée.

249. (1890) L’avenir de la science « III » pp. 129-135

La jeunesse d’Orient, en venant dans les écoles d’Occident puiser la science euro-péenne, emportera avec elle ce qui en est le corollaire inséparable, la méthode rationnelle, l’esprit expérimental, le sens du réel, l’impossibilité de croire à des traditions religieuses évidemment conçues en dehors de toute critique. Déjà les musulmans rigides s’en inquiètent et signalent le danger à la jeunesse émigrante. […] Lors même qu’il serait prouvé que le monde officiel est définitivement impuissant, qu’il ne peut rien créer d’original et de fort, il ne faudrait pas désespérer de l’humanité ; car l’humanité a des sources inconnues, où elle va sans cesse puiser la jeunesse. […] Dans l’impossibilité d’exposer avec précision de telles idées, je renvoie à l’hymne où, dès ma première jeunesse, je cherchai à exprimer ma pensée religieuse, à la fin du volume. […] Il est possible que Renan fasse ici allusion à une pièce de sa première jeunesse intitulée l’Idéal, publiée dans ses œuvres posthumes.

250. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « De la dernière séance de l’Académie des sciences morales et politiques, et du discours de M. Mignet. » pp. 291-307

Tout l’effort de ses actives années porta sur ce point, et il crut un moment, dans son orgueil de jeunesse, y avoir réussi. […] Conclusion : Ne nous célébrons pas sans mélange dans le passé, ne nous complimentons et ne nous adonisons pas si constamment en arrière en nous revoyant dans notre heureuse génération et dans notre jeunesse. […] Aussi la jeunesse qui est survenue depuis, et qui, chaque année, se versait des écoles dans la société, n’a plus trouvé, à son entrée, de groupes bienveillants, ni des initiateurs et des guides, et elle s’est dispersée au hasard, se portant vers des doctrines souvent vagues ou fatales, vers des talents corrupteurs ou hasardeux. […] Mignet a l’esprit naturellement peu porté à la métaphysique ; il la jugeait viande creuse dans sa jeunesse, et aujourd’hui il l’accepte volontiers toute faite de la main de ses amis.

251. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Le buste de l’abbé Prévost. » pp. 122-139

C’est toujours le même âge de quarante-cinq à quarante-huit ans, mais avec une fleur retrouvée de jeunesse. […] Ne demandez point au roman de l’abbé Prévost de ces descriptions, ni de ces couleurs dont on a tant usé et abusé depuis : s’il peint, c’est en courant et sans appuyer ; ses personnages n’ont de couleur que la carnation même de la vie dans la première jeunesse. […] Combien de fois ne s’est-il pas dit dans sa jeunesse comme son chevalier Des Grieux, en rêvant aux moyens de fixer son âme et d’apaiser ses inquiétudes : « Je mènerai une vie sainte et chrétienne ; je m’occuperai de l’étude et de la religion, qui ne me permettront point de penser aux dangereux plaisirs… !  […] Quiconque a, dans sa jeunesse, conçu un idéal romanesque et tendre, et l’a vu se flétrir devant soi et se briser sous ses pieds en avançant ; quiconque a plus ou moins connu, en tout genre, les écarts, les engagements téméraires et les difficultés sans issue, et n’a pas cherché à se faire de ses fautes une théorie ni un trône d’orgueil ; quiconque (et le nombre en est grand) a connu les assujettissements pénibles de la vie littéraire et le poids des corvées même honorablement laborieuses, au lieu du joug léger des muses ; ceux-là auront pour l’abbé Prévost un culte particulier comme envers un ancêtre et un patron indulgent.

252. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Œuvres de François Arago. Tome I, 1854. » pp. 1-18

Arago vient de paraître : il contient, après une introduction de M. de Humboldt, une centaine de pages intitulées Histoire de ma jeunesse, qui sont des mémoires assez détaillés jusqu’à l’âge de vingt-cinq ans, et une suite de notices biographiques que l’auteur eut à prononcer comme secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences : la série de ces notices ne remplira pas moins de trois volumes. […] J’aime ce titre donné à des fragments de mémoires : Histoire de ma jeunesse ; il me semble que ce n’est guère qu’ainsi et dans cette mesure que chacun devrait écrire les siens. Quand on vieillit, sur quel âge de la vie peut-on se reporter avec plaisir, sinon sur sa jeunesse ? […] L’âge mûr est âpre, aride, occupé ; les rivalités et les ambitions, les passions sèches nous envahissent ; les haines nous troublent ; les injustices laissent des traces qui creusent et qu’on s’exagère : mais la jeunesse a échappé à tout cela ; ses douleurs même et ses infortunes ont revêtu je ne sais quel charme.

253. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La marquise de Créqui — III » pp. 476-491

Nulle part cet atticisme (ne vous en en étonnez pas) ne s’offre dans de meilleures conditions, avec ses qualités propres et sincères, que chez les vieilles femmes qui ont du bon sens et du monde, et qui ont eu le temps de se débarrasser des faux goûts et des fausses expressions que la mode avait mis en circulation dans leur jeunesse. […] Se peut-il un portrait plus vrai, qui dise plus et moins, qui rappelle mieux les Souvenirs de Caylus, que celui-ci (je le choisis entre dix autres) de la princesse d’Hénin, avec laquelle la vicomtesse de Noailles avait passé une partie de sa jeunesse : J’ai vu en elle une chaleur et une vivacité qui étonneraient bien aujourd’hui. […] Cette première époque de notre Révolution est celle d’une grande injustice envers la jeunesse de la haute classe. […] Mme de Créqui, à l’en croire, avait toujours été laide ; elle faisait bon marché de son passé et de ses grâces de jeunesse : Mais, nous dit l’auteur de la notice déjà citée, M. 

254. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « La Grèce en 1863 par M. A. Grenier. »

« Ne revoyez jamais, dit Hoffmann, la beauté qui fut votre premier idéal dans la jeunesse. » Faut-il dire cela également des nations ? […] Je suis persuadé que si dans cette brillante levée de jeunesse qui s’enrôla sur la foi de La Fayette pour voler au secours des insurgents de Boston, il y a eu quelque esprit un, sagace, mordant, comme il s’en trouvait volontiers dans la jeune noblesse d’alors, il a dû, au retour et dans des conversations familières, rabattre beaucoup de l’idée exaltée qu’on se faisait des républicains de ce pays, et dénoncer déjà en eux le côté si peu idéal qui s’est marqué si vite, que Franklin connaissait et, en partie, personnifiait si bien. […] Aller en Grèce quand une tache morale vous avait atteint et avait rejailli jusqu’à votre front, quand une de ces fautes de jeunesse ou l’un de ces malheurs de nature (comme il s’en peut rencontrer, même chez les organisations distinguées) vous avait fait tristement faillir et vous exposait à rougir sans cesse au milieu des vôtres, c’était se relever à l’instant, c’était expier et réparer aux yeux de tous, c’était, par une vaillance noblement et saintement employée, se retremper dans l’estime publique et se refaire une vertu. […] Pour les purs, pour les lettrés enthousiastes et ardents, pour ceux qu’un danger de plus stimule à l’étude, et qui aiment à montrer qu’ils sont capables d’être hommes en même temps qu’érudits, aller en Grèce un jour et le plus tôt possible, arriver au pied de ses monuments, en face de ses marbres, avant que la flamme, la fumée des dernières explosions fût dissipée et éteinte, avant que les dernières balles eussent cessé de siffler, c’était, — comme l’a dit Quinet et comme il l’a prouvé, — c’était « le long désir de la jeunesse. » Et tous ceux qui n’allaient pas en Grèce la chantaient, la racontaient, la pleuraient sur tous les tons.

255. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Entretiens sur l’architecture par M. Viollet-Le-Duc »

Les hommes influents, les Corps dont la réforme opérée diminuait radicalement, — ou plutôt momentanément, comme je le crois, — l’autorité et l’influence, ont parlé haut et se sont récriés : la jeunesse, qui ne demande jamais mieux que de remuer et de s’agiter, ne fût-ce que pour le mouvement seul, s’est partagée en deux camps, fort inégaux, il est vrai. […] Mais ces petites résistances intérieures sont aujourd’hui vaincues, je l’espère ; on en a eu raison sans trop d’effort ; les légèretés de la jeunesse sont excusables. […] Filiation et contradiction, ce sont deux éléments qu’aime volontiers à associer la jeunesse et qu’elle s’entend très bien à mêler et à combiner. […] « C’était Phidias qui les lui dirigeait tous et qui en était l’inspecteur universel… » C’est cette fleur, cet éclat de jeunesse dont le Parthénon à demi ruiné jouit encore aujourd’hui, qui manque aux monuments de Rome : ils portent la marque du Peuple-roi, c’est beaucoup ; mais ils sont et semblent antiques.

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