Tandis que l’homme de la sensation et de l’activité se satisfait de ce monde misérablement ébauché qu’il a devant les yeux, et que l’homme de l’intelligence cherche à le perfectionner, le poète s’indigne des lenteurs, et finit par n’avoir plus que des paroles d’ironie et des chants de désespoir. […] Exemple unique à notre époque de l’art calme et contenu comme les époques les mieux organisées en ont produit, mais évidemment dû à la force d’une intelligence qui sait s’arrêter aux limites qu’elle veut s’imposer, et qui ne s’abandonne pas à tout son vol. […] Qui ne voit, en effet, qu’il faudrait à Werther une religion, pour remplacer dans son cœur et dans son intelligence la vieille religion dont il est à jamais sorti, et pour le retenir ainsi sur le bord de l’abîme, au nom du devoir ? […] Ce n’est pas avec des débris de vieilles idoles, ce n’est pas non plus en aplatissant nos âmes et en vulgarisant nos intelligences, qu’ils résoudront ce problème d’une poésie qui, au lieu de nous porter au suicide, nous soutienne dans nos douleurs. […] Mais ne tentez pas de rabattre sur cette ardeur de sentiment et sur cette élévation d’intelligence dont vos devanciers vous ont légué des modèles.
Les caractères n’y profitèrent pas moins que les intelligences. […] De là cette intelligence si profonde et si sûre, et cette pratique pour ainsi dire journalière des analogies des langues anciennes avec la nôtre ; de là tant de créations de tours et d’expressions conformes à l’esprit de notre pays. […] « Je ne me prends guère aux Grecs, dit-il quelque part, parce que mon jugement ne se satisfait pas d’une moyenne intelligence136. » Et ailleurs : « Je n’ai quasi d’intelligence du grec. » Et ailleurs, parlant de Platon, dont il blâme les dialogismes : « Je ne vois rien, dit-il, en la beauté de son langage137. » C’est donc par Amyot que Montaigne a connu l’auteur ancien qu’il a le plus goûté et le plus pratiqué, à savoir Plutarque. […] Par l’effet de cette autre paresse d’intelligence dont se plaint aussi Montaigne, ou dont il se vante, une demi-vérité de Sénèque le secouait bien plus vivement qu’une belle scène de Térence ou un beau morceau de Cicéron. […] Les ignorants, les esprits dont l’appréhension est molle et lâche, pour parler comme lui, et qui ne reçoivent rien dans leur raison que par l’imagination, sont éblouis de ces vives couleurs qui peignent les idées, et qui intéressent, pour ainsi dire, les sens aux perceptions de l’intelligence.
En d’autres termes : quelques-unes de nos impressions ou de nos sensations, — telles la couleur de la rose, la saveur de la pèche, — peuvent avoir en nous, dans la constitution intime de notre organisme ou de notre intelligence, les raisons de leur diversité ; mais quelques autres ne les y ont pas, et, par exemple, ce n’est pas seulement en nous que la chaleur se transforme en mouvement. […] Ou bien le monde extérieur n’existe pas, n’est qu’une illusion de nos sens, un rêve qu’on ferait les yeux ouverts, une projection des lois de notre intelligence à travers l’espace ou le temps ; — et c’est la première solution. […] « Toutes les sciences réunies, avait écrit Descartes, ne sont rien que l’intelligence humaine, toujours une, toujours la même, si variés que soient les sujets auxquels elle s’applique, sans que cette variété apporte à sa nature plus de changemens que la diversité des objets n’en apporte à la nature du soleil qui les éclaire13. » Et on l’a cru longtemps, et quelques savans ou quelques philosophes le croient peut-être encore. […] De ce que l’intelligence humaine est toujours la même en ses opérations, il n’en résulte pas que les vérités dont elle est capable soient toutes de la même nature ; et, en réalité, il y a autant de justes domaines ou de provinces particulières de la connaissance qu’il y a d’objets différens à connaître. […] Et la métaphysique cessant ainsi d’être un « système fermé », c’est alors qu’elle deviendra vraiment digne de son nom, et de son rôle, qui est de nous conduire par les voies normales de l’intelligence humaine du connu à l’inconnu et de l’inconnu à l’inconnaissable.
Il ne peut ; il est trop malade, trop usé, trop blasé ; son intelligence saturée de chimères refuse d’en absorber de nouvelles. […] Les dogmes, ces affirmations dénuées de preuve, opposant des mystères iniques ou simplement ridicules aux révoltes de l’intelligence et de l’instinct, il les rejetait. […] Au réveil, l’intelligence rafraîchie, fournie d’idées jeunes, on se sent plein de vigueur, — de nouveau propre à la guerre. […] C’est précisément comme fantôme grandiose, chimère d’une intelligence surchauffée par l’amour de la vie, que le Surhomme nous intéresse. […] La lecture réfléchie de l’Origine des Espèces de Darwin et de l’Intelligence de Taine est à recommander.
Comme on sent, quelques lignes plus loin, l’homme qui a le sentiment de sa supériorité sur ses contemporains, de son égalité de niveau avec les plus hauts caractères et les plus vastes intelligences de l’antiquité ! […] Nous disons neutralité apparente à l’extérieur, parce qu’en le lisant dans ses douze volumes et en l’étudiant impartialement dans sa vie, on reconnaît avec bonheur qu’il n’était nullement neutre, encore moins pervers ; qu’il aimait l’honnête, qu’il le pratiquait pour lui-même, et que son tort est d’avoir eu l’intelligence du mal, mais non le goût. […] L’historien ne voyait que les détails, Machiavel voit l’ensemble ; Tite-Live n’est que la main, Machiavel est l’intelligence. […] La nature ne fait pas de ces hommes assez dévoués à la vertu pour écrire gratuitement des contre-vérités qui les feront passer éternellement pour des scélérats ; la nature ne crée pas non plus des hommes assez monstrueux (surtout quand ces hommes sont les plus hautes et les plus saines intelligences de leur siècle) pour penser, pour écrire et pour signer des théories de crimes qui les dévoueront à l’exécration de la postérité. […] Quant aux républiques, il en a traité, dit-il, dans le Commentaire sur Tite-Live ; là il est républicain avec l’intelligence des diverses crises des républiques : il se prononce tantôt pour l’aristocratie conservatrice, tantôt pour la démocratie progressive, aujourd’hui pour le sénat, demain pour le peuple, selon le temps, mais toujours pour l’honnête et pour le bien public.
Ce père, comme celui de Montaigne, mit tous ses soins à cultiver les dispositions de son fils qui annonça de bonne heure une grande vivacité d’intelligence. […] un de ces hommes qui secouent par la vigueur de leur intelligence les traditions populaires ou les préjugés contemporains de leur temps pour faire place à des idées plus justes, et pour substituer des institutions neuves et pratiques aux vieilleries nuisibles ou usées de leur époque ? […] La Divinité a ses lois, le monde matériel a ses lois, les intelligences supérieures à l’homme ont leurs lois, les bêtes ont leurs lois, l’homme a ses lois. […] Il faut qu’il se conduise, et cependant il est un être borné, il est sujet à l’ignorance et à l’erreur, comme toutes les intelligences finies ; les faibles connaissances qu’il a, il les perd encore ; comme créature sensible, il devient sujet à mille passions. […] La supériorité des peuples et des lois tient à des causes mobiles et multiples qu’une intelligence comme celle de Montesquieu devait étudier et approfondir, au lieu de l’attribuer à une seule cause que la nature et l’histoire démentent à chaque ligne de la vie des nations.
Les vérités que recherche Descartes sont de l’ordre spéculatif ; elles sont du domaine de l’intelligence pure. […] Je crois que je suis, parce que je pense ; je crois à Dieu, je crois à l’immortalité de l’âme ; oui, sans doute et de toute la force de mon intelligence : est-ce assez pour me conduire dans la vie ? […] C’est ce qu’avait compris l’intelligence de Pascal, non moins sublime, mais plus sympathique que celle de Descartes. […] Quelles conceptions sont plus hautes, quel dessein plus digne d’un homme de génie, que d’avoir anticipé, par le détachement de son corps et la destruction de ses passions, la vie de pure intelligence qui nous est promise après la mort ? […] Après avoir pénétré, par l’intelligence toute seule, dans le secret des sciences physiques et de la science des nombres, il entreprend l’étude de la morale avec cette même intelligence aidée de sa sensibilité.
— Nous avons envisagé l’œuvre d’art dans ses rapports avec l’intelligence de son auteur ; il nous faut maintenant établir ses relations plus lointaines avec certains groupes d’hommes qui, en vertu de considérations diverses, peuvent être considérés comme les semblables et les analogues de l’artiste producteur. […] Il emploie à ne pas changer toutes les ressources de son intelligence. […] Dans ce livre, il tenta en particulier de valider par l’expérience la théorie de la perception définie comme hallucination par Taine dans De l’Intelligence. […] Dans les années 1900, il sera un des grands pionniers des études de psychométrie (L’Etude expérimentale de l’intelligence, 1903 ; avec Th. Simon, La Mesure du développement de l’intelligence chez les jeunes enfants, 1917).