A mesure donc que le tumulte des souvenirs, qui redouble pour d’autres, s’éclaircit pour moi et s’apaise, je me replie de plus en plus vers ces figures nobles, humaines, d’une belle proportion morale, qui s’arrêtèrent toutes ensemble, dans un instinct sublime et avec un cri miséricordieux, au bord du fleuve de sang, et qui, par leurs erreurs, par leurs illusions sincères, par ces tendresses mêmes de la jeunesse que leurs farouches ennemis leur imputaient à corruption et qui ne sont que des faiblesses d’honnêtes gens, enfin aussi par le petit nombre de vérités immortelles qu’ils confessèrent, intéressent tout ce qui porte un cœur et attachent naturellement la pensée qui s’élève sans sophisme à la recherche du bonheur des hommes. […] Les derniers événements l’ont alimenté ; les lumières de la raison se sont unies à l’instinct du sentiment pour l’entretenir et l’augmenter… Je finirai de mourir quand il plaira à la nature, mon dernier souffle sera encore le souffle de la joie et de l’espérance pour les générations qui vont nous succéder. » Les jugements de Mme Roland sur La Fayette en particulier ont lieu de nous frapper par le contraste qu’ils offrent avec l’unanime respect dont nous avons entouré cette patriotique vieillesse. […] Divisés entre eux sur les mesures les plus immédiates, palpitants et au dépourvu devant ces autres théories inflexibles qui s’avançaient droit contre leur regard comme un étroit et rigide acier, leur résistance fut toute d’instinct, d’humanité, de cœur. […] Était-ce instinct de vengeance filiale à cause de son père méconnu et maltraité ?
En fait d’art, comme en fait de morale, il est bien plus pressant de venir en aide à la discipline, à laquelle notre instinct nous soustrait sans cesse, qu’à la liberté, qui n’est que trop portée à se faire sa part. […] Il préférait d’ailleurs les Latins aux Grecs, moitié par esprit de réaction contre la trop grande part que l’école de Ronsard avait faite à ceux-ci, moitié par un instinct supérieur qui lui faisait voir les profondes analogies et en quelque sorte la filiation directe du français et du latin. […] L’instinct du réformateur se révélait dans le choix même de ce genre, le plus littéraire de tous. […] Je ne sache pas de plus bel exemple dans l’histoire des littératures que celui de cet homme, réformateur par instinct, grand poëte presque par devoir, s’attachant pour l’exemple à un genre où ne le portaient ni son imagination, ni son humeur, et soutenu contre les difficultés de la tâche par le sentiment qu’elle était nécessaire.
Il connaît nos plus secrets, nos plus immuables instincts ; il sait ce que nous pouvons porter de joie et de peine. […] Tout a contribué à cet arrangement, l’instinct, le goût délicat et rapide, le dessein, l’humeur, tout, sauf la paresse ; car on sait que, pour aimer beaucoup le dormir et le rien-faire, La Fontaine ne se ménageait pas au travail ; sa paresse, dans l’intervalle de ces charmants chefs-d’œuvre, pourrait bien n’avoir été que du repos bien gagné. […] Nature heureuse entre toutes, il a les qualités sans les défauts, il peut aimer sans haïr, et il sait garder, jusque dans la perfection, je ne sais quelle aisance qui donne à la pureté de son goût l’air d’un instinct. N’en faut-il pas conclure que le propre du goût est de nous ramener à notre instinct ?
On a coutume de leur opposer le génie libre et sans entraves de Shakespeare : mais Shakespeare, s’il ne subissait pas une tradition despotique, subissait les conditions que son génie et son bon sens lui disaient être nécessaires à l’œuvre d’art pour produire son effet : d’instinct, sans dogmatiser et sans disserter, il s’y conformait, il y en enfermait sa verve et son inspiration. […] Il y a peu de gens qui aient le courage d’avouer que, bien comprises, ces règles valent encore aujourd’hui, et que les plus indépendants, s’ils ont un vrai sentiment de l’art, suivent d’instinct les lois qu’ils méprisent par théorie.
Le même instinct qui nous feroit gémir par un premier mouvement à la rencontre d’une mere qui conduiroit son fils unique au tombeau, nous fait pleurer quand la scéne nous fait voir l’imitation fidelle d’un pareil évenement. […] Les hommes persuadez par instinct que le mérite d’un discours oratoire, ainsi que le mérite d’un poëme et d’un tableau, doivent tomber sous le sentiment, ajoutent foi au rapport de l’auditeur, et ils s’en tiennent à sa décision dès qu’ils le connoissent pour une personne sensée.
La vie n’est pas si simple, nos instincts ne sont pas si justes ! […] Avant Louis XV, cette société d’un instinct si juste et qui vivait dans une telle atmosphère de lumière, qu’on y disait, en riant, qu’un gentilhomme savait tout sans avoir rien appris, n’avait jamais songé, il est vrai, à devenir littéraire et à échanger ses grâces naturelles, saines et savoureuses, contre le caquet pédant des cercles et l’histrionisme philosophique des salons ; mais, alors même que les influences du xviiie siècle commençaient de l’atteindre et de la gâter, elle n’était pas pour cela uniquement dans les salons parisiens, où Ton veut obstinément la voir toujours.
Quoique, après tout, l’éclat de rire soit le coup de fouet final et mérité qu’on puisse appliquer sur le râble de ce singe féroce qui a l’ingénuité de ses instincts puérils ou monstrueux, cependant la raillerie de l’écrivain serait plus noblement limitée et l’accent général de son livre y gagnerait si, au lieu de voir uniquement dans Soulouque le masque d’une individualité singulière, il voyait davantage en lui la nature et la destinée de sa race. […] Ce n’est pas un Toussaint Louverture, qui, du moins, avait les grands instincts de ruse et de force d’un animal puissamment développé, ni un Christophe, doué de tant de persistance et de tenue dans ses facultés imitatrices, ni un Richer, qui réalisa un moment, dit d’Alaux, l’idéal du gouvernement Haïtien, en maîtrisant l’élément barbare sans écraser sous la même pression l’élément éclairé.
il a obéi aux plus puérils instincts de son époque, et il a obéi aussi — sans en avoir conscience, je le crois, — à ses instincts les plus vils.